Notre ordre du jour illustre l'articulation qui doit exister entre travaux de contrôle et travaux législatifs, ainsi que nous y invite le président Gérard Larcher. Après une communication sur le thème de la continuité écologique, nous examinerons une proposition de loi sur l'hydroélectricité dont un article précise les dérogations applicables en la matière. La question a également été abordée lors de l'audition de la secrétaire d'État à la biodiversité par notre commission la semaine dernière.
Notre collègue Guillaume Chevrollier a mené début mars un cycle d'auditions sur la continuité écologique, auxquelles certains d'entre vous ont participé. Ce sujet s'inscrit pleinement dans les compétences de la commission en vertu de l'acte de partage de 2012, dans la mesure où sont en jeu la biodiversité et l'intégration des contraintes environnementales.
La continuité écologique dépend des?conditions permettant une migration non perturbée des organismes aquatiques et le transport des sédiments, afin de parvenir à un bon état écologique des cours d'eau. Or, les ouvrages présents aux abords de nos rivières peuvent perturber ces circulations.
J'ai souhaité organiser deux tables rondes sur la continuité écologique des cours d'eau, pour faire le point sur l'origine scientifique et juridique de cette notion, sur la manière dont elle est présentée par les services de l'État et mise en oeuvre par les acteurs ainsi que sur les difficultés qu'elle soulève dans certains territoires.
La continuité écologique, pour les milieux aquatiques, se définit par la circulation non entravée des espèces aquatiques et le bon déroulement du transport des sédiments, en vue d'assurer la préservation de la biodiversité et le bon état des masses d'eau. Considérée à l'aune de cette définition, nous ne pouvons qu'en partager l'objectif, mais son application est source de complexité.
Nombre d'entre vous ont été, comme moi dans la Mayenne, département traversé par de nombreux cours d'eau, sensibilisés par des propriétaires de moulins hydrauliques à l'approche problématique de l'administration s'agissant de la mise en oeuvre de la politique de préservation et de maintien de la continuité écologique. Serait, en effet, favorisée la destruction au lieu de l'aménagement des ouvrages, notamment par le moyen de subventions allant du simple au double.
Les acteurs que nous avons entendus reprochent aux services instructeurs une vision selon laquelle une rivière idéale serait libre de tout ouvrage et une forme d'idéologie naturaliste : la main de l'homme ayant modifié les rivières, il conviendrait de revenir sur l'histoire anthropique des cours d'eau pour que la nature reprenne ses droits. Les cours d'eau doivent certes être préservés, mais ils ne constituent pas des sanctuaires.
Face à la colère et aux frustrations exprimées, il m'a paru nécessaire de réunir les acteurs pour engager un dialogue sain et franc, mieux comprendre les points de friction et les irritants et envisager des convergences, au besoin en faisant usage de notre pouvoir législatif.
À cette fin, j'ai réuni la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de la transition écologique, le Comité national de l'eau et l'Office français de la biodiversité (OFB), des représentants de fédérations de moulins, des acteurs de l'hydroélectricité comme EDF, mais également des scientifiques, pour bénéficier de l'expertise et du retour d'expérience le plus large possible. Il convient, en effet, d'avoir une vision panoramique du sujet, afin de proposer des solutions pour la mise en oeuvre d'une continuité écologique apaisée, selon les mots du Comité national de l'eau.
Je retire de ce cycle d'auditions plusieurs constats. D'abord, si le souci de permettre la circulation des espèces remonte au Moyen Âge, les règles actuelles sont fondées sur la directive-cadre sur l'eau du 23 octobre 2000. Elles ont trouvé une traduction législative avec la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques, dite LEMA, qui a créé la possibilité d'un classement des cours d'eau en deux catégories avec des obligations relatives à la circulation des espèces aquatiques et de transport des sédiments. Aux termes de la directive européenne, la continuité écologique n'est qu'un facteur du bon état écologique des cours d'eau, alors que le législateur en a fait une modalité centrale. Il s'agit donc d'une forme de surtransposition dans notre droit national du cadre juridique communautaire. Je regrette également que l'établissement des listes des cours d'eau classés par les préfets coordonnateurs de bassin n'ait pas fait plus de place à la concertation et que ces listes ne soient pas révisées à l'aune de l'évolution des connaissances.
Mon second constat est que les hypothèses sur lesquelles reposent le maintien et la restauration de la continuité écologique sont insuffisamment étayées par la recherche scientifique. Les géographes et hydrobiologistes Christian Lévêque et Jean-Paul Bravard nous ont fait part de l'absence d'études de terrain et nous ont alertés sur l'extrapolation d'analogies liées aux impacts dus aux grands barrages sur des ouvrages de taille bien plus modeste. Selon eux, le discours public s'est figé et n'a pas évolué à la lumière des études ultérieures. Je plaide donc pour le lancement d'études européennes sur ce sujet, avec un volet national, pour étudier en détail et mieux comprendre les bénéfices des équipements de restauration de la continuité écologique sur la biodiversité. Ce constat est partagé par le Comité national de l'eau.
Mon troisième constat est que le parti pris de l'administration pour effacer les seuils et les taux de subvention favorisant la destruction plutôt que l'aménagement - passes à poissons et solutions de franchissement - génèrent frustration et rancoeur chez les propriétaires de moulins. Il me paraît essentiel de mettre fin à cette « prime à la destruction » et de mieux accompagner les propriétaires pour l'équipement de leurs ouvrages. Je m'en suis entretenu avec Laurence Muller-Bronn : elle vous proposera une évolution pour mettre un terme à cette dérive dans le cadre de la proposition de loi tendant à inscrire l'hydroélectricité au coeur de la transition énergétique et de la relance économique.
Cette approche maximaliste de la continuité écologique peut s'illustrer par une décision de février dernier du Conseil d'État qui a annulé un décret d'août 2019, dont l'article 1er interdisait « de manière générale, la réalisation sur les cours d'eau [...] de tout seuil ou barrage en lit mineur de cours d'eau », pour méconnaissance des dispositions législatives applicables. Le fait que les juges du Palais-Royal le reconnaissent démontre que les acteurs de terrain ne se trompent pas !
Ces ouvrages étant souvent coûteux - 680 000 euros en moyenne - il paraît nécessaire de favoriser l'échange de bonnes pratiques et d'appliquer un régime fiscal plus favorable et des subventions plus incitatives de la part des agences de l'eau. Les préconisations de l'OFB en matière de continuité écologique doivent mieux articuler les enjeux écologiques aux capacités des exploitants, avec des subventions plus volontaristes, et se fonder sur une expertise préalable pour déterminer les sites aux plus forts enjeux. Je salue, à cet égard, la mobilisation de 720 millions d'euros sur six ans pour la restauration de la continuité écologique dans le cadre du budget d'intervention des agences de l'eau et les 10 millions d'euros du plan de relance dédiés aux agences de l'eau pour cette politique.
Il me paraît également central d'assurer la sécurité juridique des exploitants en fixant un délai, une fois l'aménagement réalisé, pendant lequel de nouveaux travaux ne peuvent leur être demandés, par exemple pour une durée de dix ans.
Je note avec satisfaction des améliorations du côté du ministère. Olivier Thibault, directeur de l'eau et de la biodiversité, semble conscient du malaise qui s'exprime parfois sur le terrain et de la nécessité d'un dialogue constructif avec les acteurs. La création, en 2017, du groupe de travail du Comité national de l'eau sur la continuité écologique et la mise en oeuvre, en 2019, du plan d'action pour une politique apaisée de restauration de la continuité écologique des cours d'eau vont également dans le bon sens. L'approche au cas par cas, l'accompagnement des propriétaires de moulins, la conciliation des usages me paraissent constituer la condition sine qua non de la reprise d'un dialogue de qualité. Il n'est plus envisageable d'exclure des instances de concertation les propriétaires de petits ouvrages hydroélectriques. La gouvernance de l'eau doit reposer sur une logique consensuelle : les représentants de moulins et les propriétaires d'étangs aspirent à être représentés dans les instances, notamment au sein des agences de l'eau. Cette revendication me semble raisonnable et de nature à apaiser les relations, afin d'atteindre l'objectif partagé d'une eau de qualité et en quantité tout en conciliant les usages : permettre le développement de la petite hydroélectricité, préserver les moulins qui présentent pour beaucoup une valeur historique, patrimoniale et paysagère et conserver l'aménité environnementale des bords de rivière.
Enfin, mon dernier constat est de bon sens. Il me paraît nécessaire d'aborder la continuité écologique en considérant aussi les services rendus à la société par les ouvrages susceptibles de l'affecter. Indispensables à la lutte contre le changement climatique et à l'atténuation de ses effets, les retenues permettent de maintenir en eau certains de nos cours d'eau. Quoi de plus triste qu'une rivière à sec l'été ? Ce phénomène s'aggravera avec des périodes de sécheresse plus fréquentes et plus longues.
Le coût des mesures doit, en outre, être rapporté à l'efficacité attendue. Entre deux solutions ayant la même efficacité, il est légitime de privilégier la moins onéreuse pour la collectivité et celle qui maximise le gain écologique pour la biodiversité. Par ailleurs, il me semble utile d'établir une liste d'ouvrages prioritaires, afin d'éviter la dispersion des efforts et des gains. À cet égard, je considère l'objectif fixé par la stratégie Biodiversité 2030 de rétablissement de la continuité écologique sur 25 000 kilomètres de cours d'eau à l'échéance 2030 comme louable, mais sans doute trop ambitieux, surtout si la destruction des ouvrages est préconisée pour l'atteindre.
Il faut associer plus largement la communauté scientifique aux solutions de continuité écologique. Grâce aux connaissances scientifiques nouvelles, il sera plus aisé de déterminer finement les facteurs les plus critiques pour l'état des populations aquatiques bassin par bassin : qualité de l'eau, pollutions agricoles, industrielles et domestiques, drainage des zones humides et suppression des annexes latérales, artificialisation et érosion des sols.
Les efforts en faveur de la continuité écologique ne peuvent concerner les seuls ouvrages. Il y a un siècle, il y avait sur nos cours d'eau davantage d'ouvrages, mais aussi plus de poissons. La restauration de leur bon état écologique passe également, et surtout, par la réduction des pollutions. Certaines stations d'épuration, déficientes dans le traitement des eaux usées, les rejettent dans les cours d'eau. Il me paraît indispensable de les recenser. L'heure est à un plan d'action global pour la reconquête de la qualité de l'eau ! Sans une vision d'ensemble, qu'il importe de partager avec pédagogie, discernement et bienveillance, agir sur les seuls obstacles ne conduira pas à l'amélioration espérée de la biodiversité et au bon état écologique de nos cours d'eau.
Je vous propose l'adoption des dix recommandations suivantes : le lancement d'un programme pluriannuel de recherche européen, avec une déclinaison nationale, pour étudier les bénéfices des équipements de restauration de la continuité écologique sur la biodiversité de la faune et de la flore aquatique ; la mise à jour périodique des listes de cours d'eau à l'occasion de la révision des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage), pour tenir compte de l'évolution des connaissances et des enjeux propres aux différents usages ; l'association des représentants des moulins à eau et des propriétaires d'étangs aux instances de l'eau notamment au sein des agences de l'eau et du Comité national de l'eau ; l'homogénéisation des taux de subvention à l'équipement d'ouvrages pour le maintien ou la restauration de la continuité écologique et la suppression de la prime à la destruction qui pénalise les aménagements ; la création d'une base de données recensant chaque année le nombre d'ouvrages aménagés pour le respect de la continuité écologique ; l'exonération de la totalité de l'imposition sur la construction de passes à poissons ; les échanges de bonnes pratiques et l'aménagement de solutions moins onéreuses produisant le même résultat ; le traitement prioritaire des sites aux plus forts enjeux ; la mise en oeuvre d'une approche plus réaliste des conséquences économiques supportées par les propriétaires d'ouvrages hydrauliques et un meilleur accompagnement des propriétaires de moulins - un seuil régulièrement aménagé ne devrait plus être considéré comme un obstacle et ne plus faire l'objet de nouvelles prescriptions pendant un délai qui pourrait être fixé à dix ans ; enfin, le lancement d'une expérimentation pour évaluer l'efficacité de la pratique des arrêts de turbinage ciblés des ouvrages hydrauliques par rapport à la construction de passes à poissons.
Je vous remercie d'avoir organisé ces auditions d'un grand intérêt. Je suis élu d'un département traversé par de nombreux cours d'eau où sont installés des ouvrages, parfois depuis le treizième siècle, au bénéfice de la population, des cultures et, plus récemment, de la production d'hydroélectricité. Quel est l'avenir de vos recommandations ? Où pourraient-elles s'inscrire ? Les départements ruraux expriment une attente forte de mesures de soutien aux barrages et à la production hydroélectrique.
Je salue le travail mené sur un sujet complexe. Avez-vous eu connaissance de retours d'expérience concernant des cours d'eau sur lesquels des ouvrages ont été détruits ? Y a-t-on observé une sécheresse plus importante ? Sur quel état de l'art avez-vous fondé vos préconisations ? Il apparaît difficile de trouver un équilibre, mais l'enjeu de reconquête de la biodiversité me semble central. L'agriculture, à cet égard, conduit également à des conséquences négatives sur les cours d'eau.
Le sujet apparaît effectivement aussi complexe que controversé. Aussi, ma première recommandation porte sur le lancement d'un programme de recherche à l'échelle européenne, afin de disposer d'études scientifiques. La loi LEMA est récente. Dans mon département, des seuils ont été détruits et, depuis, les rivières sont plus fréquemment à sec. Pour autant, le recul scientifique demeure insuffisant.
Le sujet de la continuité écologique mériterait, à mon sens, de faire l'objet d'une mission d'information et d'un travail en lien avec l'OFB. Elle devrait constituer un objectif consensuel ; hélas, les messages de l'administration et des acteurs de terrain apparaissent contradictoires. Le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets pourrait accueillir plusieurs des recommandations présentées.
Il semblerait intéressant de créer un comité de suivi sur le sujet. Sur les territoires, il faut éviter les tensions grâce à un constat partagé sur le sujet de la continuité écologique. Dans mon département, les services compétents proposent de détruire certains barrages, mais quelle sera l'incidence sur les habitations qui bordent les rivières ? Il y a encore un long travail à mener pour trouver des solutions satisfaisantes.
Depuis plusieurs années, je lutte pour éviter le démantèlement d'un barrage que j'ai fait construire et que l'administration a financé. Les demandes de diagnostic s'empilent, sans que rien ne soit réalisé. Les décisions de la direction départementale du territoire (DDT) semblent indiscutables... J'ai rencontré hier le nouveau directeur qui m'a dit craindre un réchauffement de l'eau mettant en danger les poissons si le barrage était conservé. Mais s'il n'y a plus d'eau, il n'y aura plus de poissons ! Les moulins risquent d'être détruits par la sécheresse des cours d'eau, tout autant que les maisons sur pilotis construites le long des berges. Souvenez-vous de l'effondrement du pont de Tours lors de la sécheresse de l'été 1976 ! Une fois le barrage démoli, il sera trop tard. Il faut un diagnostic préalable.
Autrefois, nous avions des barrages et des poissons. Le changement vient de la pollution de l'eau. Telle doit être la priorité pour faire revenir les poissons dans nos cours d'eau ! Dans la Mayenne, il n'y a plus d'eau en été : quelle est alors la continuité écologique ? Le directeur de l'eau et de la biodiversité du ministère de la transition écologique dit qu'il faut discuter, mais les DDT refusent...
Quand les stations d'épuration fonctionnent bien, elles permettent de lutter efficacement contre la pollution des cours d'eau.
La continuité écologique concerne certes les seuils, mais surtout la pollution de l'eau. Il faut mener des analyses régulières de la qualité des eaux et lancer un programme de recherche pluriannuel. Le phénomène est complexe : qu'il y ait ou non barrage, on observe un réchauffement des eaux - 30 degrés Celsius chaque été pour la Garonne ! - qui a un impact négatif sur les poissons. Il convient donc d'envisager le problème dans son ensemble. Autrefois, la gestion des moulins donnait satisfaction. Il faut en tirer les conséquences. Les nouvelles technologies, notamment en matière de turbines, devraient permettre de développer la production hydroélectrique.
Mes recommandations abordent les sujets que vous avez évoqués ; elles ne se limitent pas à la question des seuils. Le sujet étant complexe, je souhaite que nous puissions poursuivre nos travaux après ce rapport d'étape par une mission d'information ou alors par le dépôt d'une proposition de loi, pour améliorer la politique conduite en ce domaine.
J'ai, comme nombre d'entre vous, siégé plusieurs années dans un schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE). J'ai été effarée par le niveau de pollution de certaines petites rivières, y compris par des métaux lourds.
Nous vous remercions pour ce travail d'une grande qualité. Mes chers collègues, je vous propose d'autoriser la publication d'un court rapport d'information synthétisant nos échanges et présentant les recommandations de la commission en matière de continuité écologique.
La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable autorise la publication du rapport.
Après cette intéressante communication qui a permis d'éclairer les enjeux liés à la mise en oeuvre de la continuité écologique, nous ne changeons pas de sujet, mais de regard. Après le temps de la réflexion vient celui de l'action !
Nous avons, en effet, à examiner la proposition de loi de notre collègue Daniel Gremillet tendant à inscrire l'hydroélectricité au coeur de la transition énergétique et de la relance économique. Ce texte a été envoyé pour examen à la commission des affaires économiques, qui nous a délégué au fond l'article 5 relatif aux dérogations aux règles de continuité écologique. Je remercie sa présidente Sophie Primas de la confiance ainsi manifestée dans l'expertise de notre commission en matière de continuité écologique. Nous nous sommes également saisis pour avis de l'article 7 qui prévoit un modèle national pour les règlements d'eau.
Notre collègue Laurence Muller-Bronn a été désignée, pour la première fois, rapporteure pour avis. Je sais son investissement sur ce texte ; qu'elle en soit remerciée.
La proposition de loi tendant à inscrire l'hydroélectricité au coeur de la transition énergétique et de la relance économique, déposée par notre collègue Daniel Gremillet, est le fruit d'un travail mené au terme d'une large consultation avec l'ensemble des parties : les services ministériels bien entendu, mais également les acteurs de l'hydroélectricité et les élus locaux. J'ai pu mesurer ce travail de concertation lors des auditions : les représentants des moulins à eau m'ont indiqué que le texte allait dans le bon sens et permettait de résoudre certaines difficultés rencontrées dans la mise en valeur du potentiel hydroélectrique de leurs ouvrages.
Notre commission a reçu de la commission des affaires économiques une délégation au fond pour l'examen de l'article 5 qui concerne la dérogation aux règles de continuité écologique pour les moulins hydroélectriques installés sur les cours d'eau. Nous nous sommes également saisis pour avis sur l'article 7 portant sur la détermination d'un modèle national pour les règlements d'eau afférents aux installations hydrauliques autorisées et concédées.
La notion de continuité écologique, ses principes et ses enjeux, vous ont été présentés par notre collègue Guillaume Chevrollier avec beaucoup de clarté et de pédagogie.
Avant de vous présenter l'article 5 et les modifications que je vous propose, je tiens à rappeler quelques données et éléments d'informations afin de contextualiser les enjeux du texte : l'hydroélectricité représente le deuxième vecteur de production électrique de notre pays, derrière le nucléaire, et la première source d'électricité renouvelable. L'énergie produite grâce à la force de l'eau représente 11,2 % de notre mix énergétique et 51,9 % de notre production d'énergie renouvelable.
La filière hydroélectrique française est essentielle à la flexibilité de notre système électrique : les quelque 2 600 centrales hydroélectriques en exploitation constituent la première source d'équilibrage et de sécurisation du réseau.
L'hydroélectricité présente un autre avantage de taille à l'heure de la transition écologique et énergétique : il s'agit d'une des sources d'énergie les plus décarbonées, argument auquel notre commission ne peut être qu'attentive, alors que nous sommes confrontés aux défis de la transition énergétique et que se fait sentir fortement la nécessité d'accroître nos efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Le taux de retour énergétique de l'hydroélectricité - la quantité d'énergie produite compte tenu de la quantité d'énergie nécessaire à la construction, à la maintenance et au démantèlement du dispositif - dépasse celui des autres sources d'énergie, charbon et nucléaire inclus, avec un facteur allant de dix à vingt par rapport aux autres énergies renouvelables. L'hydroélectricité repose sur une technologie bien maîtrisée, relativement peu coûteuse à mettre en oeuvre, robuste et durable, sans problématique forte de dégradation des ouvrages.
Le potentiel hydroélectrique de la France serait, selon certains, arrivé à maturité et il ne serait plus possible d'augmenter la part de l'hydroélectricité dans notre mix énergétique. Cette opinion n'est cependant pas confirmée par la recherche : les chercheurs européens du projet Restor Hydro estiment qu'environ 25 000 moulins pourraient facilement être remis en service en France, ce qui place notre pays au premier rang européen en matière de sites anciens pour la petite hydroélectricité. Le potentiel des sites les plus faciles à rééquiper a été évalué à environ quatre térawattheures par an, soit l'équivalent d'un réacteur nucléaire ou de la consommation électrique hors chauffage d'environ un million de foyers.
Le potentiel existe : la France a la chance de bénéficier d'un important héritage historique avec de nombreux ouvrages construits par nos ancêtres le long des cours d'eau. Il est, bien entendu, essentiel de concilier ce potentiel avec les règles de continuité écologique : la circulation des poissons et le transport des sédiments participent du bon état écologique de nos cours d'eau. Il n'est pas question de remettre en cause le bien-fondé de cette réglementation. Les ouvrages identifiés comme des réservoirs biologiques et ceux faisant l'objet d'un classement doivent être aménagés et équipés pour leur franchissement, avec l'aide financière des agences de l'eau.
Cependant, il apparait extrêmement regrettable que la destruction des ouvrages hydrauliques et des seuils soit devenue une modalité de restauration de la continuité écologique. Le sujet constitue un irritant fort pour les propriétaires d'ouvrages qui ont l'impression de faire face à une administration dont l'approche ne tient pas compte de l'histoire anthropique de nos rivières et cours d'eau.
Alors que la loi LEMA de 2006 a précisé que les ouvrages devaient être gérés, entretenus et équipés pour permettre la continuité écologique, les services de l'État semblent avoir ajouté une quatrième modalité, celle de la destruction des ouvrages. Certains acteurs qualifient cette pratique de « continuité écologique destructive ». Les propriétaires de moulins peuvent ainsi bénéficier de subvention de l'ordre de 80 % pour l'arasement des seuils, alors que les solutions de franchissement, notamment les passes à poissons, ne sont financées qu'à hauteur de 40 % maximum. L'incitation financière est insidieuse en ce qu'elle conduit à des destructions non souhaitées, faute de moyens financiers suffisants pour la mise en conformité et d'un subventionnement adéquat.
Je vous propose de mettre fin à ces pratiques. J'ai participé au cycle d'auditions sur la continuité écologique organisées par notre collègue Guillaume Chevrollier ; j'y ai acquis la conviction que cette approche est partagée par nombre d'entre vous. Les moulins présentent une valeur patrimoniale forte et leur potentiel hydroélectrique, énergie verte et renouvelable, constitue un atout dans le cadre de la transition énergétique. Je vous propose donc d'ajouter au code de l'environnement une disposition interdisant expressément que la destruction des moulins puisse être retenue comme une modalité pour assurer le respect des règles de continuité écologique.
Je remercie Guillaume Chevrollier pour le travail mené. Ses recommandations pourront également trouver une traduction, s'agissant des exonérations fiscales, dans le projet de loi de finances. Je salue également Laurence Muller-Bronn pour son premier rapport. Les chiffres qu'elle a cités sur l'hydroélectricité montrent le potentiel de cette énergie et les progrès envisageables. Le volet patrimonial, auquel sont attachés les Français, doit également être considéré.
Je partage l'analyse de la rapporteure pour avis. J'ai aussi été surpris par le fossé existant entre l'administration et les acteurs de l'hydroélectricité. La recherche d'un consensus demandera un effort, afin de concilier les enjeux économiques et environnementaux.
L'hydroélectricité est une énergie renouvelable à la fois historique et moderne. Si le système de subvention favorise l'arasement des seuils, comment développer la production hydroélectrique ? Il ne s'agit pas de remettre en cause l'objectif de continuité écologique, mais de renforcer les moyens de l'atteindre. L'énergie hydroélectrique est d'importance pour les territoires ruraux. Il existe un potentiel de développement de la production grâce à l'investissement et à la rénovation des ouvrages, mais aussi à la construction de nouveaux barrages.
Le rôle du Sénat est de tisser un lien entre économie et environnement. Il n'y a pas de fatalité à la situation actuelle de blocage. Même les petits pas permettent d'avancer...
Avez-vous traité, dans la proposition de loi, de la problématique de l'entretien des cours d'eau ? De nombreuses difficultés proviennent des terrains mal entretenus en zone inondable : arbres et mobilier de jardin créent des blocages au niveau des barrages pour finir, parfois, par s'échouer sur les plages.
Lors de son audition, Bérangère Abba, évoquant les moulins, disait ne pas vouloir les démolir. Évidemment ! Nous risquons d'obtenir la même réponse si ce texte ne précise pas qu'il s'agit des barrages comme des retenues d'eau d'un moulin.
Évelyne Perrot nous alerte sur le problème de l'entretien des berges, notamment des arbres touchés par les scolytes qui tombent dans les cours d'eau.
Nous n'avons été saisis que de l'article 5 qui ne traite pas de l'entretien des berges. Nous avons ajouté les termes de forges et de dépendances, afin que le texte concerne l'ensemble des ouvrages.
EXAMEN DES AMENDEMENTS SUR L'ARTICLE DÉLÉGUÉ AU FOND
Article 5 (délégué)
Mon amendement COM-5 réécrit l'article 5 pour en sécuriser juridiquement la rédaction et clarifier les règles applicables. Une certaine confusion existe quant à la portée de la dérogation aux règles de continuité écologique accordée aux moulins installés sur les cours d'eau de catégorie 2.
Telle qu'interprétée par les services de l'État, cette dérogation ne bénéficie qu'aux moulins à eau déjà équipés pour produire de l'hydroélectricité ou en passe de l'être à la date de publication de la loi du 24 février 2017 ratifiant les ordonnances n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l'autoconsommation d'électricité et n° 2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d'électricité à partir d'énergies renouvelables et visant à adapter certaines dispositions relatives aux réseaux d'électricité et de gaz et aux énergies renouvelables. Les projets d'équipement postérieurs à cette date sont de facto exclus de la dérogation, ce qui est clairement contraire à l'intention du législateur de l'époque.
Cet amendement remédie à cette interprétation restrictive en précisant, à l'article L. 214-18-1 du code de l'environnement, que la dérogation bénéficie à l'ensemble des moulins existants équipés pour produire de l'électricité, indépendamment du moment où le projet d'équipement pour la production hydroélectrique a été mis en oeuvre. Il s'agit de donner toute sa portée à la règle votée par le Parlement en 2017.
Par ailleurs, les propriétaires de moulins à eau engagés dans un projet hydroélectrique rencontrent des difficultés quant au champ d'application de la dérogation. En effet, la notion de moulin n'est pas définie en droit français et celle d'installation régulière sur les cours d'eau soulève des problèmes. Aussi, je vous propose de préciser que la dérogation qui bénéficie aux moulins à eau s'applique également aux forges et à leurs dépendances et de remplacer la notion de « régulièrement installé », parfois source de difficulté pour les ouvrages anciens qui ne peuvent produire la preuve de leur installation régulière, par la notion d'ouvrages autorisés : tout en restant dans le cadre légal, cela permet d'inclure les moulins fondés en titre et sur titre, qui font l'objet d'une autorisation attestée de longue date.
Je vous propose également de préciser, à l'article L. 214-17 du code de l'environnement, que le respect des obligations en matière de continuité écologique ne peut servir de motif pour justifier la destruction des moulins à eau. Cette pratique n'a jamais constitué, à mon sens, la volonté du législateur.
Ainsi, cet amendement contribuera au développement du potentiel productible de la petite hydroélectricité. Il clarifie la compréhension de la dérogation aux règles de continuité écologique pour les moulins à eau équipés pour produire de l'électricité sur les cours d'eau de catégorie 2, facilite la prise en compte des différents ouvrages hydroélectriques, parfois anciens, présents sur nos cours d'eau et interdit la destruction des moulins à eau comme modalité de restauration de la continuité écologique.
Nous manquons de recul et de connaissances scientifiques sur le sujet. En l'absence de certitude quant à son impact sur la biodiversité, votre amendement, qui permet d'accroître la production hydroélectrique, me semble dangereux. Certains investissements pourraient également se trouver en contradiction avec l'objectif de continuité écologique. Nous allons un peu vite... Je ne voterai donc pas cet amendement.
Il s'agit seulement de remettre en fonction des ouvrages anciens qui n'étaient pas en cours d'équipement à la date du 24 février 2017. Nous en connaissons tous. Le législateur n'a jamais souhaité bloquer de tels projets, mais promouvoir les énergies propres. Sans investissement, nous ne pouvons rien faire.
Il faut évidemment développer les énergies renouvelables. Dans ma région, on arase les seuils. Il convient de prévoir une période d'observation avant de tirer des conclusions scientifiques sur un moratoire. Nous verrons ensuite. Restons prudents !
Nous avons pris connaissance d'études, parfois menées sur dix ans. Il faut certes encore développer la recherche, mais, en attendant, ne freinons pas la continuité écologique et la production hydroélectrique.
L'amendement COM-5 est adopté.
La commission proposera à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 5 ainsi modifié.
Articles additionnels après l'article 5 (délégué)
Les amendements COM-4, COM-1 rectifié et COM-3 sont satisfaits par l'amendement COM-5 qui reprend les dispositifs proposés. En conséquence, ils deviennent sans objet.
Les amendements COM-4, COM-1 rectifié et COM-3 deviennent sans objet.
L'amendement COM-10 intègre les notions de coût et d'efficacité dans les mesures prises au titre de la protection de l'environnement. Son champ parait extrêmement large, puisqu'il modifierait l'ensemble des décisions prises par l'administration dans ce domaine. Il dépasse donc manifestement le périmètre de la présente proposition de loi. En outre, son adoption modifierait substantiellement l'équilibre des règles environnementales. Une étude d'impact semble, à tout le moins, nécessaire. Avis défavorable.
La commission proposera à la commission des affaires économiques de ne pas adopter l'amendement COM-10.
L'amendement COM-7 rectifié crée une obligation, pour les administrations, de réviser les classements des cours d'eau faisant l'objet d'obligations en matière de continuité écologique.
Il modifierait les classements prévus par le code de l'environnement, qui concernent 30 % des cours d'eau français, avec des conséquences potentiellement négatives sur la biodiversité et sur le bon état écologique des cours d'eau. L'article L. 214-17 du code de l'environnement prévoit déjà la mise à jour des listes de cours d'eau pour tenir compte de l'évolution des connaissances et des enjeux propres aux différents usagers.
Les auditions ont, par ailleurs, montré que les connaissances scientifiques sont encore insuffisantes pour pleinement mesurer les effets de la continuité écologique. Un déclassement aussi massif pourrait remettre en cause les efforts accomplis en la matière. Avis défavorable.
La commission proposera à la commission des affaires économiques de ne pas adopter l'amendement COM-7 rectifié.
L'amendement COM-8 rectifié dispense les seuils aménagés de l'application des règles de continuité écologique.
Assurer la sécurité juridique des propriétaires d'ouvrages hydrauliques réalisant les travaux de mise en conformité est souhaitable et une durée de dix ans permet l'amortissement de l'équipement tout en tenant compte de l'évolution hydromorphologique des cours d'eau. Avis favorable.
Nous manquons, encore une fois, de certitudes scientifiques. Si un ouvrage pose des difficultés en matière de biodiversité, cet amendement interdirait d'y remédier pendant dix ans.
Le lancement d'un projet d'infrastructure, avec les études préalables, les travaux à mener et la réception de l'ouvrage par l'autorité administrative, nécessite plusieurs années, aussi bien pour un propriétaire privé que pour une collectivité territoriale.
Je croyais qu'il s'agissait d'un délai de dix ans à compter de la fin des travaux.
Je comprends votre interrogation. Ces projets nécessitent d'importantes études, travaux et investissements. Si d'aventure le maître d'ouvrage voyait son investissement remis en cause, il devrait être indemnisé. Il faudrait l'envisager.
Le problème vient de votre amendement COM-5 : tout seuil doit démontrer qu'il ne menace pas la continuité écologique. Cette phrase devrait y figurer !
Précisément ! Il faut privilégier une logique de moratoire plutôt que de réinvestissement.
Que faire si le propriétaire n'a pas les moyens de réaliser de nouveaux travaux ?
Quand il s'agit d'un ouvrage reconnu, lesdits travaux lui sont menés en concertation avec l'administration, qui réceptionne et s'assure de la conformité des équipements réalisés.
Dans sa rédaction actuelle, l'amendement COM-8 rectifié dispose qu'un seuil ne constitue pas un obstacle à la continuité écologique.
La navette parlementaire sera l'occasion d'améliorer la rédaction. Nous pourrons également déposer un amendement en séance publique.
La commission proposera à la commission des affaires économiques d'adopter l'amendement COM-8 rectifié.
EXAMEN DES AMENDEMENTS SUR L'ARTICLE POUR AVIS
Article 7
En commun avec le rapporteur de la commission des affaires économiques, je vous propose une réécriture de l'article 7, afin de limiter le nombre de prescriptions contenues dans les règlements d'eau des installations autorisées ou concédées.
Les personnalités qualifiées nous ont fait part d'une hétérogénéité des pratiques en fonction de la région où a lieu l'instruction du règlement d'eau. Afin d'homogénéiser les pratiques sans pour autant fixer un modèle unique source de rigidité, le dispositif proposé limite les prescriptions des nouveaux règlements d'eau aux dispositions relatives à la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau et à la sécurité des ouvrages, en tenant compte de la viabilité économique des installations. Il s'agit, avec mon amendement COM-22, d'assurer un équilibre entre la nécessité de définir des règles et celle de prendre en compte la situation particulière des ouvrages concernés.
Il ne faudrait pas que cela soit au détriment des prescriptions environnementales.
Tout à fait.
L'amendement COM-22 est adopté.
Avant de nous séparer, je vous propose d'adopter le périmètre de recevabilité des amendements sur l'article 5 qui a été délégué au fond à notre commission : sont susceptibles de présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé, les dispositions relatives aux règles de continuité écologique applicables aux ouvrages hydrauliques et notamment aux « moulins à eau ».
Le périmètre ainsi défini est adopté.
La réunion est close à 19 heures.