Intervention de Bernard Vera

Réunion du 30 septembre 2010 à 21h30
Régulation bancaire et financière — Suite de la discussion d'un projet de loi

Photo de Bernard VeraBernard Vera :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voici ce que l’on peut lire dans le préambule du rapport d’étape de novembre 2008 issu des travaux du groupe de travail Assemblée nationale-Sénat sur la crise financière internationale : « Il est nécessaire de revoir la ligne de partage entre autorégulation et régulation et de replacer les États et donc la politique au centre du jeu monétaire et financier international ».

Chacun se souvient également des déclarations du Président de la République sur la nécessité de moraliser et de refonder le capitalisme. Ainsi, en septembre 2008 : « Une certaine idée de la mondialisation s’achève avec la fin d’un capitalisme financier qui avait imposé sa logique à toute l’économie et avait contribué à la pervertir ». Et le Président de la République de conclure : « Alors, ou bien les professionnels se mettent d’accord sur des pratiques acceptables, ou bien nous réglerons le problème par la loi avant la fin de l’année ».

Si nous examinons le chemin parcouru depuis la crise systémique découlant, entre autres, des défauts de paiement sur les subprimes et de la faillite de la banque d’affaires Lehman Brothers, nous ne pouvons que constater que ces déclarations, purement incantatoires, n’ont pas été suivies d’effet.

Malheureusement, avec le projet de loi dit de régulation bancaire et financière qui nous est présenté aujourd'hui, nous sommes bien en deçà de ce qui est nécessaire afin de « réglementer les banques pour réguler le système », selon les propres termes de Nicolas Sarkozy.

Pour sa part, notre groupe considère que les dérèglements des marchés financiers par le développement d’outils et de supports de plus en plus sophistiqués et spécialisés sont l’un des vecteurs essentiels d’une mondialisation qui ne profite qu’à quelques-uns et qui, malgré le développement des échanges et l’émergence de nouvelles puissances économiques, ne permet pas de répondre aux attentes de la majorité de la population.

Les tensions de l’été et de l’automne 2008 nous ont d’ailleurs permis, à la suite de l’intervention massive des États dans le fonctionnement des marchés financiers, de constater une nouvelle forme de crise financière, à savoir une crise obligataire qui a affecté des pays comme l’Espagne ou la Grèce, notamment.

C’est ainsi que nous nous sommes trouvés confrontés au plan de sauvetage de la Grèce, que notre groupe a qualifié de « plan de sauvetage des créanciers de la Grèce », puisque l’argent public mobilisé, notamment en France, pour sauver ce pays de la banqueroute ne l’était que pour permettre aux banques de s’exonérer d’un risque supporté désormais par les États.

Depuis, ce furent deux ans de tensions, deux ans de sommets internationaux, deux ans de négociations.

Portant sur la régulation bancaire et financière, le texte qui nous est présenté aujourd’hui constitue un aboutissement, un point d’orgue, pour des dispositions déjà prises afin de prétendument « moraliser » et « refonder » le capitalisme en stabilisant les marchés.

Le projet de loi comporte deux volets essentiels.

Le premier volet porte sur la régulation des activités de bourse et des activités bancaires. Il s’agit de renforcer le rôle et les prérogatives de l’Autorité des marchés financiers, l’AMF, et de mettre en place les conditions d’un contrôle prudentiel renforcé des activités de banque, d’une part, en transposant une directive européenne et, d’autre part, en mettant en œuvre une partie des recommandations du Comité de Bâle sur les ratios de fonds propres des établissements de crédit.

Le texte comporte également des mesures relatives au financement par les marchés des grandes entreprises inscrites à la cote officielle. Ces mesures, à notre sens, n’apportent pas de modifications substantielles à la situation existante.

Le second volet du texte porte sur le financement de l’économie et organise la privatisation rampante de l’établissement public de crédit aux PME, OSEO, au motif affiché de lui donner une plus grande efficacité dans l’action qu’il mène en direction des entreprises.

De telles mesures, complétées par des opérations sur le crédit foncier et le crédit immobilier, ne permettent pas, en réalité, de tirer de conclusions fondamentales sur le travail accompli par les parlementaires depuis deux ans au regard de la situation, qui est celle d’une crise systémique.

Si ce projet de loi doit constituer un point d’orgue dans la série des textes consacrés à guérir, puis à prévenir les effets de la crise systémique, qu’il me soit permis de dire que nous sommes loin, très loin du compte.

Ainsi en est-il de l’activité des autorités de contrôle. Poussés par les directives communautaires dans des domaines fort divers, les pays de l’Union européenne ont tous été amenés à créer des autorités indépendantes de contrôle pour s’occuper des marchés financiers et pour réguler différents secteurs, l’énergie, les postes et télécommunications ou encore l’audiovisuel.

Ces autorités indépendantes sont conçues, de fait, dès le départ, comme des outils de démembrement de la puissance publique, puisque ce qui relevait de la compétence de l’État, légitimé par le suffrage universel, est confié à un aréopage sans autre légitimité que celle découlant de la désignation de ses membres par des autorités élues.

Chaque autorité indépendante devient de facto une instance de contrôle non démocratique puisqu’elle dicte à la fois la loi et le règlement à l’ensemble des acteurs intervenant dans son champ de compétence.

L’Autorité des marchés financiers n’échappe pas à cette règle. Elle est même dotée d’un impressionnant règlement intérieur qui participe de son intervention autonome.

Nous ne savons pas si les droits et pouvoirs de l’AMF se trouveront renforcés par l’éventuelle adoption de ce texte. Mais, ce que nous savons, c’est que le renforcement du rôle de l’autorité de contrôle n’a pas conduit l’Autorité des marchés financiers à intervenir dans une affaire de présumés délits d’initié comme celle d’EADS. Fixer un cadre aux sanctions susceptibles d’être prononcées par une autorité indépendante alors que de telles sanctions n’ont pas été prises dans cette affaire, bien qu’elles aient paru évidentes, prouve qu’il ne faut accorder qu’une confiance limitée aux prérogatives de telles structures.

Je ferai quelques observations sur les ratios de Bâle III, éléments importants du premier volet de ce texte.

La crise systémique a montré la nécessité qu’il y avait pour nos banques d’être en situation de disposer de fonds propres afin de faire face aux risques, d’autant que la diversification des implantations des banques et des entreprises d’investissement de notre pays est suffisamment large pour susciter des facteurs de risque.

Le renforcement des fonds propres, déjà éprouvé avec les récents stress tests que les banques françaises auraient passés avec succès, est sans doute une nécessité, mais il présente un caractère contradictoire. En effet, rien n’empêche nos établissements de crédit de répondre aux recommandations du Comité de Bâle en réservant leurs crédits aux entreprises comme aux particuliers les plus solvables et en relevant leurs marges commerciales.

Pour ne donner qu’un exemple hexagonal, n’oublions pas que les banques, depuis la banalisation du livret A, disposent d’un instrument financier rémunéré à moins de 2 points, alors qu’elles ont besoin d’instruments de refinancement à un taux deux fois plus élevé. N’oublions pas non plus que l’ouverture à la concurrence leur a rapporté 4, 2 milliards d’euros tirés de l’épargne populaire. C’est autant d’argent qui manque aujourd'hui pour loger les sans-abri et les mal-logés.

Nous avons une proposition pour répondre aux exigences du Comité de Bâle : que l’État, par son intervention directe ou par celle d’un établissement spécialisé, acquière une partie du capital de nos grandes banques et imprime de nouvelles orientations dans l’attribution des crédits aux particuliers comme aux entreprises, en favorisant les crédits consacrés au développement réel de l’emploi et de la production ainsi qu’à la satisfaction effective des besoins des ménages, par exemple le logement.

Venons-en à la question du passeport européen et à sa diffusion auprès des entreprises d’investissement qui en feraient la demande.

Ce débat, évidemment, nous ramène à celui que nous venons d’avoir sur les enjeux des conventions fiscales concernant trois de nos voisins, la Suisse, la Belgique et le Luxembourg.

La France, par la voix de son Président de la République, s’enorgueillit d’avoir fait valoir au niveau international la nécessité de lutter contre les paradis fiscaux. Le fameux « listage » des territoires non coopératifs, tel qu’il résulte des initiatives prises depuis deux ans, tendra, dans les faits, à estomper de plus en plus les pratiques délictuelles en les parant de l’apparence de la légalité. Car là est bien l’enjeu !

Nous ne croyons pas même l’espace d’un instant que les efforts de moralisation du capitalisme feront disparaître comme par enchantement les produits dérivés, les ventes de gré à gré, les ventes à découvert ou la titrisation. Ces véhicules de l’industrie financière créent trop de richesses, même artificiellement, pour disparaître.

Au demeurant, lorsque la proposition de loi instituant la fiducie a été votée au Sénat, inspirée en cela des trusts ou des sociétés de patrimoine familial de la législation luxembourgeoise, on a bien donné le vernis de la légalité à une pratique qui aurait pu procéder du délit, en d’autres temps…

Je ne crois pas que l’évasion fiscale soit meilleure quand elle est pratiquée en France sur des supports fournis par le droit français. C’est toujours de l’évasion fiscale, c'est-à-dire un procédé qui permet à quelques contribuables, particuliers ou entreprises, de se délester légalement de leurs obligations à l’égard de la société.

Ce gouvernement s’est d’ailleurs fait une spécialité de donner le vernis de la légalité à des activités délictuelles. N’a-t-on pas opportunément, au printemps dernier, fait adopter la loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, qui a rendu légale et visible l’offre de jeux d’opérateurs privés jusqu’ici situés dans le non-droit ?

Cette ouverture du marché s’est faite au bénéfice de quelques opérateurs hier illégaux et devenus aujourd'hui légaux. L’autorité de régulation s’attache désormais à défendre les intérêts de ces derniers en faisant la chasse à quelques sites illégaux qui tentent de contourner les règles.

Je crains qu’il n’en aille de même avec le passeport européen.

Je doute que l’on finisse par interdire à certains opérateurs financiers, investis dans le produit risqué ou très risqué, dans le produit dérivé, d’agir sur les places financières européennes, à commencer par la France. En effet, ces pratiques sont la spécificité de l’industrie financière britannique, luxembourgeoise et, en partie aussi, française.

Par ailleurs, les velléités de certains pays désireux d’interdire de telles pratiques se heurteront, selon moi, très rapidement à des fins de non-recevoir de la part de la Commission de Bruxelles, attachée aux principes de libre circulation des capitaux.

Quand on pense que la taxe sur les transactions financières, proposée par le Président de la République, a été purement et simplement balayée du revers de la main par le président de la Commission européenne, M. José Manuel Barroso, prétextant la perte de compétitivité de l’économie européenne et des problèmes de caractère technique, on voit que beaucoup de chemin reste à faire ! À moins que le discours présidentiel n’ait été qu’une affaire de posture…

Enfin, sur le financement des entreprises, plutôt que de renforcer OSEO en lui donnant le statut de société anonyme, c’est-à-dire en laissant la porte ouverte aux cessions partielles de capital, et de lui permettre de soutenir la comparaison avec la Caisse de dépôts et consignation, ce projet de loi aurait dû mettre l’accent sur la nécessité de la constitution d’un véritable pôle public de financement des PME. Au lieu de quoi, le texte qui nous est soumis conforte dans une logique de concurrence des établissements poursuivant des objectifs proches.

Au cours de ce débat, nous aurons l’occasion de présenter et de défendre des propositions que nous pensons de nature à mettre un terme à la domination des marchés et à rétablir le primat du politique.

Vous l’aurez compris, chers collègues, nous ne voterons pas ce projet de loi, sauf modifications substantielles résultant de l’adoption des amendements que nous avons déposés.

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