Je souhaite présenter de façon globale cet article très important du projet de loi, ainsi que les amendements du Gouvernement.
Le ministre de l’intérieur ne peut fermer un lieu de culte qu’à deux conditions.
L’une relève des règles relatives aux établissements recevant du public (ERP) et à l’urbanisme – par exemple, une porte ferme mal, il y a un risque d’incendie, etc. Nous nous mettons alors d’accord avec le maire pour que le site n’ouvre pas, ou pour qu’il soit fermé, pour non-conformité avec le droit de l’urbanisme. Cela n’a donc rien à voir une raison de fond.
Telles sont, pour l’essentiel, les dispositions que nous utilisons aujourd’hui. Mais j’ai déjà eu l’occasion de dire qu’un jour viendra – il est même déjà arrivé – où les ennemis de la République sauront lire le code de l’urbanisme…
L’autre condition a pour fondement la loi SILT : on ferme un lieu de culte parce qu’il est directement lié à un attentat terroriste qui a eu lieu. Cette mesure s’applique dans des conditions extrêmement sévères, parce que la liberté de culte, au sens constitutionnel du terme, est très fortement protégée dans notre pays.
Dans l’exemple de la mosquée de Pantin, où plusieurs faits étaient reprochés au dirigeant de l’association cultuelle, et prouvés : il avait relayé la vidéo appelant à l’« assassinat » de Samuel Paty. Le juge administratif a considéré que les arguments invoqués par le ministère de l’intérieur pour fermer ce lieu de culte étaient justes. Ayant observé que le lieu de culte musulman le plus proche se situait à 12 kilomètres de cette mosquée, le juge en a conclu que la décision était proportionnée, car les fidèles pouvaient exercer leur culte pas très loin.
Autrement dit, si le lieu de culte le plus proche avait été beaucoup plus distant, cette décision aurait sans doute été annulée par le juge administratif, et ce en dépit du lien constaté avec l’attentat terroriste.
Aujourd’hui, une troisième condition nous permet de fermer un lieu de culte : les règles sanitaires actuelles. Je ne la développerai pas, car nous espérons tous que cette situation ne perdurera pas.
Je n’ai donc pas les moyens – pas plus qu’aucun ministre de l’intérieur avant moi et qu’aucun autre à l’avenir, sauf si cet article 44 était adopté – de prendre la décision de fermer des lieux de culte, de façon temporaire, le temps de « faire le ménage » parmi des responsables de ces lieux qui auraient prononcé certaines paroles ou commis certains actes. Je rappelle que, même en cas de terrorisme, la fermeture est toujours temporaire, jamais définitive.
Ainsi, je ne peux pas fermer un lieu de culte parce que l’un de ses responsables aurait dit, par exemple, qu’il faut exterminer les juifs, que les chrétiens sont des mécréants, que les femmes ne sont pas les égales des hommes, que l’on se transforme en porc quand on écoute de la musique, toutes joyeusetés que l’on peut entendre et qui sont profondément contraires aux valeurs de la République.
Nous pouvons certes poursuivre ces personnes, judiciairement parlant, mais, j’y insiste, nous ne pouvons pas fermer le lieu de culte, quand bien même seraient impliqués le président de l’association, le ministre du culte ou une personne ayant un grand ascendant sur les fidèles.
L’article 44, mesdames, messieurs les sénateurs, est très important, parce qu’il vise à donner une arme contre un séparatisme qui est en lien direct, non pas avec un attentat terroriste, mais avec cette atmosphère contraire à la République et à la France que nous essayons de combattre.
Cet article dispose en effet que de tels propos, qui provoquent à la haine, à la violence et incitent à la sédition, justifient la fermeture du lieu de culte.
L’article 44 est extrêmement important, je le répète, car il permettra de répondre à ces manchettes de journaux qui demandent pourquoi on ne ferme pas les cent lieux de culte séparatistes qui existent. Le commun des mortels doit également se poser cette question… Or, si on ne les ferme pas, c’est parce que la loi ne permet pas au ministère de l’intérieur de les fermer !
J’ai eu l’occasion de recevoir du courrier de la part de M. Ravier, mais aussi de nombreux parlementaires, qui me demandent la même chose : « Tels faits sont prouvés et établis, telle association a tenu tels propos, on y accède sur internet ; pourquoi ne fermez-vous pas ce lieu de culte ? »
Je le répète, en l’absence d’attentat terroriste, et si les règles relatives aux ERP sont respectées, je ne peux procéder à ces fermetures.
L’article 44 vise donc à lutter contre le séparatisme et contre tous ceux qui prônent la haine contre la République.
Il est équilibré. Le Conseil d’État et le juge constitutionnel vont en effet soupeser au trébuchet ce qui relève, d’une part, de la sécurité publique, de l’ordre public, de l’intérêt supérieur de la Nation, et, d’autre part, de la liberté fondamentale qu’est la liberté de culte.
J’ai déjà eu l’occasion de dire que le juge, malgré les attentats terroristes et la véracité des propos, retracés dans les notes de renseignement qui lui sont fournies et qui ne font l’objet d’aucune contestation, examinait ces éléments attentivement, en les mettant en balance avec l’importance de la liberté de culte, quitte à annuler telle ou telle décision administrative.
Cet article est assez révolutionnaire, puisque c’est la première fois que la République se dote de tels moyens ; même en 1905, cela n’avait pas été le cas.
Encore une fois, il s’agit d’une pesée au trébuchet : toute disposition too much, comme on dit en patois nordiste – n’est-ce pas, madame la présidente Létard ?