Intervention de Nicole Bricq

Réunion du 30 septembre 2010 à 15h00
Conventions fiscales avec la suisse la belgique et le luxembourg — Adoption définitive d'un projet de loi en procédure accélérée et adoption définitive de deux projets de loi

Photo de Nicole BricqNicole Bricq :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la tenue de ce débat aujourd’hui, à l’occasion de l’approbation d’avenants à des conventions entre la France et un certain nombre de pays, dont la Suisse, est une très bonne occasion pour les parlementaires de rappeler le mandat que nous donnons au Gouvernement et au Président de la République, dans la droite ligne du G20 de Londres, pour lutter contre les trous noirs de la finance, plus communément appelés « paradis fiscaux ».

Je remercie le président Arthuis d’avoir pris cette initiative, anticipant la demande qui aurait pu lui être faite. Ce débat fait suite à celui que nous avons tenu le 12 juillet dernier ; je pense que c’est là une très bonne habitude que le Sénat a prise, et qu’il doit garder.

Madame la ministre, il est possible d’agir au plan national à partir de deux principes auxquels, je crois, nous pouvons tous souscrire : la transparence et le contrôle.

Tout d’abord, au sujet de la transparence, je voudrais dire un mot des États-Unis, qui nous précèdent depuis mars 2010.

En effet, les États-Unis ont fait un premier pas en direction de la levée du secret bancaire pour les acteurs financiers privés étrangers qui souhaitent investir sur leur territoire avec le vote de la loi dite « FATCA » – pour Foreign Account Tax Compliance Act –, qui oblige les établissements financiers étrangers souhaitant investir sur le territoire américain à révéler aux autorités l’identité de leurs clients quand ceux-ci sont ressortissants des États-Unis.

À partir du 1er janvier 2013, si les clients souhaitent conserver leur anonymat, les banques devront prélever une retenue à la source de 30 % sur le résultat des investissements, un niveau assez dissuasif. Avec cette loi, les États-Unis mettent en effet en place rien de moins qu’un échange automatique d’informations fiscales entre les établissements financiers étrangers et leur gouvernement, une obligation de déclarer les comptes.

La mesure a suscité un véritable tollé en Suisse, pays qui devra désormais s’assurer d’obtenir une dérogation, puisque sa loi bancaire lui interdit de fournir ce genre d’informations. Mais l’on voit mal les banques suisses se résoudre à ne plus investir aux États-Unis !

Ainsi, par le biais d’une locate rule, les États-Unis ont mis un pied dans la porte jusqu’ici fermée du secret bancaire, en attendant une révision des standards de l’OCDE, lesquels n’admettent pas, pour l’instant, l’automaticité dans les conventions que nous signons.

Cela signifie, je le dis en français pour ne pas paraphraser une formule devenue un lieu commun, que c’est possible : ce que les États-Unis ont fait, on peut le faire à un niveau national !

Les conventions soumises à notre approbation sont une mise en conformité avec les standards de l’OCDE, qui a permis aux paradis fiscaux de sortir de la liste noire en quelques mois sans changement de leurs pratiques.

L’article 26 du modèle de convention fiscale OCDE établit une obligation d’échanger des renseignements « qui sont vraisemblablement pertinents » pour l’application correcte d’une convention, ainsi que pour la gestion et l’application des législations fiscales nationales des États contractants. On est donc loin de l’automaticité des échanges d’informations introduite sur le territoire américain !

J’en viens à l’avenant du 27 août 2009 à la convention franco-suisse, avenant que vous avez signé pour le compte de la France, madame la ministre, avec le Président de la Confédération helvétique. Cet avenant est censé lever le secret bancaire entre les deux États en cas d’évasion fiscale.

Il y a quelques mois, à la suite de l’affaire du fichier HSBC et de l’utilisation des données par le fisc français, la Suisse avait suspendu avec fracas le processus de ratification. Les autorités helvétiques considéraient que cela revenait à une « pêche aux renseignements », à un fishing, qui ne s’inscrivait ni dans la convention OCDE ni même dans l’avenant en cours d’approbation.

L’enjeu est lourd, il est diplomatique et financier. En reprenant le processus de ratification de la convention avec la France, la Suisse souhaite, me semble-t-il, tenir ses engagements afin de respecter les standards OCDE qui lui ont permis de sortir de la liste grise des paradis fiscaux.

Sans doute nos amis suisses ont-ils mesuré le risque qu’il y aurait eu pour eux à se retrouver sur notre liste des États et territoires non coopératifs, puisque la France dispose de sa propre liste. Aux termes des dispositions – soutenues, je le rappelle, par le groupe socialiste - que nous avons prises dans la loi de finances rectificative de décembre 2009, cette liste devrait être révisée d’ici à la fin de l’année 2010.

Toutefois, cet avenant est limitatif. Pouvait-on faire plus ? Je reconnais, madame la ministre, que le pas diplomatique peut quelquefois l’emporter sur l’impératif financier et le but recherché.

J’y vois quand même une occasion manquée de mettre la France, qui va présider le G20, au premier rang, ô combien exemplaire, des pays qui, tirant vraiment la leçon de la crise financière, poussent, après les États-Unis, à la révision du standard OCDE et à la levée du secret bancaire.

D’autant que le débat politique sur le sujet a cessé d’être tabou en Suisse et y est désormais ouvert. Dans son édition du 30 avril 2010, le quotidien Le Temps a ainsi publié un article amenant à négocier le passage à l’échange automatique. Ce qui n’était ni possible ni même envisageable le devient ! Des hommes politiques locaux et des ONG soutiennent le projet.

Rappelons – rappel utile parce que nous avons aussi des avenants aux conventions avec des pays de l’Union européenne et des pays de la zone euro – que l’article 26 du modèle de convention OCDE avait suscité les réserves de l’Autriche, de la Belgique et du Luxembourg, qui, avant la crise des subprimes, ne consentaient à fournir des informations aux fiscs étrangers qu’en cas de fraude fiscale avérée.

Finalement, en mars 2009, tous ces pays ont indiqué à l’OCDE qu’ils retiraient leurs réserves et acceptaient donc le principe d’échanges d’informations dans le cas d’évasion fiscale.

Si cet avenant-ci est extrêmement important, c’est en raison de la place financière de leader qu’occupe la Confédération helvétique : faire évoluer la pratique de nos amis suisses permettrait d’accroître la pression sur les autres et, surtout, de faire évoluer le standard OCDE.

Un autre obstacle demeure, madame la ministre, et nous concerne nous particulièrement, nous, pays de l’Union européenne : je veux parler de la directive « Épargne » de 2003.

La Commission a proposé une révision de cette directive en novembre 2008 ; le Parlement européen l’a adoptée, amendée, en avril 2009. Force est cependant de constater que, actuellement, cette révision, qui est fondamentale pour l’objectif qui est le nôtre, est bloquée sur le bureau du Conseil européen.

Je voudrais rappeler – nouveau rappel historique utile – que cette directive était entrée en vigueur cinq ans après l’accord unanime intervenu à ECOFIN en 2000. Il a fallu cinq ans de négociations ! Elle a fait l’objet d’ajustements pour tenir compte de l’évolution des produits d’épargne, ainsi que des produits d’assurance vie, du comportement des investisseurs et des contournements réalisés par des paiements d’intérêts transitant par des structures intermédiaires non imposées, les fameux paradis fiscaux.

Or le Luxembourg, la Belgique et l’Autriche, pays membres de la zone euro, ont obtenu un sursis par rapport à l’obligation d’information. À titre de mesure transitoire, ces États doivent en effet opérer une retenue à la source de 20 %, qui devrait être portée à 35 % au 1er janvier 2011.

On comprend donc que, au sein du Conseil, les pays qui ne veulent pas abandonner leur avantage fassent de la résistance. Ils nous mettent, nous, Européens, en difficulté : comment souligner le retard pris dans les négociations internationales sans nous exposer à nous entendre dire qu’il faut d’abord faire le ménage chez nous !

Le retard pris par le Conseil dans la ratification définitive de cette directive « Épargne » empêche la clarification des orientations prises en Europe en matière de lutte contre la fraude fiscale.

Madame la ministre, je voudrais que le Gouvernement saisisse ce que l’on appelle en mauvais français une « fenêtre d’opportunité » pour le faire, parler fort, peser et obtenir des résultats afin de remédier à cet état de fait et réviser cette directive ; je pense que nous pouvons tous nous retrouver sur cet objectif.

J’en arrive au contrôle, ce qui nous intéresse directement, nous, parlementaires, dans notre mission de contrôle de l’exécutif. Car signer des conventions ne saurait nous exonérer de cette mission essentielle à laquelle je vous sais, monsieur le président de la commission des finances, fortement attaché.

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