Intervention de Guillaume Chevrollier

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 30 mars 2021 à 17h35
Continuité écologique des cours d'eau — Communication de m. guillaume chevrollier

Photo de Guillaume ChevrollierGuillaume Chevrollier :

J'ai souhaité organiser deux tables rondes sur la continuité écologique des cours d'eau, pour faire le point sur l'origine scientifique et juridique de cette notion, sur la manière dont elle est présentée par les services de l'État et mise en oeuvre par les acteurs ainsi que sur les difficultés qu'elle soulève dans certains territoires.

La continuité écologique, pour les milieux aquatiques, se définit par la circulation non entravée des espèces aquatiques et le bon déroulement du transport des sédiments, en vue d'assurer la préservation de la biodiversité et le bon état des masses d'eau. Considérée à l'aune de cette définition, nous ne pouvons qu'en partager l'objectif, mais son application est source de complexité.

Nombre d'entre vous ont été, comme moi dans la Mayenne, département traversé par de nombreux cours d'eau, sensibilisés par des propriétaires de moulins hydrauliques à l'approche problématique de l'administration s'agissant de la mise en oeuvre de la politique de préservation et de maintien de la continuité écologique. Serait, en effet, favorisée la destruction au lieu de l'aménagement des ouvrages, notamment par le moyen de subventions allant du simple au double.

Les acteurs que nous avons entendus reprochent aux services instructeurs une vision selon laquelle une rivière idéale serait libre de tout ouvrage et une forme d'idéologie naturaliste : la main de l'homme ayant modifié les rivières, il conviendrait de revenir sur l'histoire anthropique des cours d'eau pour que la nature reprenne ses droits. Les cours d'eau doivent certes être préservés, mais ils ne constituent pas des sanctuaires.

Face à la colère et aux frustrations exprimées, il m'a paru nécessaire de réunir les acteurs pour engager un dialogue sain et franc, mieux comprendre les points de friction et les irritants et envisager des convergences, au besoin en faisant usage de notre pouvoir législatif.

À cette fin, j'ai réuni la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de la transition écologique, le Comité national de l'eau et l'Office français de la biodiversité (OFB), des représentants de fédérations de moulins, des acteurs de l'hydroélectricité comme EDF, mais également des scientifiques, pour bénéficier de l'expertise et du retour d'expérience le plus large possible. Il convient, en effet, d'avoir une vision panoramique du sujet, afin de proposer des solutions pour la mise en oeuvre d'une continuité écologique apaisée, selon les mots du Comité national de l'eau.

Je retire de ce cycle d'auditions plusieurs constats. D'abord, si le souci de permettre la circulation des espèces remonte au Moyen Âge, les règles actuelles sont fondées sur la directive-cadre sur l'eau du 23 octobre 2000. Elles ont trouvé une traduction législative avec la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques, dite LEMA, qui a créé la possibilité d'un classement des cours d'eau en deux catégories avec des obligations relatives à la circulation des espèces aquatiques et de transport des sédiments. Aux termes de la directive européenne, la continuité écologique n'est qu'un facteur du bon état écologique des cours d'eau, alors que le législateur en a fait une modalité centrale. Il s'agit donc d'une forme de surtransposition dans notre droit national du cadre juridique communautaire. Je regrette également que l'établissement des listes des cours d'eau classés par les préfets coordonnateurs de bassin n'ait pas fait plus de place à la concertation et que ces listes ne soient pas révisées à l'aune de l'évolution des connaissances.

Mon second constat est que les hypothèses sur lesquelles reposent le maintien et la restauration de la continuité écologique sont insuffisamment étayées par la recherche scientifique. Les géographes et hydrobiologistes Christian Lévêque et Jean-Paul Bravard nous ont fait part de l'absence d'études de terrain et nous ont alertés sur l'extrapolation d'analogies liées aux impacts dus aux grands barrages sur des ouvrages de taille bien plus modeste. Selon eux, le discours public s'est figé et n'a pas évolué à la lumière des études ultérieures. Je plaide donc pour le lancement d'études européennes sur ce sujet, avec un volet national, pour étudier en détail et mieux comprendre les bénéfices des équipements de restauration de la continuité écologique sur la biodiversité. Ce constat est partagé par le Comité national de l'eau.

Mon troisième constat est que le parti pris de l'administration pour effacer les seuils et les taux de subvention favorisant la destruction plutôt que l'aménagement - passes à poissons et solutions de franchissement - génèrent frustration et rancoeur chez les propriétaires de moulins. Il me paraît essentiel de mettre fin à cette « prime à la destruction » et de mieux accompagner les propriétaires pour l'équipement de leurs ouvrages. Je m'en suis entretenu avec Laurence Muller-Bronn : elle vous proposera une évolution pour mettre un terme à cette dérive dans le cadre de la proposition de loi tendant à inscrire l'hydroélectricité au coeur de la transition énergétique et de la relance économique.

Cette approche maximaliste de la continuité écologique peut s'illustrer par une décision de février dernier du Conseil d'État qui a annulé un décret d'août 2019, dont l'article 1er interdisait « de manière générale, la réalisation sur les cours d'eau [...] de tout seuil ou barrage en lit mineur de cours d'eau », pour méconnaissance des dispositions législatives applicables. Le fait que les juges du Palais-Royal le reconnaissent démontre que les acteurs de terrain ne se trompent pas !

Ces ouvrages étant souvent coûteux - 680 000 euros en moyenne - il paraît nécessaire de favoriser l'échange de bonnes pratiques et d'appliquer un régime fiscal plus favorable et des subventions plus incitatives de la part des agences de l'eau. Les préconisations de l'OFB en matière de continuité écologique doivent mieux articuler les enjeux écologiques aux capacités des exploitants, avec des subventions plus volontaristes, et se fonder sur une expertise préalable pour déterminer les sites aux plus forts enjeux. Je salue, à cet égard, la mobilisation de 720 millions d'euros sur six ans pour la restauration de la continuité écologique dans le cadre du budget d'intervention des agences de l'eau et les 10 millions d'euros du plan de relance dédiés aux agences de l'eau pour cette politique.

Il me paraît également central d'assurer la sécurité juridique des exploitants en fixant un délai, une fois l'aménagement réalisé, pendant lequel de nouveaux travaux ne peuvent leur être demandés, par exemple pour une durée de dix ans.

Je note avec satisfaction des améliorations du côté du ministère. Olivier Thibault, directeur de l'eau et de la biodiversité, semble conscient du malaise qui s'exprime parfois sur le terrain et de la nécessité d'un dialogue constructif avec les acteurs. La création, en 2017, du groupe de travail du Comité national de l'eau sur la continuité écologique et la mise en oeuvre, en 2019, du plan d'action pour une politique apaisée de restauration de la continuité écologique des cours d'eau vont également dans le bon sens. L'approche au cas par cas, l'accompagnement des propriétaires de moulins, la conciliation des usages me paraissent constituer la condition sine qua non de la reprise d'un dialogue de qualité. Il n'est plus envisageable d'exclure des instances de concertation les propriétaires de petits ouvrages hydroélectriques. La gouvernance de l'eau doit reposer sur une logique consensuelle : les représentants de moulins et les propriétaires d'étangs aspirent à être représentés dans les instances, notamment au sein des agences de l'eau. Cette revendication me semble raisonnable et de nature à apaiser les relations, afin d'atteindre l'objectif partagé d'une eau de qualité et en quantité tout en conciliant les usages : permettre le développement de la petite hydroélectricité, préserver les moulins qui présentent pour beaucoup une valeur historique, patrimoniale et paysagère et conserver l'aménité environnementale des bords de rivière.

Enfin, mon dernier constat est de bon sens. Il me paraît nécessaire d'aborder la continuité écologique en considérant aussi les services rendus à la société par les ouvrages susceptibles de l'affecter. Indispensables à la lutte contre le changement climatique et à l'atténuation de ses effets, les retenues permettent de maintenir en eau certains de nos cours d'eau. Quoi de plus triste qu'une rivière à sec l'été ? Ce phénomène s'aggravera avec des périodes de sécheresse plus fréquentes et plus longues.

Le coût des mesures doit, en outre, être rapporté à l'efficacité attendue. Entre deux solutions ayant la même efficacité, il est légitime de privilégier la moins onéreuse pour la collectivité et celle qui maximise le gain écologique pour la biodiversité. Par ailleurs, il me semble utile d'établir une liste d'ouvrages prioritaires, afin d'éviter la dispersion des efforts et des gains. À cet égard, je considère l'objectif fixé par la stratégie Biodiversité 2030 de rétablissement de la continuité écologique sur 25 000 kilomètres de cours d'eau à l'échéance 2030 comme louable, mais sans doute trop ambitieux, surtout si la destruction des ouvrages est préconisée pour l'atteindre.

Il faut associer plus largement la communauté scientifique aux solutions de continuité écologique. Grâce aux connaissances scientifiques nouvelles, il sera plus aisé de déterminer finement les facteurs les plus critiques pour l'état des populations aquatiques bassin par bassin : qualité de l'eau, pollutions agricoles, industrielles et domestiques, drainage des zones humides et suppression des annexes latérales, artificialisation et érosion des sols.

Les efforts en faveur de la continuité écologique ne peuvent concerner les seuls ouvrages. Il y a un siècle, il y avait sur nos cours d'eau davantage d'ouvrages, mais aussi plus de poissons. La restauration de leur bon état écologique passe également, et surtout, par la réduction des pollutions. Certaines stations d'épuration, déficientes dans le traitement des eaux usées, les rejettent dans les cours d'eau. Il me paraît indispensable de les recenser. L'heure est à un plan d'action global pour la reconquête de la qualité de l'eau ! Sans une vision d'ensemble, qu'il importe de partager avec pédagogie, discernement et bienveillance, agir sur les seuls obstacles ne conduira pas à l'amélioration espérée de la biodiversité et au bon état écologique de nos cours d'eau.

Je vous propose l'adoption des dix recommandations suivantes : le lancement d'un programme pluriannuel de recherche européen, avec une déclinaison nationale, pour étudier les bénéfices des équipements de restauration de la continuité écologique sur la biodiversité de la faune et de la flore aquatique ; la mise à jour périodique des listes de cours d'eau à l'occasion de la révision des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage), pour tenir compte de l'évolution des connaissances et des enjeux propres aux différents usages ; l'association des représentants des moulins à eau et des propriétaires d'étangs aux instances de l'eau notamment au sein des agences de l'eau et du Comité national de l'eau ; l'homogénéisation des taux de subvention à l'équipement d'ouvrages pour le maintien ou la restauration de la continuité écologique et la suppression de la prime à la destruction qui pénalise les aménagements ; la création d'une base de données recensant chaque année le nombre d'ouvrages aménagés pour le respect de la continuité écologique ; l'exonération de la totalité de l'imposition sur la construction de passes à poissons ; les échanges de bonnes pratiques et l'aménagement de solutions moins onéreuses produisant le même résultat ; le traitement prioritaire des sites aux plus forts enjeux ; la mise en oeuvre d'une approche plus réaliste des conséquences économiques supportées par les propriétaires d'ouvrages hydrauliques et un meilleur accompagnement des propriétaires de moulins - un seuil régulièrement aménagé ne devrait plus être considéré comme un obstacle et ne plus faire l'objet de nouvelles prescriptions pendant un délai qui pourrait être fixé à dix ans ; enfin, le lancement d'une expérimentation pour évaluer l'efficacité de la pratique des arrêts de turbinage ciblés des ouvrages hydrauliques par rapport à la construction de passes à poissons.

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