Intervention de Martin Vial

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 7 avril 2021 à 10h35
Audition de M. Martin Vial commissaire aux participations de l'état directeur général de l'agence des participations de l'état

Martin Vial, commissaire aux participations de l'État, directeur général de l'Agence des participations de l'État :

La valeur du portefeuille coté de l'APE a connu une baisse de 5 % au 31 décembre 2020 par rapport au 31 décembre 2019. Le portefeuille s'est donc bien tenu sur l'année : après une baisse très importante au printemps 2020, soit au plus fort de la crise, le cours est remonté dans la deuxième partie de l'année. À titre de comparaison, les valeurs du CAC 40 en 2020 se sont dégradées de 7 %. En complément, le rendement actionnarial du portefeuille coté de l'État s'est dégradé d'un peu moins de 5 %, soit dans les mêmes proportions que pour le CAC 40. L'effet de la crise s'est à cet égard nettement fait ressentir puisque, sur les dix dernières années, ce taux de rendement actionnarial a été de 3,4 % en moyenne. Si l'on ne tient pas compte des entreprises énergétiques, il est même proche de 10 %. Depuis la fin décembre 2020, la valeur du portefeuille coté s'est ensuite stabilisée à une valeur d'un peu moins de 70 milliards d'euros. L'année 2020 a donc bien sûr affecté la valeur du portefeuille mais pas dans des proportions dramatiques.

S'agissant des performances financières du portefeuille, les résultats ont été davantage affectés, car le chiffre d'affaires des entreprises du portefeuille a diminué de 15 % en 2020 par rapport à 2019 et la marge brute a diminué de 29 %. Ces phénomènes ne sont malheureusement pas spécifiques au portefeuille de l'État actionnaire et se retrouvent dans l'ensemble de l'économie...

Sur l'enveloppe de 20 milliards d'euros affectés au programme 358 qui permet de financer les interventions en capital de l'État en faveur d'entreprises en difficulté, nous avons consommé un peu plus de 8,1 milliards d'euros à fin mars 2021 : 3 milliards d'euros d'avance en compte courant d'actionnaire ont été versés à Air France au printemps 2020 ; 4,05 milliards d'euros ont été mobilisés en décembre pour la recapitalisation de la SNCF et fléchés vers SNCF-Réseau ; un peu plus de 1 milliard d'euros d'obligations convertibles en actions d'EDF ont été souscrites en septembre 2020 ; enfin, 150 millions d'euros ont été souscrits en faveur du fonds aéronautique et un peu plus de 100 millions d'euros en faveur du fonds automobile. À date, seuls 40 millions d'euros ont toutefois été effectivement consommés s'agissant de ces deux fonds, les décaissements intervenant à mesure de leur mobilisation pour soutenir les entreprises.

Il reste donc 11,5 milliards d'euros disponibles sur l'enveloppe initiale. Comment expliquer ce décalage par rapport aux prévisions ? Lorsque nous avions passé en revue les entreprises du SBF 120, nous avions identifié une perte potentielle de fonds propres pour ces entreprises nous conduisant, sur la base de nos estimations économiques sur l'impact de la crise, à chiffrer des besoins en capital à horizon 2022 nettement supérieurs aux 20 milliards d'euros de crédits ouverts. Mais les instruments mis en place par ailleurs, en particulier les prêts garantis par l'État (PGE), ont permis à ces entreprises d'éviter de recourir à des recapitalisations. À titre d'exemple, le PGE de 5 milliards d'euros consenti à Renault est sans doute le plus grand PGE mis en place en Europe. Le groupe Air-France-KLM a également bénéficié d'un PGE très important, à hauteur de 4 milliards d'euros On observe d'ailleurs de manière générale que l'année 2020 se caractérise par un taux de faillites très inférieur aux prévisions, et même inférieur à celui de 2019. Les besoins en fonds propres ont donc été décalés dans le temps, de sorte que les années 2021 et 2022 vont constituer une heure de vérité s'agissant de la recapitalisation des fonds propres.

Prenons l'exemple du transport aérien : pour Lufthansa, l'Allemagne a fait le choix d'aller chercher du capital immédiatement, dans un contexte où la visibilité sur la situation du secteur était encore faible. Une première opération de recapitalisation se montant à plus de 6 milliards d'euros a ainsi été menée dès l'été 2020. Celle-ci s'est avérée insuffisante, et une nouvelle opération de recapitalisation pour un montant très substantiel de 5 milliards d'euros a été décidée très récemment. Sur notre portefeuille, nous avons privilégié des opérations de financement sous forme de PGE dans le transport automobile et aérien. Les 11,5 milliards d'euros qui nous restent seront utilisés en 2021 et 2022, non seulement pour les entreprises du portefeuille mais aussi pour un certain nombre d'entreprises au capital desquelles l'État n'est aujourd'hui pas présent - notamment de grandes entreprises de taille intermédiaire (ETI) ou des « petites » grandes entreprises, qui sont confrontées à de vraies difficultés sur leur bilan et devront reconstituer leurs fonds propres.

Air France-KLM est un bon exemple de ce que nous avons voulu faire. Avec les confinements successifs le transport aérien s'est trouvé dans une situation dramatique : une difficulté supplémentaire tient à ce que la fermeture des frontières ne se fait pas de façon coordonnée et simultanée. Aujourd'hui, le groupe Air France-KLM se retrouve dans une situation délicate, à l'instar de toutes les compagnies européennes. Pour cette raison, nous avons privilégié, l'année dernière, le recours à un prêt de l'État actionnaire de trois milliards d'euros ainsi que le prêt garanti par l'État de 4 milliards d'euros que j'ai évoqué, afin de disposer de plus de visibilité. À l'été dernier, nous pensions que le plus fort de la crise était passé. Par précaution, nous avions estimé qu'il n'était pas urgent de procéder à une opération d'augmentation de capital dans la mesure où nous devions d'abord être certains que l'ampleur de la crise impliquait de renforcer les fonds propres du groupe.

La réalité est celle que vous connaissez : un deuxième confinement en France à l'automne mais également en Europe, puis la fermeture du Royaume-Uni et des fermetures en nombre de frontières européennes cet hiver. Nous avons donc préparé avec le groupe une phase de recapitalisation car il était nécessaire avant l'assemblée générale qui se tiendra dans quelques semaines de pouvoir envoyer le signal aux actionnaires et aux créanciers que l'État et les grands actionnaires étaient présents pour soutenir l'entreprise.

Nous avons annoncé une opération de renforcement des fonds propres à travers deux leviers. D'une part, l'émission d'un titre subordonné, c'est-à-dire de la dette perpétuelle, par le groupe à hauteur de 3 milliards d'euros qui sera souscrit intégralement par l'État au travers de la transformation de notre prêt d'actionnaire. Au plan comptable, ces titres sont assimilés à des quasi-fonds propres. D'autre part, le groupe a annoncé qu'il lancerait le moment venu une opération d'augmentation de capital dans un montant maximal de 1 milliard d'euros. Il fera appel aux actionnaires existants mais également au marché. Nous avons annoncé vouloir souscrire à cette augmentation de capital et porter notre participation à un peu moins de 30 % afin de ne pas passer le seuil de l'offre publique d'achat. L'ensemble permettrait donc au groupe d'augmenter son capital de 4 milliards d'euros sans accroitre son endettement au plan comptable.

Pour préparer cette opération, nous avons été en contact permanent avec l'État néerlandais comme nous le sommes depuis deux ans. Hier, Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance et Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports ainsi que leurs homologues néerlandais ont affirmé le soutien commun des deux États à cette opération de renforcement des fonds propres.

Toutefois, l'État néerlandais est dans une situation particulière. Il n'y a pas encore de gouvernement définitif puisque les négociations faisant suite aux élections sont encore en cours. Ensuite, le gouvernement néerlandais souhaite surtout soutenir KLM. À cette fin, l'État néerlandais a octroyé à KLM un prêt d'actionnaire d'un milliard d'euros cet été. S'il souhaitait renforcer les fonds propres de KLM, l'État néerlandais devrait obtenir l'autorisation de la Commission européenne puisqu'il s'agirait d'une aide d'État - autorisation qu'il n'a pas encore sollicitée.

De notre côté, nous avons négocié avec la Commission européenne pendant plus de quatre mois ; les négociations ont été difficiles. Dans sa logique, la Commission européenne considère qu'une aide d'État doit s'inscrire dans le cadre temporaire fixé au printemps dernier. Lorsque l'aide est massive, elle considère que le bénéficiaire doit accorder des contreparties dans la mesure où l'aide modifie le fonctionnement de la concurrence. Elle a, par exemple, imposé à Lufthansa la cession de quarante-huit créneaux en contrepartie de l'aide qu'elle a reçue de la part de l'Allemagne.

Dans le cadre de l'accord trouvé avec la Commission européenne, il a été décidé qu'Air France céderait dix-huit créneaux à Orly au profit de ses concurrents. Cela nous semble très équilibré dans la mesure où nous avons exigé et obtenu que les éventuels bénéficiaires de ces créneaux appliquent strictement les règles fiscales et sociales en vigueur pour Air France à Orly. Il est donc clairement prévu qu'aucun bénéficiaire ne pourra se voir attribuer un créneau s'il ne dispose pas déjà d'une « base » à Orly, c'est à dire des avions, des équipages et des charges payées en France.

Le groupe a également annoncé hier que cette opération de renforcement des fonds propres ne serait pas la dernière, à l'instar de ce qui s'est passé pour Lufthansa et IAG. Une deuxième opération pourrait donc se produire d'ici l'assemblée générale de 2022. Cette première opération pourra, en tout cas, permettre à Air France-KLM de se trouver dans une situation plus favorable pour aborder la reprise de l'activité que nous espérons tous à l'été. Je précise qu'il n'y a pas de problème de liquidité à court terme pour le groupe.

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