Intervention de Clément Beaune

Commission des affaires européennes — Réunion du 1er avril 2021 à 10h35
Institutions européennes — Audition de M. Clément Beaune secrétaire d'état auprès du ministre de l'europe et des affaires étrangères chargé des affaires européennes à la suite du conseil européen des 25 et 26 mars 2021

Clément Beaune , secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes :

Merci de votre flexibilité. Il était normal que je m'adapte, puisque c'est à la suite d'une demande du Gouvernement que l'agenda sénatorial a été bousculé.

Je vous remercie également pour le format nouveau qui a été créé pour le débat préalable au Conseil européen. Je m'adapterai au format que vous trouverez le plus utile pour votre assemblée.

Ce Conseil européen important a été largement consacré à la question sanitaire et vaccinale. La discussion a eu lieu sur les forces et faiblesses objectives de la campagne de vaccination européenne. Un message très clair a été adressé : produire, beaucoup plus, beaucoup plus vite, et ensemble. Aucun des problèmes réels auxquels nous sommes confrontés en Europe ne serait mieux traité si nous cassions ce cadre européen et revenions à une logique de « cavalier seul ».

Au mois de décembre 2020, l'Europe comptait quinze sites de production de vaccins ; cinquante-cinq sites sont actifs désormais, et cette mobilisation va encore augmenter, notamment en France, avec cinq sites supplémentaires à partir du mois d'avril. L'Union européenne est aujourd'hui la deuxième zone de production du monde, derrière les États-Unis ; nous serons sans doute la première dès l'été. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de difficultés ; on le voit bien en constatant les retards relatifs de la campagne vaccinale dans l'Union par rapport au Royaume-Uni et aux États-Unis notamment.

Cette insistance sur l'accélération de la production a été le message clé du Conseil européen. Un chiffre important a été confirmé par Thierry Breton : nous savons maintenant que nous avons reçu un peu plus de 100 millions de doses au premier trimestre ; nous en recevrons plus de 350 millions au deuxième, en intégrant les très importants retards de livraison d'AstraZeneca. L'accélération des productions et livraisons de vaccins est réelle.

Plusieurs points ont été évoqués, à commencer par celui de l'exportation de vaccins. C'est l'Union européenne qui a exporté le plus de doses depuis le début de la production au mois de décembre. Une partie de ces exportations est liée à la solidarité internationale et à l'initiative Covax. Il y va à la fois du modèle de solidarité que nous souhaitons promouvoir et de notre intérêt : même si nous vaccinons en priorité notre population, nous aurons encore un travail international à faire pour vacciner ailleurs ; à défaut, on le sait, le virus mute et varie. Si l'ensemble du monde n'est pas vacciné, nous serons toujours sous la menace.

Je précise également que 95 % des exportations de vaccins depuis l'Union européenne ont été réalisées sur des doses Pfizer ; or ce laboratoire a dépassé ses objectifs de livraison fixés à l'égard de l'Union. Autrement dit, nous exportons des doses d'un vaccin qui nous est livré. L'exportation en soi n'est pas un problème ; elle atteste une force industrielle et elle est la contrepartie d'importations d'intrants nécessaires aux dernières étapes de la production de vaccins. Il est impensable néanmoins que nous exportions des doses d'un vaccin émanant d'un laboratoire qui ne respecterait pas ses engagements - je pense à AstraZeneca -, ou vers un pays qui n'assurerait aucun flux dans l'autre sens, c'est-à-dire vers nous - je pense au Royaume-Uni ; c'est dans ce domaine que l'Europe doit éviter toute naïveté.

Un mécanisme de contrôle des exportations est en place depuis le début du mois de février. Il s'agit non pas d'un mécanisme d'interdiction systématique, mais d'examen systématique et d'interdiction au cas par cas. Tout laboratoire doit demander avant tout export une autorisation aux autorités nationales du pays où est achevée la production, qui l'accordent sous le contrôle de la Commission européenne ; ainsi l'Italie a-t-elle empêché, dans le cadre de ce mécanisme, l'exportation de 250 000 doses de vaccin AstraZeneca vers l'Australie, considérant à juste titre que le laboratoire ne tenait pas ses engagements à notre égard et que la situation sanitaire de l'Australie n'était pas de nature à justifier un tel export. C'est également dans le cadre de ce mécanisme que, sur demande de la Commission européenne, les autorités sanitaires italiennes ont diligenté une enquête qui a permis d'identifier 29 millions de doses du laboratoire AstraZeneca qui n'étaient pas recensées - cela confirme qu'il y a un déficit de transparence de la part de ce laboratoire.

Le Conseil européen a encadré ce mécanisme de contrôle des exportations par un critère de réciprocité et de proportionnalité. La formule est simple : on livre si on est livré.

Contrairement à ce que l'on entend parfois, le Royaume-Uni n'a pas négocié quelque chose de différent de l'Union européenne pour le contrat AstraZeneca. La rédaction du contrat prévoit les mêmes engagements du laboratoire, à savoir les meilleurs efforts pour la livraison la plus rapide possible. Il n'y a pas de formule plus engageante ou plus contraignante dans le contrat britannique. Dans le contrat européen, quatre sites de production sont mentionnés, dont deux au Royaume-Uni ; nous n'avons pas reçu les doses de ces deux derniers, alors qu'ils sont explicitement mentionnés dans le contrat.

Enfin, il n'y a pas eu non plus de retard à la signature ; nous avons même signé le contrat 24 heures avant les autorités britanniques. En résumé, un problème manifeste existe, mais rien dans le contrat signé ne vient justifier ce problème, qui doit se régler avec le Royaume-Uni et AstraZeneca.

Cependant, même en prenant en compte les retards très importants du laboratoire AstraZeneca, nous aurons une montée en puissance des livraisons européennes au deuxième trimestre, qui reposera, de manière centrale, sur le vaccin Pfizer-BioNTech.

Il n'est pas vrai de dire que le vaccin AstraZeneca-Oxford a été entièrement financé par les autorités publiques britanniques. Le Royaume-Uni, jusqu'au 31 décembre dernier, était membre de l'Union européenne ; à ce titre, il était éligible aux programmes de recherche de l'Union et, concernant cette recherche, Oxford a touché 85 millions d'euros. Ne soyons pas naïfs, améliorons nos dispositifs de contrôle, mais ne cédons pas non plus à la rhétorique britannique du vaccin national qui aurait été développé de manière autonome.

Après la production et l'exportation, le troisième point concerne la distribution des doses de vaccins. Un système simple et juste de répartition des doses européennes, au prorata des populations de chaque pays, a été mis en place. Au début de la campagne de vaccination au mois de décembre dernier, certains pays ont, pour diverses raisons, sous-commandé par rapport à leur population ; d'autres, dont la France, ont sur-commandé. Des pays comme la Bulgarie, la Croatie ou la République tchèque demandent aujourd'hui une forme de rééquilibrage ; on parle de quelques centaines de milliers de doses dans les prochaines livraisons. Cet ajustement se fera notamment avec les 10 millions de doses supplémentaires prévues pour être livrées de manière anticipée par Pfizer-BioNTech pour le deuxième trimestre. La Chancelière Merkel et le Président Macron ont souhaité que le Conseil européen confirme ce principe d'équité du prorata, afin que les chefs d'État ou de gouvernement ne s'engagent pas eux-mêmes dans une bataille autour de la distribution.

Le « certificat vert » n'a pas fait l'objet de discorde au sein du Conseil européen. Je souhaite, à ce sujet, préciser deux éléments. La Commission européenne propose la mise en place d'un certificat sanitaire - et non vaccinal. Il ne s'agit pas de faire dépendre la libre circulation en Europe du vaccin, mais de s'assurer d'un certain nombre de preuves sanitaires, non pas dans un sens de fermeture, mais, au contraire, d'ouverture. Comme vous le savez, la majorité des pays européens exigent aujourd'hui de présenter un test PCR pour l'entrée sur leur territoire. L'objectif, avec ce certificat sanitaire harmonisé au niveau européen, est bien d'élargir les possibilités de circulation. Cette proposition législative, datant du mois de mars, sera examinée par le Conseil et le Parlement dans les prochaines semaines, avec l'idée que le débat aboutisse d'ici le mois de juin.

Cette idée, qui mérite d'être examinée sans précipitation dans un cadre européen, suscite un certain nombre de questions importantes, notamment d'un point de vue scientifique. Par exemple, la question de savoir si, vacciné et donc efficacement protégé, on peut malgré tout diffuser le virus n'est pas encore résolue par les études.

Un autre sujet important, plus consensuel, concerne le marché intérieur et, plus particulièrement, la stratégie numérique. Le principe d'une souveraineté numérique a été rappelé dans les conclusions du Conseil européen. Nous avons fait du chemin par rapport aux dernières années où l'idée d'une régulation européenne était contestée. On relève notamment une référence essentielle à la taxation du numérique. Nous avons, sur ce sujet, deux dimensions à articuler : les travaux internationaux à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et, si l'on ne pouvait aboutir à un accord international ambitieux, la solution européenne portée par la Commission ; celle-ci s'est engagée à faire une proposition législative avant la fin du semestre.

Dans les conclusions du Conseil européen, des questions émergent à la demande de la France, notamment celle de la conservation des données - vous l'avez soulignée -, qui renvoie à des choses très concrètes - entre autres, les enquêtes pénales et la lutte antiterroriste. Nous sommes préoccupés par la jurisprudence de la CJUE sur ce point précis ; elle risquerait de rendre inapplicables un certain nombre de dispositifs policiers et pénaux pourtant indispensables à notre sécurité. Nous menons une offensive diplomatique et politique pour rallier le plus d'États membres à cette préoccupation.

La Turquie a été assez brièvement évoquée, du fait d'un travail préalable, notamment franco-allemand, sur le texte du sommet. L'idée est de concilier une approche de pression et d'attente. Il a été décidé au mois de décembre, sous l'impulsion principalement de la France et de quelques pays comme la Grèce, d'accentuer la pression sur la Turquie, avec des mesures pouvant aller jusqu'à des sanctions. Depuis, la Turquie a donné quelques signaux positifs, comme le retrait des navires des eaux chypriotes ou grecques ; je les crois directement liés à la pression exercée. D'autres signes, plus préoccupants, font écho à la stratégie turque ; je pense au limogeage brutal du gouverneur de la Banque centrale de Turquie, ainsi qu'aux procédures enclenchées à l'égard d'un parti politique national ; nous avons pu également observer - et cela nous préoccupe très directement - le retrait de la Turquie de la convention d'Istanbul.

L'idée, en accord avec nos partenaires européens, est de maintenir cette pression tout en laissant ouverte la discussion - c'est le sens, notamment, de la visite de Mme von der Leyen et de M. Michel la semaine prochaine à Ankara. On espère que la Turquie choisira la désescalade, mais, pour l'instant, rien n'est clair. Un nouveau rendez-vous a été fixé lors du prochain Conseil européen au mois de juin.

Un dernier point important de politique internationale : l'invitation du président américain Joe Biden à la visioconférence par le président du Conseil européen. Dans cette prise de contact, le président Biden a insisté sur l'importance de la relation transatlantique et exprimé sa volonté d'apaisement. La séquence a été brève, mais elle a marqué cette réunion du Conseil européen.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion