Intervention de Martin Vial

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 7 avril 2021 à 10h35
Audition de M. Martin Vial commissaire aux participations de l'état directeur général de l'agence des participations de l'état

Martin Vial, commissaire aux participations de l'État, directeur général de l'Agence des participations de l'État :

S'agissant de la Française des jeux, nous préparons l'attribution d'actions gratuites, conformément à ce qui avait été décidé lors de sa privatisation. Nous ne pouvons pas mesurer en temps réel le maintien de la détention des actions achetées à l'automne 2019 par les actionnaires individuels. Une grande partie des actionnaires initiaux seront attributaires de ces actions gratuites, car ils devraient avoir conservé leurs actions pendant dix-huit mois grâce à la performance de l'action. Il est donc probable que ces actionnaires se verront attribuer des actions gratuites. Nous avions prévu une enveloppe suffisante pour cela.

Pour revenir à la question du traitement maastrichtien des interventions en capital opérées par l'État actionnaire, il faut distinguer deux éléments. La dotation de vingt milliards d'euros va affecter la dette publique, car elle accroît le besoin de financement de l'État. Pour ce qui est de l'utilisation progressive de ces vingt milliards d'euros, Eurostat, qui est seul juge en la matière, décidera s'il s'agit ou non d'opérations financières selon le caractère avisé des opérations, c'est-à-dire selon la capacité de remboursement et de traitement de ces aides. Dans le cadre temporaire fixé par la Commission européenne l'année dernière, les aides d'État ont vocation à être remboursées, soit directement par l'entreprise soit lorsque l'État se défait dans des conditions financières de marché des actifs qu'il aura acquis par ces aides.

Concernant le projet Hercule, le projet de loi « Climat » n'a en effet pas prévu une réforme de la régulation de l'activité nucléaire d'EDF. Cette réforme aurait d'abord une vocation industrielle : le choix de la France est celui d'un mix entre énergie nucléaire et énergies renouvelables, qui va de pair avec un objectif de réduction de la part du nucléaire à hauteur de 50 % d'ici à 2035 ainsi qu'une montée en puissance progressive des énergies renouvelables. L'utilisation du parc nucléaire existant reste dans ce cadre un pilier majeur de la politique énergétique française et EDF est au coeur de cette politique.

La réforme doit permettre à EDF d'investir massivement dans les énergies renouvelables que sont le solaire ou l'éolien terrestre ou en mer. Or, si aujourd'hui EDF est une des entreprises françaises les plus rentables, et génère une marge brute de près de 17 milliards d'euros, cette marge est consommée par des investissements massifs, notamment dans le nucléaire. Le groupe a par conséquent des difficultés à faire face à la fois à ses besoins d'investissements dans le domaine nucléaire et dans les énergies renouvelables. Tout l'objectif du projet de régulation du nucléaire est que l'activité nucléaire soit autofinancée, c'est-à-dire que le prix payé par les clients d'EDF couvre l'intégralité des coûts historiques et des coûts actuels, afin de dégager des marges supplémentaires pour investir dans les énergies renouvelables.

Nous sommes en discussion avec la Commission européenne pour obtenir cette nouvelle régulation et mettre fin à l'Arenh, qui est un système dissymétrique. Le prix de l'Arenh est fixé à 42 euros par mégawatts par heure. Si les prix de marché sont supérieurs à 42 euros, les concurrents d'EDF vont vers EDF pour s'approvisionner en énergie à ce prix. Dans le cas contraire, ils se fournissent directement sur le marché. C'est donc un système perdant-perdant pour EDF, qui ne peut donc pas être pérenne. Nous cherchons à élaborer un dispositif de régulation afin d'en sortir pour permettre à l'activité nucléaire d'autofinancer intégralement ses investissements.

Cette réforme se traduirait selon certains par la séparation d'EDF en trois entités ; il n'en est rien : EDF resterait un groupe intégré avec, à sa tête, la société-mère actuelle, EDF S.A. Elle regrouperait une filiale concernant l'activité hydraulique, qui serait détenue à 100 % par EDF, ainsi que d'autres filiales, comme c'est le cas aujourd'hui par exemple pour l'entreprise Enedis, Edfen pour le renouvelable ou Delkia pour les activités de services. L'idée est de regrouper les filiales du réseau de distribution au sein d'une même entité à l'intérieur du groupe, détenue très majoritairement par EDF S.A. pour développer les activités liées aux énergies renouvelables et attirer les investisseurs. Il s'agit donc de maintenir un groupe intégré. Les discussions avec la Commission européenne sont longues, car celle-ci veut s'assurer que la réforme de la régulation du nucléaire ne se traduit pas par une aide à des activités concurrentielles. Le Gouvernement poursuit ses échanges avec la Commission européenne ainsi qu'avec les organisations syndicales de l'entreprise. Si cette réforme était possible, le Parlement aurait à en connaître pour l'amender ou la faire évoluer.

Allons-nous modifier la doctrine d'intervention de l'État fixée en 2017 du fait de la crise sanitaire ? Nous avions fixé une nouvelle doctrine en 2017, qui a bien entendu évolué au cours des derniers mois. Nous espérons tous qu'au cours du second semestre nous pourrons stabiliser nos interventions, mais cette crise peut avoir des effets de long terme. S'agissant du fonds pour l'innovation de l'industrie, nous avons versé 1,9 milliard d'euros à l'été 2020, correspondant au produit de la privatisation de la Française des jeux, comme annoncé à l'automne 2019. Nous continuerons à l'approvisionner lorsqu'il y aura des recettes nouvelles.

Concernant la responsabilité sociale et environnementale (RSE), les engagements pris seront suivis. Le Parlement a fixé dans les deuxième et troisième lois de finances rectificatives en 2020 des obligations à l'État afin d'obliger les entreprises aidées à accroître leurs engagements en matière d'émissions de CO2. Nous devons rendre au Parlement un rapport sur ce sujet. L'APE a émis une charte RSE envoyée à tous les dirigeants d'entreprises du portefeuille pour fixer les objectifs en matière de responsabilité autour des thèmes suivants : intégrer la RSE dans la stratégie de l'entreprise qui doit comprendre la transition vers une économie bas carbone, agir en tant qu'employeur responsable et générer un impact sociétal positif. Je tiens cette charte RSE à votre disposition.

Monsieur Longuet m'a interrogé sur les conditions dans lesquelles l'État a pris part aux décisions concernant la stratégie d'Engie. Le conseil d'administration d'Engie, au sein duquel siège un représentant de l'État, a approuvé en juillet 2020 la stratégie consistant à se concentrer sur son coeur de métier afin de se développer en tant qu'entreprise tournée vers les réseaux et les énergies renouvelables. Engie a opéré un important mouvement qui consiste à se défaire d'actifs historiques sur les énergies fossiles, notamment en adoptant un programme de sortie du charbon, en adéquation avec les objectifs de la stratégie nationale bas carbone. En revanche Engie a beaucoup investi dans les réseaux, en France, en Europe, mais aussi en Amérique du sud et en Asie, ainsi que dans les services. De ce point de vue, la stratégie de concentration d'Engie sur ses coeurs de métier est essentielle, et, à l'instar d'EDF, Engie ne peut pas tout faire. Or, ces dernières années, Engie s'est un peu dispersée dans des activités variées, de services aux hôpitaux, aux armées, de gestion immobilière, autant de domaines assez éloignés de l'activité énergétique. C'est pourquoi la stratégie qui a été approuvée au mois de juillet dernier consiste à se concentrer sur le développement de la production d'énergies renouvelables et des réseaux, ainsi que des services qui accompagnent ces deux types d'activité. Par conséquent il faudra que, peu à peu, Engie se sépare des autres types d'activité. C'est dans ce cadre que la cession de l'activité eau à travers la participation d'Engie dans Suez a été actée. Ensuite, Véolia s'est manifestée rapidement et l'État s'est prononcé contre la cession du bloc Suez au conseil d'administration qui s'est tenu début octobre. À cette occasion Bruno Le Maire a considéré qu'une opération hostile n'était pas souhaitable entre ces deux opérateurs. L'État a donc approuvé la stratégie de reconcentration d'Engie sur ses activités mais a désapprouvé en conseil d'administration les modalités de cession du bloc de Suez.

S'agissant d'EDF, est-ce que l'Arenh devrait être supprimé et si oui quelle en serait la conséquence pour EDF ? Je voudrais tout d'abord noter que l'Arenh a une durée de vie limitée puisqu'au 31 décembre 2025, ce mécanisme prendra fin. Cette suppression est, en effet, inscrite dans le cadre juridique et il faudra ensuite que l'entreprise fonctionne dans les conditions du marché. Néanmoins, il paraît souhaitable sur le long terme que les consommateurs individuels puissent bénéficier d'un dispositif de régulation qui évite de les exposer à des fluctuations excessives et en particulier à des hausses massives des prix de marché. Les consommateurs français payent un prix très inférieur à la moyenne européenne, notamment à celui de nos voisins allemands. L'objectif est de conserver ces avantages de manière pérenne pour les consommateurs. Nous sommes dans une perspective où ce système asymétrique disparaîtra dans un peu moins de cinq ans et nous souhaitons à travers cette réforme fixer des règles de régulation qui soient durables.

Concernant la doctrine de l'APE, agence qui a été créée il y a maintenant près de dix-sept ans, M. Bocquet m'a interrogé pour savoir s'il existe un objectif visant un niveau minimal de détention. Le fait que l'État détienne des intérêts majeurs dans des entreprises relevant de la souveraineté me paraît faire l'objet d'un consensus, quelles que soient les majorités politiques. Dans la doctrine de 2017, il était très clair que nous devions garder voire réinvestir dans les entreprises de souveraineté nationale c'est-à-dire celles de défense ou relevant de l'indépendance énergétique et nucléaire, en particulier EDF et Orano. Ce pilier me semble commun à tous les courants politiques et restera au coeur de notre doctrine. Il y a aussi un consensus pour considérer que les grands services publics nationaux, tels que la SNCF ou La Poste, doivent rester sous le contrôle de l'État. À cet égard EDF est au croisement de ces deux considérations puisqu'il s'agit d'une entreprise qui exerce une activité de souveraineté dans le domaine nucléaire et qui assure un service public au niveau national.

Concernant les autres entreprises, il y a deux critères à prendre en considération lorsque l'État est amené à céder des participations. Le premier critère est de protéger les intérêts patrimoniaux de l'État en effectuant ces cessions dans des conditions économiques optimales. Le second est de s'assurer, si l'État venait à réduire ses participations ou à se retirer complètement de ces entreprises, qu'il y ait des actionnaires français puissants à sa place. Ainsi, les mouvements de sortie du capital des entreprises commerciales dans lesquelles l'État est présent aujourd'hui ne peuvent pas se faire du jour au lendemain en raison de l'exigence de souveraineté économique consistant à garder un minimum de présence actionnariale française. Cette doctrine rappelée en 2017 reste valable, a fortiori en cette période de crise sanitaire.

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