Intervention de Daniel Chasseing

Commission des affaires sociales — Réunion du 7 avril 2021 à 9h30
Proposition de loi d'expérimentation visant à favoriser le retour à l'emploi des bénéficiaires du revenu de solidarité active — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Daniel ChasseingDaniel Chasseing, rapporteur :

La présente proposition de loi vise à mettre en oeuvre, à titre expérimental, un dispositif d'incitation au retour à l'emploi ciblé sur les bénéficiaires du revenu de solidarité active afin de favoriser leur insertion sur le marché du travail.

Il me revient d'abord de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère que ce périmètre comprend des dispositions relatives à la mise en place et aux modalités d'une expérimentation visant à permettre le cumul du RSA et de revenus professionnels, ainsi qu'aux conditions d'emploi et aux règles d'attribution de la prime d'activité aux bénéficiaires de ladite expérimentation. En revanche, ne présenteraient pas de lien avec le texte des amendements relatifs aux règles générales d'attribution, de calcul, de service et de financement du RSA et de la prime d'activité, aux autres dispositifs d'insertion sociale et professionnelle, aux aides sociales, à l'action sociale, ou à l'indemnisation du chômage.

J'en viens à mon rapport sur la proposition de loi.

Depuis 2008, les réformes de notre système de minima sociaux ont visé à éliminer les désincitations à l'emploi et à faire en sorte que le travail paie davantage que l'inactivité. Le revenu de solidarité active a succédé le 1er juin 2009 au revenu minimum d'insertion (RMI) et à l'allocation de parent isolé (API) afin, notamment, d'en corriger les effets désincitatifs. Il comportait deux volets : un volet « minimum social » ou « socle », qui est le seul à subsister aujourd'hui ; un volet « activité » tendant à intéresser financièrement les bénéficiaires à la reprise d'un emploi. Le RSA « socle », financé par les départements, est une allocation différentielle qui complète les ressources initiales du foyer pour qu'elles atteignent le seuil d'un revenu garanti, ou montant forfaitaire, dont le barème varie selon la composition du foyer. Le RSA est versé tant que les revenus du foyer sont inférieurs à ce montant et décroît à mesure que les ressources de l'allocataire augmentent. Au 1er avril 2021, celui-ci est fixé à 565,34 euros pour une personne seule sans enfant. 1,99 million de foyers bénéficiaient du RSA fin juin 2020, selon la CNAF.

En 2016, le RSA « activité » a été fusionné avec la prime pour l'emploi et remplacé par la prime d'activité. Sa formule de calcul, complexe, tient compte de la situation d'emploi de chacun des membres du foyer afin d'offrir un complément de revenus d'activité aux travailleurs modestes. Son montant est progressif jusqu'à un niveau de revenus qui dépend de la situation familiale, et dégressif au-delà.

La bonification individuelle de la prime d'activité a fait l'objet, au 1er janvier 2019, d'une revalorisation exceptionnelle de 90 euros, qui a élargi mécaniquement le public éligible en rehaussant le plafond de ressources pour y prétendre, mais aussi amélioré le taux de recours à la prestation. À la fin de 2019, quelque 4,5 millions de foyers bénéficiaient de la prime d'activité, occasionnant une dépense annuelle de 9,6 milliards d'euros pour l'État.

En pratique, un allocataire reprenant une activité professionnelle cumule pendant les trois premiers mois RSA et rémunération professionnelle, mais il ne perçoit pas encore la prime d'activité. Les trois mois suivants, son RSA est diminué à concurrence du niveau de sa rémunération. En revanche, il perçoit la prime d'activité qui vient compenser une partie de la baisse du RSA. L'articulation du RSA et de la prime d'activité se veut vertueuse et incitative.

Si ces réformes ont éliminé l'essentiel des « trappes à inactivité », l'objectif incitatif du RSA n'a pas été totalement atteint. Les bénéficiaires du RSA sont majoritairement sans emploi, et la plupart ont plus d'un an d'ancienneté en tant qu'allocataires. Plus cette ancienneté est élevée, moins ils ont de chances d'en sortir. Fin 2019, près de 61 % des bénéficiaires du RSA étaient allocataires depuis au moins deux ans, 37 % depuis au moins cinq ans et 16 % depuis au moins dix ans.

La présente proposition de loi tend à mieux soutenir la transition des allocataires du RSA vers l'emploi. Elle comprend deux articles, l'article 2 visant à gager financièrement le dispositif. Inspirée d'une initiative portée par le département de l'Allier, elle procède du constat d'un paradoxe : d'un côté, les entreprises peinent à trouver les compétences qu'elles recherchent quand, de l'autre, de nombreux chômeurs ne trouvent pas d'emploi. En particulier, les bénéficiaires de minima sociaux qui pourraient travailler ne parviennent pas à reprendre une activité en raison d'un ensemble de freins monétaires et non monétaires. Plus leur ancienneté dans les minima sociaux est élevée, moins ils ont de chances d'en sortir d'une année sur l'autre.

L'article 1er prévoit la mise en place, pour une durée de quatre ans, dans des départements volontaires, d'une expérimentation visant à soutenir financièrement le retour à l'emploi des bénéficiaires du RSA. Cette expérimentation s'adresse aux bénéficiaires du RSA « privés d'emploi depuis au moins un an » et résidant dans le département. Elle permettrait aux personnes concernées d'être embauchées par des entreprises tout en conservant le bénéfice de leur allocation pendant une durée d'un an, dans la limite d'un plafond fixé par décret. Ce maintien en tout ou partie du RSA pourrait être cumulé avec la prime d'activité.

Le coût du dispositif pour le département ferait l'objet d'une compensation financière par l'État dans les conditions applicables au financement du RSA. En effet, la loi permet déjà à un département de décider de conditions plus favorables que le droit commun, à condition qu'il en assume les conséquences financières. Le principal apport de la proposition de loi est donc d'étendre à cette expérimentation le principe de la compensation financière versée par l'État via la dotation globale de fonctionnement (DGF) - laquelle ne couvre que de manière incomplète le coût réel du RSA, comme le déplore régulièrement l'Assemblée des départements de France (ADF). L'expérimentation ferait l'objet d'une évaluation au plus tard un an avant son terme, sur la base de rapports établis par les départements expérimentateurs.

En matière d'insertion dans l'emploi des chômeurs de longue durée, il n'existe pas de solution miracle. Le dispositif proposé s'inscrirait dans un paysage déjà dense incluant les structures d'insertion par l'activité économique, en faveur desquelles le Gouvernement a renforcé son appui dans le cadre du plan de relance, les parcours emploi compétences (PEC) - la nouvelle génération de contrats aidés -, ou des expérimentations comme « Territoires zéro chômeur de longue durée ». Il viendrait compléter les dispositifs existants et présenterait l'intérêt de permettre à des chômeurs de longue durée de bénéficier, au-delà d'un soutien monétaire, de l'accompagnement des allocataires du RSA tout en s'intégrant progressivement dans l'entreprise. Il se fonde sur le potentiel des personnes en les aidant à franchir la distance qui les sépare de l'emploi durable. Il vise tout autant à responsabiliser les entreprises pour qu'elles soient, comme elles le souhaitent, des acteurs de cette démarche d'insertion.

La philosophie de cette expérimentation est bien distincte de celle des solutions du type du revenu universel, lesquelles, outre leur coût colossal pour les finances publiques, présentent le risque de laisser les bénéficiaires livrés à eux-mêmes. Il me paraît cependant souhaitable d'apporter des modifications au dispositif afin de lui permettre d'atteindre sa cible et ses objectifs. Tous les amendements que je vais vous présenter ont recueilli l'approbation de l'auteur de la proposition de loi.

Je vous suggérerai d'abord d'introduire, en lieu et place de la condition de privation d'emploi, notion équivoque, une condition d'ancienneté minimale d'un an dans le RSA, afin de cibler un public réellement en difficulté. Les bénéficiaires devraient en outre être inscrits sur la liste des demandeurs d'emploi pour un suivi garanti. Je vous présenterai aussi un amendement prévoyant la possibilité de déroger à la durée hebdomadaire minimale de travail de droit commun pour un contrat à temps partiel, qui est de 24 heures. Conformément au projet initial des promoteurs de l'expérimentation, les bénéficiaires pourraient être embauchés, pendant la première année, pour une durée de 15 heures hebdomadaires minimum, ce qui favoriserait, à moindre coût pour l'employeur, la réadaptation professionnelle des personnes durablement éloignées de l'emploi.

Afin de limiter les éventuelles distorsions introduites par le dispositif tout en garantissant un gain au travail pour les bénéficiaires, il est préférable que ceux-ci ne puissent pas percevoir la prime d'activité pendant la période de maintien du RSA. Cette mesure ne modifierait pas leurs ressources, toujours plus élevées que s'ils étaient soumis au droit commun, mais elle permettrait au dispositif de mieux s'insérer dans le paysage des minima sociaux, tout en entraînant une économie pour l'État, qui finance la prime d'activité.

Le maintien du RSA, dont les modalités ne sont pas précisées, pourrait être assuré par l'exclusion des revenus professionnels perçus dans le cadre d'un contrat à durée déterminée (CDD) d'un an ou d'un contrat à durée indéterminée (CDI), jusqu'à un plafond fixé par décret, dans les ressources prises en compte pour l'attribution et le calcul de l'allocation.

Outre ces modifications réécrivant le coeur de la proposition de loi, je vous proposerai des amendements précisant les conditions de financement, d'évaluation et d'application du dispositif. Je vous soumettrai ainsi un amendement visant à lever toute ambigüité sur l'application de la compensation par l'État des dépenses occasionnées par l'expérimentation. Par ailleurs, il convient d'encadrer le contenu des rapports qui devront être établis par les départements expérimentateurs et le Gouvernement, en vue de dresser le bilan de l'expérimentation au regard de ses objectifs initiaux et d'envisager les conditions d'une éventuelle généralisation. En effet, une expérimentation n'est utile que si elle s'accompagne d'une évaluation rigoureuse. Devront être pris en considération l'évolution de la situation des bénéficiaires ainsi que les effets du dispositif sur le nombre de bénéficiaires du RSA, sur l'appariement entre l'offre et la demande de travail et sur les finances publiques. Enfin, un dernier amendement précisera les conditions d'application du dispositif, en faisant débuter l'expérimentation à la date de parution du décret, afin de garantir que cette période dure effectivement quatre ans, et en confiant au ministre chargé de l'action sociale la responsabilité d'établir la liste des départements retenus pour l'expérimentation.

Ce projet a obtenu le soutien de très nombreux employeurs de l'Allier, ainsi que des départements de la Manche ou de La Réunion que nous avons auditionnés. Ce dispositif ne s'adresse évidemment pas à tous les publics, mais l'insertion par l'activité économique reste pertinente pour aider les personnes les plus éloignées de l'emploi. En outre, il ne peut fonctionner que si l'accompagnement par le département et le service public de l'emploi est une réalité. Telle est bien l'intention du conseil départemental de l'Allier, qui prévoit un accompagnement spécifique de trois mois au démarrage, renouvelable une fois, afin de sécuriser toutes les parties prenantes. Le dispositif pourrait s'articuler vertueusement avec l'« accompagnement global » déployé dans le cadre de la stratégie pauvreté et avec le futur service public de l'insertion et de l'emploi (SPIE).

Pour toutes ces raisons, je demande à la commission de bien vouloir adopter cette proposition de loi.

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