La proposition de loi tendant à inscrire l'hydroélectricité au coeur de la transition énergétique et de la relance économique, déposée par notre collègue Daniel Gremillet, est le fruit d'un travail mené au terme d'une large consultation avec l'ensemble des parties : les services ministériels bien entendu, mais également les acteurs de l'hydroélectricité et les élus locaux. J'ai pu mesurer ce travail de concertation lors des auditions : les représentants des moulins à eau m'ont indiqué que le texte allait dans le bon sens et permettait de résoudre certaines difficultés rencontrées dans la mise en valeur du potentiel hydroélectrique de leurs ouvrages.
Notre commission a reçu de la commission des affaires économiques une délégation au fond pour l'examen de l'article 5 qui concerne la dérogation aux règles de continuité écologique pour les moulins hydroélectriques installés sur les cours d'eau. Nous nous sommes également saisis pour avis sur l'article 7 portant sur la détermination d'un modèle national pour les règlements d'eau afférents aux installations hydrauliques autorisées et concédées.
La notion de continuité écologique, ses principes et ses enjeux, vous ont été présentés par notre collègue Guillaume Chevrollier avec beaucoup de clarté et de pédagogie.
Avant de vous présenter l'article 5 et les modifications que je vous propose, je tiens à rappeler quelques données et éléments d'informations afin de contextualiser les enjeux du texte : l'hydroélectricité représente le deuxième vecteur de production électrique de notre pays, derrière le nucléaire, et la première source d'électricité renouvelable. L'énergie produite grâce à la force de l'eau représente 11,2 % de notre mix énergétique et 51,9 % de notre production d'énergie renouvelable.
La filière hydroélectrique française est essentielle à la flexibilité de notre système électrique : les quelque 2 600 centrales hydroélectriques en exploitation constituent la première source d'équilibrage et de sécurisation du réseau.
L'hydroélectricité présente un autre avantage de taille à l'heure de la transition écologique et énergétique : il s'agit d'une des sources d'énergie les plus décarbonées, argument auquel notre commission ne peut être qu'attentive, alors que nous sommes confrontés aux défis de la transition énergétique et que se fait sentir fortement la nécessité d'accroître nos efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Le taux de retour énergétique de l'hydroélectricité - la quantité d'énergie produite compte tenu de la quantité d'énergie nécessaire à la construction, à la maintenance et au démantèlement du dispositif - dépasse celui des autres sources d'énergie, charbon et nucléaire inclus, avec un facteur allant de dix à vingt par rapport aux autres énergies renouvelables. L'hydroélectricité repose sur une technologie bien maîtrisée, relativement peu coûteuse à mettre en oeuvre, robuste et durable, sans problématique forte de dégradation des ouvrages.
Le potentiel hydroélectrique de la France serait, selon certains, arrivé à maturité et il ne serait plus possible d'augmenter la part de l'hydroélectricité dans notre mix énergétique. Cette opinion n'est cependant pas confirmée par la recherche : les chercheurs européens du projet Restor Hydro estiment qu'environ 25 000 moulins pourraient facilement être remis en service en France, ce qui place notre pays au premier rang européen en matière de sites anciens pour la petite hydroélectricité. Le potentiel des sites les plus faciles à rééquiper a été évalué à environ quatre térawattheures par an, soit l'équivalent d'un réacteur nucléaire ou de la consommation électrique hors chauffage d'environ un million de foyers.
Le potentiel existe : la France a la chance de bénéficier d'un important héritage historique avec de nombreux ouvrages construits par nos ancêtres le long des cours d'eau. Il est, bien entendu, essentiel de concilier ce potentiel avec les règles de continuité écologique : la circulation des poissons et le transport des sédiments participent du bon état écologique de nos cours d'eau. Il n'est pas question de remettre en cause le bien-fondé de cette réglementation. Les ouvrages identifiés comme des réservoirs biologiques et ceux faisant l'objet d'un classement doivent être aménagés et équipés pour leur franchissement, avec l'aide financière des agences de l'eau.
Cependant, il apparait extrêmement regrettable que la destruction des ouvrages hydrauliques et des seuils soit devenue une modalité de restauration de la continuité écologique. Le sujet constitue un irritant fort pour les propriétaires d'ouvrages qui ont l'impression de faire face à une administration dont l'approche ne tient pas compte de l'histoire anthropique de nos rivières et cours d'eau.
Alors que la loi LEMA de 2006 a précisé que les ouvrages devaient être gérés, entretenus et équipés pour permettre la continuité écologique, les services de l'État semblent avoir ajouté une quatrième modalité, celle de la destruction des ouvrages. Certains acteurs qualifient cette pratique de « continuité écologique destructive ». Les propriétaires de moulins peuvent ainsi bénéficier de subvention de l'ordre de 80 % pour l'arasement des seuils, alors que les solutions de franchissement, notamment les passes à poissons, ne sont financées qu'à hauteur de 40 % maximum. L'incitation financière est insidieuse en ce qu'elle conduit à des destructions non souhaitées, faute de moyens financiers suffisants pour la mise en conformité et d'un subventionnement adéquat.
Je vous propose de mettre fin à ces pratiques. J'ai participé au cycle d'auditions sur la continuité écologique organisées par notre collègue Guillaume Chevrollier ; j'y ai acquis la conviction que cette approche est partagée par nombre d'entre vous. Les moulins présentent une valeur patrimoniale forte et leur potentiel hydroélectrique, énergie verte et renouvelable, constitue un atout dans le cadre de la transition énergétique. Je vous propose donc d'ajouter au code de l'environnement une disposition interdisant expressément que la destruction des moulins puisse être retenue comme une modalité pour assurer le respect des règles de continuité écologique.