Intervention de Roger Karoutchi

Mission commune d'information Effets des mesures en matière de confinement — Réunion du 13 avril 2021 à 9h00
Examen des recommandations relatives à la réouverture des lieux culturels

Photo de Roger KaroutchiRoger Karoutchi, rapporteur :

Nous avons pu mesurer, lors des différentes tables rondes, à quel point les établissements culturels souffrent de la crise sanitaire. Je ne reviendrai pas sur le fait de savoir si ces activités sont essentielles ou pas ; elles sont essentielles, et même prioritaires, pour la vie sociale.

L'ensemble du secteur enregistre de lourdes pertes. Cela est particulièrement vrai pour les structures privées, mais les structures publiques ou subventionnées ne sont pas non plus épargnées, sachant l'importance prise par leurs ressources propres au cours des dernières années ; à cela s'ajoute pour elles le retrait d'un certain nombre de mécènes dans le contexte actuel, comme cela a été signalé dans plusieurs tables rondes.

Nous avons pu malheureusement constater que les assurances n'avaient pas joué leur rôle, poussant de nombreux festivals à annoncer, d'ores et déjà, l'annulation de leur édition 2021 dans un contexte de grande incertitude. Beaucoup d'établissements indiquent ne plus disposer d'aucune réserve de trésorerie dans la perspective de la reprise. Le financement de la création, dans les années à venir, pourrait s'en trouver considérablement affecté, d'autant qu'une partie du soutien public aux secteurs de la musique et du cinéma est financée par le produit des taxes affectées prélevées sur les recettes de billetterie.

Pour autant, les exemples des établissements étrangers montrent que les établissements culturels en France ont, par comparaison, été plutôt correctement accompagnés par les pouvoirs publics, avec des prises en charge et des subventionnements beaucoup plus importants que chez la plupart de nos pays voisins. Je ne reviendrai donc pas sur les multiples dispositifs de soutien.

La fermeture des établissements culturels et l'interdiction des grands rassemblements ont néanmoins un coût économique et social élevé. Elles privent les Français des principales voies d'accès à la culture, malgré les efforts déployés par les acteurs culturels pour développer leurs offres numériques - faible compensation par rapport à l'activité « normale ».

Aujourd'hui, le sentiment prédominant des acteurs culturels est plutôt la crainte d'une perte des savoir-faire et d'une évolution des habitudes du public liée à la durée de leur fermeture. Aucun établissement, une fois rouvert, n'a la certitude de retrouver son public en nombre « normal ».

Le classement des activités culturelles parmi les « activités non essentielles » a, de surcroît, provoqué un malaise entre les acteurs de la culture et les pouvoirs publics.

Plusieurs pays voisins ont autorisé différents types d'établissements culturels à reprendre leurs activités. En France, il n'y a toujours aucune visibilité, ni sur les dates ni sur les conditions réelles de réouverture. Plusieurs dates ont été successivement évoquées depuis le mois de janvier. À ce jour, nous sommes encore dans le flou, même si le Président de la République a récemment évoqué la période de la mi-mai ; mais il n'a précisé ni le type d'établissements concerné ni les conditions dans lesquelles cette reprise pouvait être envisagée.

Cette absence de perspective soulève plusieurs interrogations. Elle s'avère, avant tout, incompatible avec les contraintes de la programmation et explique l'annulation de beaucoup de festivals. Ensuite, cette non-réouverture ne paraît pas fondée sur le plan sanitaire. Tous les experts consultés assurent que l'on pourrait, sous réserve de protocoles sévères, permettre à un certain nombre d'activités culturelles de se dérouler. Les études scientifiques publiées ces derniers mois démontrent que ces activités ne font pas courir de « sur-risques » ; le conseil scientifique en a lui-même fait état dans son avis du 11 mars dernier.

Comment, dès lors, comprendre ces blocages ? Deux hypothèses peuvent les expliquer : la première consiste à éviter le « stop and go » observé chez certains de nos pays voisins - en Italie et en Suisse notamment ; la seconde est de limiter les motifs de sortie des Français. Sur ce point, la ministre de la culture a fait part de son opposition à la réouverture des théâtres et des cinémas, non pas en raison de la difficulté à établir des protocoles sanitaires, mais pour la raison surprenante que l'ouverture de ces lieux constituerait un prétexte pour se retrouver en famille ou entre amis, avant ou après le spectacle ; dans ces conditions, toute vie sociale devrait être alors interrompue.

À mesure que la crise s'allonge, que les connaissances scientifiques s'enrichissent, que la fatigue pandémique s'installe, il devient naturellement de plus en plus difficile, pour les établissements culturels, d'accepter l'inacceptable. L'idéal serait qu'une majorité de la population puisse être vaccinée, mais tel n'est pas encore le cas. Si le Gouvernement venait à faire évoluer sa stratégie vaccinale, en favorisant, par exemple, le public clé des jeunes adultes, cela pourrait accélérer la reprise des activités culturelles ; mais, encore une fois, nous n'en sommes pas là.

Maintenir les établissements culturels fermés au motif que leur fréquentation favoriserait, en amont ou en aval, des moments de convivialité apparaît comme une sanction injustifiée à l'égard du monde de la culture. Il faut faire confiance aux citoyens et appeler, comme dans tous les secteurs, à leur responsabilité.

Si l'accès à la culture revêt un caractère fondamental, il faut néanmoins veiller à ce que la fréquentation des lieux culturels ne constitue pas un facteur de contamination. La réouverture des établissements ne peut être envisagée que de manière progressive et strictement encadrée. Il nous paraît prématuré que la reprise concerne tous les secteurs en même temps.

La réouverture ne signifie pas la fin des aides et aura encore un coût, car l'activité ne reprendra que très progressivement. Il conviendra donc de réduire les aides « en sifflet » et non pas de manière brutale après les réouvertures.

Tout cela, malgré tout, me semble possible à mettre en oeuvre. On ne peut pas dire, d'un côté, qu'il faut s'habituer à vivre avec le virus et, d'un autre côté, faire cesser la vie culturelle. Il s'agira, naturellement, de mettre en place des protocoles sanitaires et de maintenir les gestes barrières et le port du masque.

Les établissements culturels ont beaucoup travaillé, en partenariat avec des scientifiques et le Gouvernement, pour élaborer des protocoles sanitaires renforcés dans tous les domaines, de manière à limiter les risques d'infection. Le spectacle vivant et les cinémas se sont entendus avec le ministère de la culture pour une réouverture par paliers. Il s'agit maintenant de répondre à trois questions : quels types d'activités pourraient rouvrir ? À quelles conditions ? Avec quel niveau d'accompagnement ? La mission soumet plusieurs recommandations, en commençant par le calendrier de reprise.

Recommandation n° 1 : rouvrir, en premier, les musées et monuments, les cinémas et les salles de spectacle en format assis dès la levée des mesures de restrictions en vigueur. Ce sont des établissements où l'on peut plus facilement respecter les gestes barrières et la distanciation physique, conserver le masque et mettre en place des protocoles sanitaires.

Recommandation n° 2 : accélérer et amplifier les expérimentations cliniques dans différentes configurations concernant les concerts à jauge debout. Nous devons avancer sur les concerts-tests et les expérimentations pour répondre à ces questions simples : ce type de rassemblement entraîne-t-il des « sur-risques » ? Les organisateurs sont-ils capables, dans ces rassemblements, de garantir la distanciation physique et le port du masque ?

Les recommandations qui suivent portent sur les modalités de reprise.

Recommandation n° 3 : soumettre toute réouverture à l'autorisation du préfet, en concertation avec les collectivités territoriales concernées. Il s'agit d'un point de désaccord avec le Gouvernement qui, de son côté, préfère une ouverture uniforme pour les différents types d'activités. Je ne comprends pas bien ce point de vue du Gouvernement. Prenons l'exemple des théâtres. Il est plus facile de mettre en place une jauge réduite, avec des cheminements balisés, dans les grandes salles que dans les petits théâtres. Le plus simple serait que les maires puissent se concerter avec le préfet, de manière à envisager des mesures au cas par cas.

Recommandation n° 4 : confier au préfet le soin d'autoriser les festivals au cas par cas en fonction du protocole sanitaire. Si nous ne laissons pas les préfets se mettre en accord avec les festivals, nous n'aurons quasiment aucun festival cet été. Les délais sont déjà très serrés en termes de contractualisation avec les artistes et les communes. Beaucoup de festivals sont déjà annulés et d'autres risquent de suivre.

Recommandation n° 5 : adapter les jauges par paliers successifs en fonction du volume, de la disposition et des conditions de ventilation des locaux. À l'ouverture, on peut ainsi fixer une jauge sévère, puis, si les conditions sanitaires s'améliorent dans le pays, l'assouplir progressivement.

Recommandation n° 6 : limiter l'accès des établissements culturels aux seules personnes ayant préalablement réservé leur billet. Cela suppose, pour l'accès aux musées et monuments, de systématiser la pratique des billets horodatés en veillant à restreindre le nombre de billets vendus pour un même horaire, tout en limitant la durée des créneaux. Cette solution paraît la plus simple à mettre en place, afin de respecter la jauge et d'éviter les files d'attente.

Recommandation n° 7 : aligner les règles concernant les espaces de restauration et de buvette. Tant que les restaurants et les bars ne sont pas autorisés à rouvrir, il n'y aura pas de consommation entraînant l'enlèvement du masque - pas de buvettes ni de vente de popcorn ou de glaces donc - dans les cinémas et les théâtres. Ensuite, une fois les bars et les restaurants rouverts, nous pourrons alléger les contraintes.

Recommandation n° 8 : demander aux établissements culturels de contrôler le respect des gestes barrières et de contribuer à la prise de conscience de leur public de l'importance de ces gestes et des risques qui peuvent exister lors de réunions privées. Ils sont prêts à informer et faire de la pédagogie - il n'y a aucun doute sur ce point.

Recommandation n° 9 : envisager d'imposer l'obligation d'un pass sanitaire, prenant la forme soit d'un certificat de vaccination, soit de la présentation du résultat négatif d'un test, au moins pour l'accès aux spectacles et festivals de grande jauge. Je pense, notamment, aux festivals rassemblant plus de 5 000 personnes ; l'idéal serait que les gens acceptent de faire un test PCR avant d'y accéder.

Lors de nos tables rondes, certains organisateurs de festivals ont refusé cette idée de demander un test à leur public. En cas de refus de leur part, cela deviendrait compliqué à gérer, car il faut bien prendre en compte l'inquiétude de ceux qui souhaitent venir et craignent d'être infectés. On demande donc aux organisateurs d'être raisonnables et d'accepter de demander soit un certificat vaccinal, soit un test PCR.

Cette solution ne garantit pas le « risque zéro » et suppose des engagements en matière de contrôle par les établissements. L'instauration du passeport vaccinal, en revanche, est à exclure pour le moment, tant que la majorité des citoyens, notamment les plus jeunes, ne sont pas en situation d'être vaccinés.

Les dernières recommandations concernent le soutien de l'État pour cette période de reprise.

Recommandation n° 10 : maintenir les aides financières et, après la reprise, les réduire « en sifflet », car, lorsqu'on impose à des théâtres ou des festivals des jauges réduites, la rentabilité et l'équilibre financier ne sont pas atteints.

Recommandation n° 11 : instaurer une garantie financière de l'État pour le redémarrage, en particulier pour les festivals. Je tiens beaucoup à cette recommandation qui nous aurait peut-être permis d'éviter certaines annulations actuelles. Un organisateur de festival ne peut pas se permettre de signer des contrats avec des artistes, des communes et des fournisseurs sans garantie financière. Actuellement, les organisateurs ont davantage intérêt à annuler l'événement qu'à prendre le risque de le maintenir. S'ils avaient obtenu la garantie de l'État, ils n'auraient pas annulé, et, si la situation sanitaire s'améliore d'ici à juillet, ils risquent de regretter leur décision. Cette garantie financière de l'État serait donc, dès maintenant, la bienvenue. Elle donnerait un peu d'air à des festivals qui n'ont pas encore été annulés.

Recommandation n° 12 : aider les établissements culturels à adapter leurs activités face à ce type de pandémies en créant un fonds pour, comme tous les experts l'ont demandé, équiper les salles en systèmes d'aération et de ventilation performants, et soutenir le développement des offres numérique. Au-delà de cet accompagnement financier, il reste la question du partage de la valeur avec les plateformes et de la juste rémunération des différents intervenants qui prennent part à une captation : artistes, producteurs, exploitants de salles, etc.

Il s'agit de la dernière recommandation de la mission d'information.

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