Ils parlent un arabe de cuisine, pardonnez-moi cette expression, et surtout le français. Le fameux imam de Brest, de triste mémoire, qui prétendait qu’écouter de la musique vous transformait en porc, ne professait pas en arabe ni d’ailleurs ne connaissait l’arabe. Il n’était d’ailleurs pas un imam détaché, fonctionnaire de tel ou tel État. Élevé dans la République, il utilisait quelques mots d’arabe pour faire bonne figure, comme les médecins de Molière faisaient avec le latin, mais véhiculait dans notre langue ses idées funestes.
La difficulté, madame Boyer, ce n’est pas que l’imam parle arabe. Dans un monde absolument sécularisé et assimilé, on pourrait bien sûr imaginer que tout le monde parle français en toutes circonstances ; mais ce n’est pas parce qu’on le souhaite qu’il faut l’imposer à tout le monde.
Le problème, c’est que l’interprétation des textes sacrés, lorsqu’elle est dite en arabe, n’est pas comprise par une partie des gens qui fréquentent le lieu de culte. J’ai eu l’occasion de le dire : la radicalisation se fait moins désormais dans les lieux de culte – cela peut arriver, ici ou là, bien évidemment, mais c’est de plus en plus marginal – que sur internet, où l’on vulgarise, interprète ou présente ce que l’on veut comme une version littérale, salafiste, « salaf », traditionnelle, du Coran. Les musulmans français, et singulièrement les plus jeunes d’entre eux, n’ont malheureusement pas les capacités de construire une libre pensée autour de leur religion à partir de l’interprétation donnée par leur ministre du culte.
Madame Boyer, je vous ai relue avec attention : vous avez beaucoup critiqué le Président de la République lorsqu’il a évoqué, dans son discours des Mureaux, l’apprentissage de l’arabe et du turc dans l’école de la République. Il ne s’agit évidemment pas d’en faire une obligation, mais, comme cela s’est passé pour les diasporas polonaise, espagnole ou portugaise, de faire droit à la volonté d’apprendre la langue des aïeux à l’école de la République. Nous jugeons préférable que la langue soit enseignée non par l’imam ou par un associé de l’imam dans un lieu cultuel échappant à la République, mais bien par des professeurs certifiés ou agrégés. Il y a là, d’ailleurs, une longue tradition française, dont la ville où vous êtes élue depuis longtemps est un symbole.
Il faut évidemment encadrer cet apprentissage, madame Boyer ; mais il ne s’agit pas d’interdire une langue. Quel serait l’effet d’une telle interdiction, si ce n’est renforcer encore le sentiment de vexation chez des gens qui n’ont rien demandé à personne ?
Dans ma ville se trouve une mosquée tenue par les harkis. Ils ont combattu pour la France ; ils ont la Médaille militaire et la Légion d’honneur au veston ; un drapeau français orne les locaux de leur association cultuelle ; ils parlent bien mal français, c’est vrai ; ils veulent seulement vivre leur religion ; s’ils parlent arabe, c’est parce que telle est la langue de leur texte sacré et de leurs traditions. Et, faisant miennes ces propositions excessives, j’irais à Tourcoing les vexer au point de les blesser et de les pousser vers les islamistes en leur disant que la France ne les aime pas ? Cela ne me paraît pas raisonnable.
Pour l’honneur de ce débat, et au nom des arguments que j’ai développés, vous feriez bien de retirer cet amendement.