Ce sujet, de fait, est très important, parce que ces questions immobilières créent sans aucun doute une différence entre les cultes. En effet, il y a ceux qui étaient présents avant la nationalisation des biens du clergé et ceux qui ne sont arrivés qu’après.
Monsieur Savoldelli, je peux entendre l’idée selon laquelle la puissance publique, qu’il s’agisse de l’État ou des collectivités locales, ne doit pas aider les cultes par des espèces sonnantes et trébuchantes. Dans un esprit général, on pourrait ainsi dire : pas de reçus fiscaux, pas de garanties d’emprunt, pas de baux emphytéotiques !
Cela pourrait s’entendre, dans l’épure de la non-reconnaissance et du non-subventionnement des cultes, s’il n’y avait pas une inégalité de traitement de facto entre, d’une part, les édifices cultuels qui ont été rattachés au domaine public, le plus souvent à celui des collectivités locales, à la suite de la nationalisation des biens de l’Église – rappelons que cette nationalisation n’a pas été faite pour le bien de l’Église, mais pour lui confisquer sa puissance financière ! – et, d’autre part, les édifices des autres cultes, à commencer par le culte musulman.
Ce dernier subit en effet une différence flagrante de traitement sur le territoire métropolitain, où aucun de ses lieux de culte, hormis la grande mosquée de Paris, me semble-t-il, n’a été construit ni rénové avec de l’argent public.
Le maire de Tourcoing que j’ai été s’est trouvé face à cette énorme différence : il pouvait dire aux représentants du culte catholique que, les églises appartenant au patrimoine municipal, la commune pouvait financer la restauration de tel retable ou de telle partie à l’intérieur de l’une de ses églises ; en revanche, ledit maire ne pouvait pas intervenir sur les lieux de culte musulman de sa commune, puisqu’ils étaient postérieurs à 1905.
Cette inégalité subsiste donc, si j’ose dire, dans l’égalité que nous souhaitons assurer entre les cultes par le principe de non-reconnaissance.
Pour y remédier, le législateur de l’époque avait imaginé la possibilité de faire bénéficier du régime des baux emphytéotiques administratifs certains cultes, au premier rang desquels, évidemment, le culte musulman.
Arrivent le moment des échéances et les difficultés qu’évoquent les auteurs de ces amendements.
Une seule chose m’inquiète un peu dans ce que vous proposez, mesdames, messieurs les sénateurs : c’est que la cession envisagée se ferait au prix du marché, si j’ai bien lu vos amendements. J’ai certes compris qu’une soulte était envisagée, autour des charges de rénovation, mais il ne faudrait pas aboutir à ceci que, pour racheter un site qui peut être coûteux, qui l’est même tant qu’un bail emphytéotique a été nécessaire pour le financer en premier lieu, on aille emprunter de l’argent à l’étranger.
En effet, le dispositif que vous proposez pose une sorte d’échéance : si les associations cultuelles n’ont pas aujourd’hui les moyens de racheter leur lieu de culte, elles devront rassembler de l’argent rapidement pour être en mesure de le faire à l’expiration du bail. Il serait assez absurde d’en arriver là, alors que ce texte entier a pour objet de limiter les financements étrangers des cultes, de manière à éviter l’ingérence : comme chacun sait, qui paye décide !
Il ne faudrait pas pour autant violer la loi de 1905 : il n’est pas question d’aider directement les cultes. Beaucoup d’édifices cultuels sont concernés : plus d’une centaine dans la seule région Île-de-France dans les années à venir.
J’ai demandé à mes services de me fournir un récapitulatif, année par année, des échéances de ces baux emphytéotiques, mais je n’en dispose pas encore ; je le communiquerai bien volontiers à votre assemblée et à sa commission des lois.
Toujours est-il que j’aimerais que nous soyons d’accord sur ce point : il ne faudrait pas que la cession au prix du marché de ces lieux de culte aboutisse à un financement étranger généralisé du rachat de sites qui avaient été construits avec de l’argent français, fourni par les collectivités locales et singulièrement par les communes.
En même temps, mesdames, messieurs les sénateurs, si je vous proposais de rectifier votre amendement pour que cette cession se fasse à titre gratuit, vous crieriez au scandale, parce que ce serait un subventionnement direct des cultes.
J’estime donc que nous ne sommes pas encore tout à fait mûrs pour répondre à l’interrogation que vous soulevez, alors même qu’il faut vite y répondre. Ce sujet méritera d’être revu dans le prochain texte qui portera, non pas sur les cultes, puisqu’il doit y en avoir un, en moyenne, tous les quinze ou vingt ans et que je ne suis pas très pressé de recommencer le travail collectif qui s’impose toujours sur des questions aussi complexes, mais sur l’urbanisme. Ce travail pourra notamment être mené par votre commission, si vous me permettez cette invitation, mesdames les rapporteures. Je pense en effet qu’il faut résoudre cette équation sans aboutir à un financement par l’étranger du rachat des lieux cultuels qui avaient été financés par des baux emphytéotiques.
J’émettrai donc sur ces amendements un avis de sagesse si leurs auteurs veulent vraiment les maintenir. Il s’agit certes d’une question que se posent vraiment les collectivités locales, les cultes et l’État, mais il n’est nul besoin de se précipiter : il reste encore quelques années avant que l’on entre dans une période de déversement général de ces baux.
Je comprends votre préoccupation, mais je serais heureux que ces amendements puissent être retirés dans la perspective d’un travail à l’occasion d’un texte consacré à l’urbanisme ; je pense que nous ferions sinon de la mauvaise législation.