Nous avons déjà eu ce débat en commission. Je ne ferai pas de long discours, car chacun en connaît les termes.
Ce projet de loi n’a pas pour objet de faire le procès de l’instruction à domicile ou en famille. C’est même le contraire : comme beaucoup de libertés, celle-ci a besoin d’être précisée par la loi afin de disposer d’une assise plus solide.
Je ne referai l’histoire constitutionnelle ni de la liberté d’instruction en famille ni de la liberté d’enseignement. Néanmoins, comme vous le savez, lorsqu’en 1977 le juge constitutionnel a consacré la liberté d’enseignement, il s’est référé aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République en se fondant sur la loi de finances pour 1931, texte par définition postérieur à la fois à la loi de 1905 et aux lois des années 1880 sur l’école – ces dernières sont d’ailleurs les premières lois sur la laïcité, abordée à travers le prisme de l’école.
Les travaux législatifs des années 1880 montrent que l’instruction en famille n’est pas du tout partie prenante de la nouvelle logique éducative installée par les lois de la République. Au contraire, elle apparaît comme une sorte de survivance historique, notamment du préceptorat qui se pratiquait dans les familles les plus aisées. Cette histoire n’est évidemment que l’un des aspects de la question, mais elle est importante dès lors que des questions constitutionnelles, et même philosophiques, sont soulevées.
Depuis plusieurs mois, les choses ont parfois été un peu caricaturées. Nous n’avons jamais eu l’objectif d’en finir avec l’instruction en famille. Pour autant, des pays tels que l’Allemagne, la Suède ou l’Espagne, qui ne sont pas considérés comme antidémocratiques, ont interdit l’instruction en famille sans être censurés pour cela par la Cour européenne des droits de l’homme qui émet des signaux que je qualifierais de « cousins » de ceux qu’envoie notre Conseil constitutionnel.
Il reste que les questions relatives au statut de l’instruction en famille sont légitimes, et je ne doute pas que le Conseil constitutionnel produira prochainement une jurisprudence qui nous apportera le cadrage nécessaire.
Nous aurions pu adopter une position à l’allemande, à la suédoise ou à l’espagnole, si vous me permettez l’expression. Nous ne l’avons pas fait, car nous avons choisi le dialogue, non seulement avec le Conseil d’État, ce qui nous a conduits à apporter de premières évolutions au projet initial, mais aussi avec le monde des familles qui se sont beaucoup mobilisées.
Nous avons écouté et compris un certain nombre d’arguments, ce qui nous a conduits à augmenter le nombre d’exceptions initialement prévu. Ainsi, au-delà des seuls enfants qui ont besoin de l’enseignement en famille du fait de leurs problèmes de santé, d’autres catégories d’enfants pourront également en bénéficier. Cet élargissement des possibilités d’exception indique clairement que nous ne visions que l’instruction en famille dévoyée à des fins de ce que l’on nomme séparatisme.
Nous n’avons pas inventé ce séparatisme : il existe bel et bien, et il peut arriver qu’il prenne la figure de l’instruction en famille. Nous savons qu’il y a de la bonne et de la mauvaise instruction en famille, et nous serions en tort si nous ne faisions pas la distinction entre les deux. Seront en tort tous ceux qui ne font pas cette distinction en faisant semblant de ne pas voir les problèmes. Plus de la moitié des enfants qui fréquentent les structures que nous démantelons les fréquentent sous couvert de l’instruction en famille. Devrions-nous ne rien faire ?
Que pensent ceux qui tous les jours critiquent le Gouvernement en affirmant que nous n’en faisons pas assez contre le radicalisme islamiste et qui, sur ce sujet, deviennent comme aveugles aux problèmes réels qui se posent sur le terrain ? Faites des propositions, mais vous ne pouvez pas affirmer que l’instruction en famille ne pose aucun problème ! Oui, elle pose un problème : un problème de séparatisme, et pas seulement au titre du radicalisme islamiste, mais également au titre des sectes et de tout autre phénomène du même ordre.
Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, ce texte ne défend pas seulement les valeurs de la République, mais les droits de l’enfant. En réalité, c’est la même chose : lorsqu’on défend les valeurs de la République, on défend les droits de l’enfant, et vice-versa.
Il est assez facile – j’en ai malheureusement été témoin – de faire de la démagogie en faisant comme si on ne voyait pas les problèmes. Je n’ignore pas ce que votre Haute Assemblée s’apprête à voter : chacun prendra ses responsabilités dans les débats futurs sur cette question, car il est un peu facile d’être contre le séparatisme tel qu’il se manifeste dans notre société dans des discours généraux, tout en manquant du courage politique nécessaire pour aller droit au but et remédier aux phénomènes que l’on observe.