Intervention de Jean-Michel Blanquer

Réunion du 7 avril 2021 à 15h00
Respect des principes de la république — Articles additionnels après l'article 24 decies

Jean-Michel Blanquer :

Monsieur le sénateur Ouzoulias, pour complaire au président Kanner, je vais vous faire une réponse substantielle, je m’en excuse par avance auprès de la présidente de séance.

Le sujet est très important, parce qu’il souligne la question de la liberté pédagogique, dont les contours méritent d’être toujours précisés. Elle est déjà consacrée dans la loi de 2004, mais aussi dans la loi pour une école de la confiance. Au sujet de son article 1er, les commentaires ont beaucoup insisté sur la dimension d’exemplarité ; n’oublions pas, toutefois, que le point le plus important se trouve sans doute dans la deuxième phrase, qui impose une obligation de respect vis-à-vis du professeur de la part des élèves, mais aussi de la part de leurs familles. Bien entendu, cette conviction est très ancrée en moi, comme en beaucoup de Français : on respecte le professeur, il est au centre de la société, et sa liberté pédagogique.

S’agissant des enjeux de laïcité, sous-jacents à cette liberté, ils sont malheureusement tristement d’actualité au titre de l’affaire Samuel Paty, mais aussi, chacun l’a vu, en Angleterre. C’est inquiétant, et cela corrobore ce que nous avons dit sur ces sujets ces derniers mois. Les prémices de cet incident ressemblent terriblement à l’affaire Paty : un professeur exerce sa liberté pédagogique et se trouve contesté par des parents qui s’estiment blessés par le fait que l’enseignant a parlé de liberté d’expression au travers de caricatures. Or cela a donné lieu à des réactions que je qualifierais de lâcheté.

Mon objectif n’est pas de m’étendre sur la vie interne de l’Angleterre, mais de revenir sur un point qui a été très bien évoqué par plusieurs sénateurs depuis le début de nos débats. La laïcité n’est pas un concept chétif et défensif, mais correspond, sous tous les cieux, à quelque chose que tout le monde peut comprendre : nous voulons vivre bien, fraternellement, en nous respectant les uns les autres, sans pression religieuse des uns sur les autres. C’est bien le sens de tout ce que nous faisons.

Trop souvent, au cours des débats, notamment au sujet des enjeux intergénérationnels, on a eu le sentiment que la laïcité serait un principe un peu vieillot et désuet. À mes yeux, c’est tout le contraire. Parfois sous d’autres noms dans d’autres pays, par exemple secularism chez les Anglais, elle veut dire quelque chose et elle est défendue par des gens qui pensent la même chose que nous aujourd’hui. Nous devons donc la porter fortement.

Je fais ce détour pour dire que je partage l’esprit de vos propos et que, comme l’a rappelé le rapporteur pour avis, le texte dont nous sommes en train de discuter consacre le délit d’entrave et va donc loin pour interdire que l’on empêche un fonctionnaire, en l’occurrence un professeur, d’exercer son métier. Le faire serait commettre un délit.

Ce projet de loi va plus loin que votre proposition. La liberté pédagogique est par ailleurs consacrée doublement par la loi. Votre amendement me semble donc largement satisfait, mais il est exact que nous devons encore avancer, de manière infralégislative, sur ces questions. C’est pourquoi j’ai demandé il y a plusieurs mois à la direction générale de l’enseignement scolaire, en lien avec l’inspection générale, de travailler sur cette question presque contractuelle entre les parents et l’école.

Tout système éducatif tire ses qualités de la formation des professeurs, dont nous parlons beaucoup, mais aussi de la relation entre les parents et l’école, à travers tout ce qui permet de la nourrir, notamment le dialogue. Ce n’est pas un point fort du système français, et nous devons l’améliorer.

Cette relation prend trop souvent une forme un peu agressive, à la faveur d’une certaine nervosité qui traverse notre société. Nous devons donc tout faire pour qu’elle soit empreinte de respect, d’apaisement et de dialogue. C’est pourquoi les textes infralégislatifs qui découleront, au cours des prochains mois, de ce travail interne sont importants.

Vous voyez que ma pente est favorable à l’esprit de votre amendement. Néanmoins, je vous invite à le retirer, car il me semble satisfait.

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