Commission des affaires européennes

Réunion du 1er avril 2021 à 10h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Monsieur le secrétaire d'État, merci d'avoir accepté le changement d'horaire de votre audition ce matin, liée à l'inscription à l'ordre du jour du Sénat d'un débat sur les mesures annoncées hier soir par le Président de la République, en réponse à la troisième vague de covid-19. Nous vous accueillons pour que vous nous rendiez compte de la réunion du Conseil européen des 25 et 26 mars derniers.

Le contrôle parlementaire du Sénat sur les réunions des chefs d'État ou de gouvernement s'exerce dorénavant selon de nouvelles modalités : un débat en plénière en amont du Conseil européen avec une discussion générale allongée, formule que nous avons expérimentée mardi 23 mars au soir, et une audition du ministre par notre commission après le Conseil européen. Nous y sommes : cette réunion n'est pas élargie à l'ensemble des sénateurs et ne réserve pas un temps défini aux orateurs des groupes politiques qui ont déjà pu s'exprimer largement en séance publique. Elle est donc moins formelle, Monsieur le Ministre, ce qui permettra peut-être de la rendre plus interactive.

Le sujet du déploiement des vaccins s'est imposé au Conseil européen ; ce déploiement est en effet notre seul espoir de sortir de la pandémie, qui flambe de plus belle. Nous en avons discuté hier en commission, et avons adopté une proposition de résolution européenne sur le projet de certificat vert. Nous avons également pu, avant-hier, interroger le commissaire Thierry Breton sur la stratégie européenne en matière vaccinale.

L'Union européenne a exporté 40 % de sa production de vaccins quand les États-Unis ou le Royaume-Uni donnaient la priorité à la vaccination de leurs citoyens et n'exportaient rien. Ce choix éminemment politique, qui a sa légitimité, pèse lourd aujourd'hui, alors que nous subissons l'inconséquence du groupe AstraZeneca, qui est incapable d'honorer son contrat.

Pour ce qui concerne le deuxième sujet abordé, à savoir la transformation numérique, nous ne pouvons que saluer l'ambition affichée, et notamment l'invitation faite à la Commission d'utiliser à cet effet tous les instruments disponibles dans les domaines des politiques industrielle, commerciale, de la concurrence, de l'éducation et de la recherche. Cette approche transversale est très prometteuse quand nous souffrons de la tendance des directions générales de la Commission à fonctionner en silos.

Permettez-moi de relever un point dans les conclusions du Conseil européen sur le volet numérique : elles appellent à garantir la conservation des données nécessaires pour permettre aux services répressifs et aux autorités judiciaires d'exercer leurs pouvoirs légaux pour lutter contre les formes graves de criminalité. La récente jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a pourtant amenuisé la capacité d'investigation de la police et de la justice en restreignant l'accès aux données de connexion. Je crois savoir que la France travaille à résoudre cette question sensible. Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d'État, nous en dire plus à ce sujet ?

Enfin, pour ce qui est de la Méditerranée orientale, le Conseil européen a ostensiblement joué la carte de l'apaisement avec la Turquie - vous nous l'aviez préalablement annoncé. Pourtant, celle-ci persiste à faire preuve de mauvaise volonté en refusant de réadmettre les migrants déboutés de Grèce. Que pouvons-nous raisonnablement attendre de la rencontre des présidents de la Commission européenne et du Conseil européen avec le président Erdogan prévue à Ankara mardi 6 avril prochain ?

Debut de section - Permalien
Clément Beaune , secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes

Merci de votre flexibilité. Il était normal que je m'adapte, puisque c'est à la suite d'une demande du Gouvernement que l'agenda sénatorial a été bousculé.

Je vous remercie également pour le format nouveau qui a été créé pour le débat préalable au Conseil européen. Je m'adapterai au format que vous trouverez le plus utile pour votre assemblée.

Ce Conseil européen important a été largement consacré à la question sanitaire et vaccinale. La discussion a eu lieu sur les forces et faiblesses objectives de la campagne de vaccination européenne. Un message très clair a été adressé : produire, beaucoup plus, beaucoup plus vite, et ensemble. Aucun des problèmes réels auxquels nous sommes confrontés en Europe ne serait mieux traité si nous cassions ce cadre européen et revenions à une logique de « cavalier seul ».

Au mois de décembre 2020, l'Europe comptait quinze sites de production de vaccins ; cinquante-cinq sites sont actifs désormais, et cette mobilisation va encore augmenter, notamment en France, avec cinq sites supplémentaires à partir du mois d'avril. L'Union européenne est aujourd'hui la deuxième zone de production du monde, derrière les États-Unis ; nous serons sans doute la première dès l'été. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de difficultés ; on le voit bien en constatant les retards relatifs de la campagne vaccinale dans l'Union par rapport au Royaume-Uni et aux États-Unis notamment.

Cette insistance sur l'accélération de la production a été le message clé du Conseil européen. Un chiffre important a été confirmé par Thierry Breton : nous savons maintenant que nous avons reçu un peu plus de 100 millions de doses au premier trimestre ; nous en recevrons plus de 350 millions au deuxième, en intégrant les très importants retards de livraison d'AstraZeneca. L'accélération des productions et livraisons de vaccins est réelle.

Plusieurs points ont été évoqués, à commencer par celui de l'exportation de vaccins. C'est l'Union européenne qui a exporté le plus de doses depuis le début de la production au mois de décembre. Une partie de ces exportations est liée à la solidarité internationale et à l'initiative Covax. Il y va à la fois du modèle de solidarité que nous souhaitons promouvoir et de notre intérêt : même si nous vaccinons en priorité notre population, nous aurons encore un travail international à faire pour vacciner ailleurs ; à défaut, on le sait, le virus mute et varie. Si l'ensemble du monde n'est pas vacciné, nous serons toujours sous la menace.

Je précise également que 95 % des exportations de vaccins depuis l'Union européenne ont été réalisées sur des doses Pfizer ; or ce laboratoire a dépassé ses objectifs de livraison fixés à l'égard de l'Union. Autrement dit, nous exportons des doses d'un vaccin qui nous est livré. L'exportation en soi n'est pas un problème ; elle atteste une force industrielle et elle est la contrepartie d'importations d'intrants nécessaires aux dernières étapes de la production de vaccins. Il est impensable néanmoins que nous exportions des doses d'un vaccin émanant d'un laboratoire qui ne respecterait pas ses engagements - je pense à AstraZeneca -, ou vers un pays qui n'assurerait aucun flux dans l'autre sens, c'est-à-dire vers nous - je pense au Royaume-Uni ; c'est dans ce domaine que l'Europe doit éviter toute naïveté.

Un mécanisme de contrôle des exportations est en place depuis le début du mois de février. Il s'agit non pas d'un mécanisme d'interdiction systématique, mais d'examen systématique et d'interdiction au cas par cas. Tout laboratoire doit demander avant tout export une autorisation aux autorités nationales du pays où est achevée la production, qui l'accordent sous le contrôle de la Commission européenne ; ainsi l'Italie a-t-elle empêché, dans le cadre de ce mécanisme, l'exportation de 250 000 doses de vaccin AstraZeneca vers l'Australie, considérant à juste titre que le laboratoire ne tenait pas ses engagements à notre égard et que la situation sanitaire de l'Australie n'était pas de nature à justifier un tel export. C'est également dans le cadre de ce mécanisme que, sur demande de la Commission européenne, les autorités sanitaires italiennes ont diligenté une enquête qui a permis d'identifier 29 millions de doses du laboratoire AstraZeneca qui n'étaient pas recensées - cela confirme qu'il y a un déficit de transparence de la part de ce laboratoire.

Le Conseil européen a encadré ce mécanisme de contrôle des exportations par un critère de réciprocité et de proportionnalité. La formule est simple : on livre si on est livré.

Contrairement à ce que l'on entend parfois, le Royaume-Uni n'a pas négocié quelque chose de différent de l'Union européenne pour le contrat AstraZeneca. La rédaction du contrat prévoit les mêmes engagements du laboratoire, à savoir les meilleurs efforts pour la livraison la plus rapide possible. Il n'y a pas de formule plus engageante ou plus contraignante dans le contrat britannique. Dans le contrat européen, quatre sites de production sont mentionnés, dont deux au Royaume-Uni ; nous n'avons pas reçu les doses de ces deux derniers, alors qu'ils sont explicitement mentionnés dans le contrat.

Enfin, il n'y a pas eu non plus de retard à la signature ; nous avons même signé le contrat 24 heures avant les autorités britanniques. En résumé, un problème manifeste existe, mais rien dans le contrat signé ne vient justifier ce problème, qui doit se régler avec le Royaume-Uni et AstraZeneca.

Cependant, même en prenant en compte les retards très importants du laboratoire AstraZeneca, nous aurons une montée en puissance des livraisons européennes au deuxième trimestre, qui reposera, de manière centrale, sur le vaccin Pfizer-BioNTech.

Il n'est pas vrai de dire que le vaccin AstraZeneca-Oxford a été entièrement financé par les autorités publiques britanniques. Le Royaume-Uni, jusqu'au 31 décembre dernier, était membre de l'Union européenne ; à ce titre, il était éligible aux programmes de recherche de l'Union et, concernant cette recherche, Oxford a touché 85 millions d'euros. Ne soyons pas naïfs, améliorons nos dispositifs de contrôle, mais ne cédons pas non plus à la rhétorique britannique du vaccin national qui aurait été développé de manière autonome.

Après la production et l'exportation, le troisième point concerne la distribution des doses de vaccins. Un système simple et juste de répartition des doses européennes, au prorata des populations de chaque pays, a été mis en place. Au début de la campagne de vaccination au mois de décembre dernier, certains pays ont, pour diverses raisons, sous-commandé par rapport à leur population ; d'autres, dont la France, ont sur-commandé. Des pays comme la Bulgarie, la Croatie ou la République tchèque demandent aujourd'hui une forme de rééquilibrage ; on parle de quelques centaines de milliers de doses dans les prochaines livraisons. Cet ajustement se fera notamment avec les 10 millions de doses supplémentaires prévues pour être livrées de manière anticipée par Pfizer-BioNTech pour le deuxième trimestre. La Chancelière Merkel et le Président Macron ont souhaité que le Conseil européen confirme ce principe d'équité du prorata, afin que les chefs d'État ou de gouvernement ne s'engagent pas eux-mêmes dans une bataille autour de la distribution.

Le « certificat vert » n'a pas fait l'objet de discorde au sein du Conseil européen. Je souhaite, à ce sujet, préciser deux éléments. La Commission européenne propose la mise en place d'un certificat sanitaire - et non vaccinal. Il ne s'agit pas de faire dépendre la libre circulation en Europe du vaccin, mais de s'assurer d'un certain nombre de preuves sanitaires, non pas dans un sens de fermeture, mais, au contraire, d'ouverture. Comme vous le savez, la majorité des pays européens exigent aujourd'hui de présenter un test PCR pour l'entrée sur leur territoire. L'objectif, avec ce certificat sanitaire harmonisé au niveau européen, est bien d'élargir les possibilités de circulation. Cette proposition législative, datant du mois de mars, sera examinée par le Conseil et le Parlement dans les prochaines semaines, avec l'idée que le débat aboutisse d'ici le mois de juin.

Cette idée, qui mérite d'être examinée sans précipitation dans un cadre européen, suscite un certain nombre de questions importantes, notamment d'un point de vue scientifique. Par exemple, la question de savoir si, vacciné et donc efficacement protégé, on peut malgré tout diffuser le virus n'est pas encore résolue par les études.

Un autre sujet important, plus consensuel, concerne le marché intérieur et, plus particulièrement, la stratégie numérique. Le principe d'une souveraineté numérique a été rappelé dans les conclusions du Conseil européen. Nous avons fait du chemin par rapport aux dernières années où l'idée d'une régulation européenne était contestée. On relève notamment une référence essentielle à la taxation du numérique. Nous avons, sur ce sujet, deux dimensions à articuler : les travaux internationaux à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et, si l'on ne pouvait aboutir à un accord international ambitieux, la solution européenne portée par la Commission ; celle-ci s'est engagée à faire une proposition législative avant la fin du semestre.

Dans les conclusions du Conseil européen, des questions émergent à la demande de la France, notamment celle de la conservation des données - vous l'avez soulignée -, qui renvoie à des choses très concrètes - entre autres, les enquêtes pénales et la lutte antiterroriste. Nous sommes préoccupés par la jurisprudence de la CJUE sur ce point précis ; elle risquerait de rendre inapplicables un certain nombre de dispositifs policiers et pénaux pourtant indispensables à notre sécurité. Nous menons une offensive diplomatique et politique pour rallier le plus d'États membres à cette préoccupation.

La Turquie a été assez brièvement évoquée, du fait d'un travail préalable, notamment franco-allemand, sur le texte du sommet. L'idée est de concilier une approche de pression et d'attente. Il a été décidé au mois de décembre, sous l'impulsion principalement de la France et de quelques pays comme la Grèce, d'accentuer la pression sur la Turquie, avec des mesures pouvant aller jusqu'à des sanctions. Depuis, la Turquie a donné quelques signaux positifs, comme le retrait des navires des eaux chypriotes ou grecques ; je les crois directement liés à la pression exercée. D'autres signes, plus préoccupants, font écho à la stratégie turque ; je pense au limogeage brutal du gouverneur de la Banque centrale de Turquie, ainsi qu'aux procédures enclenchées à l'égard d'un parti politique national ; nous avons pu également observer - et cela nous préoccupe très directement - le retrait de la Turquie de la convention d'Istanbul.

L'idée, en accord avec nos partenaires européens, est de maintenir cette pression tout en laissant ouverte la discussion - c'est le sens, notamment, de la visite de Mme von der Leyen et de M. Michel la semaine prochaine à Ankara. On espère que la Turquie choisira la désescalade, mais, pour l'instant, rien n'est clair. Un nouveau rendez-vous a été fixé lors du prochain Conseil européen au mois de juin.

Un dernier point important de politique internationale : l'invitation du président américain Joe Biden à la visioconférence par le président du Conseil européen. Dans cette prise de contact, le président Biden a insisté sur l'importance de la relation transatlantique et exprimé sa volonté d'apaisement. La séquence a été brève, mais elle a marqué cette réunion du Conseil européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Je reviens sur notre proposition de résolution européenne concernant le « certificat vert ». Nous n'avons pas apporté un blanc-seing à ce certificat ; nous considérons qu'il faut être vigilant sur la façon dont les États membres pourraient se saisir de ce document. L'objectif, c'est que cela ne devienne pas une usine à gaz. L'interopérabilité est également essentielle au niveau européen. Nous souhaitons, par le biais de cette proposition de résolution, garantir certains points précis.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Fernique

Où en est la mise en place du plan de relance, alors que l'on commence déjà à envisager un deuxième élan pour abonder l'effort ? On peut avoir l'impression que le premier élan patine, aux prises avec les ratifications, les examens des plans nationaux et désormais le recours auprès de la Cour de Karlsruhe qui ajoute une incertitude inopportune.

Comment avance l'élaboration progressive des ressources propres nécessaires à cet effort commun ? La taxation de Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (Gafam) est-elle en bonne voie ?

L'ajustement carbone aux frontières ne serait-il pas dénaturé si la ligne voulant maintenir des quotas gratuits à nos industries les plus polluantes l'emportait ?

L'Europe paraît réaliser son sous-investissement par rapport aux États-Unis dans la phase risquée de développement des vaccins. Engage-t-on le sujet des vaccins de seconde génération dans des dispositions différentes ? Comment doter de moyens d'action la future agence européenne ? Et comment réaliser concrètement la promesse d'un vaccin bien public mondial ?

Je souhaite enfin insister sur deux enjeux problématiques : le sort des bassins transfrontaliers frappés par les restrictions compromettant leur réalité économique ; et la cause de l'Europe de la démocratie et de sa capitale Strasbourg aujourd'hui diminuée dans sa fonction.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Kern

Je souscris à l'idée de maintenir la pression sur l'État turc. Si la Turquie ne réagit pas, il nous faudra appliquer des mesures. Nous perdrions sinon toute crédibilité auprès de M. Erdogan.

Le Maroc occupe une position stratégique en termes de migrations, de trafic de stupéfiants et de terrorisme, en raison notamment de sa frontière avec la Mauritanie au Sahara occidental. Il représente un pont entre l'Afrique et l'Union européenne. Les États-Unis y ont établi des positions ; la Chine s'y intéresse. La France et l'Union européenne ne devraient-elles pas renforcer leur présence et leur influence, notamment dans le Sud marocain ?

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Marie

Je remercie le ministre pour son exposé d'une grande précision. Ma première question porte sur les vaccins. Des États membres commandent, ou pourraient commander, des vaccins produits hors de l'Union européenne comme le vaccin russe Spoutnik. Qu'en est-il de la solidarité européenne sur ce sujet et de nos relations avec la Russie dans l'hypothèse d'un achat de doses du vaccin Spoutnik ?

Concernant le plan de relance européen, les pays dits frugaux continuent-ils, en parallèle des discussions, à demander la mise en oeuvre de réformes structurelles dans le cadre des plans nationaux ? Vous appeliez à une évolution des règles du pacte budgétaire après la crise. Reviendrons-nous à la réglementation ex ante ?

Enfin, j'ai noté la volonté d'apaisement en Méditerranée orientale. J'espère que la visite d'Ursula von der Leyen et de Charles Michel en Turquie permettra de réaliser quelque progrès. Pour autant, les dernières mesures prises par la Turquie apparaissent inquiétantes. En l'absence de coercition, je crains qu'il ne puisse y avoir d'apaisement. Quelle est, sur ce sujet, la position de la France ?

Debut de section - Permalien
Clément Beaune , secrétaire d'État

Je commencerai par répondre à M. Fernique. Il est vrai que le plan de relance européen est l'objet de péripéties épuisantes, mais elles représentent la contrepartie d'un plan exceptionnel qui brise certains tabous, notamment l'établissement d'une dette commune qui fait justement l'objet d'un recours auprès de la cour de Karlsruhe, et qui établit un budget européen de 1 800 milliards d'euros pour les sept prochaines années. Il prend effectivement du temps à être ratifié par l'ensemble des États membres, mais pas davantage qu'un autre accord. Déjà, seize pays, dont l'Allemagne - et je suis assez optimiste sur le fait que sa cour fédérale tranchera rapidement sur le recours engagé pour ne pas allonger le délai de ratification -, ont engagé une procédure parlementaire et les choses avancent dans les onze autres. J'ai bon espoir que le processus aboutira en mai pour lancer, au début de l'été, les premiers décaissements au titre des préfinancements. Du reste, le plan européen produit déjà des effets économiques et budgétaires. Ainsi, il abonde largement les 100 milliards d'euros du plan français, dont 26 milliards d'euros ont déjà été engagés. En revanche, le débat sur un nouvel abondement me semble prématuré. Il convient de mettre en oeuvre le premier plan, révolutionnaire pour beaucoup d'États membres, de le faire vivre, d'évaluer son efficacité avant de réfléchir à un éventuel complément dans deux ou trois ans. Lors de la précédente crise, l'Union européenne n'a pas su convenablement gérer l'après-crise - le Président de la République l'a reconnu. Aussi, il convient de veiller à ne pas reproduire les mêmes erreurs.

S'agissant de la taxation des géants du numérique, il apparaît effectivement difficile de trouver un accord. Il faut nous fixer un horizon raisonnable à la fin du semestre pour obtenir un accord au niveau international, idéalement dans le cadre de l'OCDE. À défaut s'imposera une solution européenne, même si, pour des raisons tactiques ou de fond, de nombreux États membres préféreraient attendre l'établissement d'un cadre international. La Commission européenne a annoncé le dépôt d'un texte législatif sur le sujet d'ici l'été, mais son adoption nécessitera l'unanimité.

Vous m'avez également interrogé sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Son articulation avec le dispositif des quotas gratuits relève davantage d'une question de calendrier que de principe. À terme, les deux systèmes ne pourront pas cohabiter. Il convient donc de réfléchir au phasage du passage d'un dispositif à l'autre. Notre objectif est d'être ambitieux sur le plan climatique, sans pénaliser l'Union européenne d'un point de vue économique et social. Ce débat politique me semble essentiel.

Le Président de la République a évoqué les vaccins lors du dernier Conseil européen. Il a reconnu que les investissements avaient été insuffisants dans la phase de développement des vaccins et en matière de production. Pour autant, l'Union européenne se positionne en deuxième position mondiale en termes de fabrication de vaccins et devrait prochainement prendre la tête du classement avec deux milliards de doses produites annuellement d'ici à la fin de 2021. Évitons les faux débats sur les contrats et les prix et identifions les vraies erreurs afin de ne pas les reproduire, avec les vaccins de seconde génération. À titre de comparaison, les États-Unis ont dépensé 14 milliards de dollars pour financer la dernière étape des vaccins de première génération ; pour sa part, l'Agence européenne des médicaments (EMA) ne dispose que d'un budget, très insuffisant, de 150 millions d'euros. Il faudra allouer plusieurs milliards d'euros dans les prochains mois au bénéfice des vaccins de seconde génération. Aucun pays ne peut investir seul une telle somme ; l'effort doit donc être européen.

Vous avez évoqué la question frontalière et la question strasbourgeoise. Je suis parfaitement conscient de ce qui se passe aujourd'hui dans les bassins de vie frontaliers, et qui concerne quotidiennement plusieurs milliers de travailleurs. Maigre consolation : par la discussion avec les Allemands et les Länder, nous avons réussi à éviter une fermeture des frontières et obtenu que le dispositif de tests PCR quotidiens, prévu au départ, cède la place à des tests antigéniques deux fois par semaine. C'est tout de même pénible, c'est pesant et cela crée des tensions. Nous continuons l'effort de discussion avec les autorités allemandes et nous espérons que ces restrictions durent le moins longtemps possible. Bien sûr, la meilleure arme pour s'en débarrasser est d'améliorer la situation sanitaire et de vacciner rapidement.

Sur Strasbourg, vous connaissez mon engagement et celui du Gouvernement. Le contrat triennal, qui marque l'engagement des collectivités et de l'État en faveur de Strasbourg capitale européenne, sera finalisé dans les prochains jours, avec un engagement financier accru de certaines collectivités - pas toutes - et de l'État. C'est important à la fois sur le fond et comme signal. Je ne peux pas encore vous en dire la date exacte, mais le Président de la République se rendra prochainement à Strasbourg pour mettre en avant le contrat triennal, sans doute à l'occasion d'un événement européen - je pense notamment à la conférence sur l'avenir de l'Europe, dont nous insistons pour qu'elle soit inaugurée au siège du Parlement européen à Strasbourg.

Sur la position de l'Union européenne à l'égard de la Turquie, il faut être clair. Je crois que nous avons fait évoluer le consensus européen vers davantage de fermeté, ces dernières semaines. Certes, il y a encore des nuances ou des différences, parfois des divergences, au sein de l'Union européenne. Mais nous avons toujours réussi à préserver l'unité. Si je suis le premier à appeler à davantage de fermeté collective, rien ne serait pire qu'une position de fermeté contrebalancée par la souplesse excessive d'un pays qui se jetterait dans les bras d'Ankara pour discuter budget, migration, etc. Nous avons évité cela, renforcé les messages de fermeté et préparé des mesures de sanction, comme les Turcs le savent.

Au-delà de la fermeté et de l'unité, il y a une question de crédibilité. Après la visite de Mme von der Leyen et de M. Michel, et après une évaluation lucide des choses, si nous voyons, au-delà de quelques signaux tactiques en Méditerranée orientale, que la Turquie poursuit dans la mauvaise direction, nous devrons rouvrir le débat sur des mesures dures. En tous cas, nous avons réussi à déplacer le centre de gravité européen, en maintenant tout le monde à bord et en durcissant la position. Nous travaillons aussi sous des formats plus réduits, comme les exercices militaires de l'été dernier avec la Grèce, Chypre et l'Italie. La Grèce, en faisant de nouveau le choix d'avions français pour renforcer sa propre défense, participe aussi à la crédibilisation sécuritaire et politique de l'Union européenne dans la région. Nous ne lâcherons pas ce combat.

Je suis moins spécialiste de la question marocaine, mais vous avez raison, c'est une priorité que nous partageons avec l'Espagne. Nous souhaitons que l'Union européenne soit davantage à même de discuter avec le Maroc sur le plan migratoire et sur celui de l'investissement. Elle est encore trop dispersée : projets industriels ou écologiques allemands, discussion bilatérale hispano-marocaine sur les flux migratoires, et à l'occasion du déplacement récent de MM. Le Drian et Darmanin, échanges franco-marocains sur les visas et les contrôles migratoires. Mais il n'y a pas encore de stratégie européenne d'influence forte au Maroc, alors que d'autres puissances n'hésitent pas à s'investir davantage dans ce pays clé pour notre stabilité et la stabilité du Maghreb.

Sur les commandes de vaccins hors Union européenne, il y a beaucoup de fantasmes. Il n'est pas vrai que tous les pays européens sauf nous seraient allés, beaucoup plus offensivement que la France ne l'aurait fait, chercher des doses cachées dans telle ou telle capitale étrangère. Les pays qui ont fantasmé sur cette idée se sont souvent cassé les dents. Ainsi, les chefs de gouvernement autrichien et danois ont réalisé qu'Israël allait vite dans sa campagne de vaccination, mais ne produisait pas de doses de vaccins !

Il faut aussi être lucide et réaliste sur la situation russe. Il ne s'agit pas d'exclure le vaccin russe par principe politique, parce qu'il est russe : ce serait une faute sanitaire et politique. Mais le vaccin russe doit faire comme tout le monde, si j'ose dire, c'est-à-dire déposer son dossier, s'il estime être suffisamment efficace, devant l'Agence européenne des médicaments. Nous nous en remettons à l'avis commun européen. Les Russes ont déposé tardivement ce dossier, mais ils l'ont fait. La première étape de l'examen consiste en une revue scientifique, qui durera au moins jusqu'à la mi-juin. Ensuite, pour obtenir l'avis de l'EMA sur l'autorisation de mise sur le marché, il faudra encore quelques semaines. Ce vaccin ne sera donc vraisemblablement pas autorisé avant la fin du mois de juin.

Il y a deux conditions simples pour qu'un vaccin soit injecté dans les bras des Français : qu'il soit validé scientifiquement - c'est évidemment la moindre des choses - avec la même méthodologie pour tous les vaccins ; et qu'il soit produit ! Or ce qu'on sait aujourd'hui du vaccin russe, c'est qu'il est faiblement produit, quoi que donnent à voir les actes géopolitiques ou, pour le dire de manière plus directe, les coups de communication de nos amis russes pour montrer à quel point ils sont présents dans l'Union européenne, au service - ne soyons pas naïfs - d'une stratégie de division de l'Union européenne qui, pour l'instant, n'a pas fonctionné au-delà de quelques coups de canif. En tous cas, il n'y a pas une production massive de vaccins russes dont nous nous priverions. Simplement, nous respectons deux critères - validation scientifique, production industrielle - qui ne sont pas remplis, pour l'instant, pour ce vaccin. Quand ils le seront, sans doute au début de l'été, notre situation aura changé, puisque nous aurons beaucoup plus de doses de vaccin disponibles. Notre besoin sera beaucoup moins criant.

Nous n'excluons aucune solution ni aucune piste, mais ne nous faisons pas d'illusion non plus sur les vaccins russes ou chinois. Parmi les pays européens, seule la Hongrie a fait appel au vaccin russe et l'utilise. La Slovaquie y a fait appel, mais ne l'utilise pas. D'ailleurs, l'affaire a fait tomber son Premier ministre... Le vaccin n'est pas utilisé en Slovaquie parce que l'autorité sanitaire slovaque a dit n'être pas encore en mesure de l'évaluer et attendre l'avis de l'Agence européenne des médicaments. Le Chancelier Kurz, en Autriche, a indiqué qu'il était en discussion pour un million de doses ; mais l'agence sanitaire autrichienne, elle aussi, a indiqué qu'elle attendait l'avis de l'Agence européenne...

Bref, le sujet n'est pas une commande de doses, mais la production, et l'accélération de la production ! Tous les lots disponibles ont été commandés. Même, des doses qui ne sont pas encore produites ont déjà été commandées. L'Union européenne est le premier commanditaire de doses dans le monde : 2,6 milliards de vaccins. La question n'est pas d'en recommander davantage, c'est qu'elles arrivent.

Sur le plan de relance, nous aurons un débat entre pays européens, mais le cadre est clair depuis le Conseil européen du mois de juillet 2020 : il n'y a pas de droit de veto d'un pays sur un plan de relance national. Nous avons déjà une discussion en amont du dépôt final, qui interviendra au cours de ce mois, mais je récuse l'idée d'une conditionnalité entre une réforme particulière et un décaissement.

Sur les règles budgétaires, le débat doit s'ouvrir, et nous ne devons pas refaire l'erreur que nous avons faite en gérant mal l'après-crise en 2011, 2012 et 2013, en durcissant les règles budgétaires d'avant-crise appliquées à toute la zone euro. Pour adapter ces règles, alors que la situation économique est très différente, il faudra commencer par une discussion franco-allemande, sans doute fin 2021 ou au début de l'année 2022, avec le nouveau gouvernement fédéral. La Commission européenne envisage des propositions, y compris législatives, d'ici à la fin de l'année, donc c'est un sujet que nous aurons à traiter au fond, sans doute déjà au cours de la présidence française de l'Union européenne en début d'année prochaine. En tous cas, il faudra veiller à adapter ces règles à notre besoin d'investissements, notamment écologiques et numériques.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Je souhaite revenir sur la vaccination, sans angélisme, mais avec nuance, pour vous dire comment, en tant que professionnel de santé, je ressens les choses, mais aussi en tant que président de la commission des affaires européennes. Je vois de plus en plus chez les peuples un sentiment anti-européen, qui naît du retard de la vaccination. C'est vrai en France, et même en Allemagne, ce qui est assez incroyable : en Allemagne, le peuple s'exprime de façon assez sévère sur ses dirigeants, mais aussi sur la gestion de la crise.

Je pense qu'une erreur stratégique de communication a été faite quand, le 27 décembre, on a vacciné la première française, prénommée Mauricette, parce qu'on a fait croire au peuple français qu'on allait très rapidement pouvoir vacciner tout le monde. Ce fut une erreur de communication dramatique, car la vaccination efficace a en fait commencé à se mettre en place un mois et demi plus tard. Il ne serait pas mauvais de faire un mea culpa sur ce point. Sans cette annonce anticipée, le peuple français aurait mieux compris. Mon propos peut vous sembler critique, mais il correspond à un ressenti largement partagé.

Le Président de la République l'a dit encore hier : les médecins, les pharmaciens peuvent vacciner. Mais, monsieur le ministre, nous n'avons pas de vaccins ! La semaine dernière, j'ai obtenu un flacon, et j'ai vacciné treize personnes dans mon cabinet médical en 55 minutes - quand le parcours moyen, dans un vaccinodrome, est d'une heure. Cette semaine, les pharmaciens nous informaient que la plateforme de commande des vaccins est fermée, faute d'un nombre suffisant de doses. La réalité du terrain est là : un discours national qui fait penser aux gens qu'ils peuvent être vaccinés, comme ils le veulent - et demain chez leur vétérinaire ou leur dentiste - et un manque criant de vaccins. Je sais qu'ils vont venir, mais il serait bon de montrer au peuple, de temps en temps, qu'on est capable de reconnaître avoir fait une erreur. On a gâché les espoirs des Français dans la vaccination.

Puis, on a vacciné avec l'AstraZeneca, mais une polémique a éclaté sur la qualité du vaccin. Sachez que beaucoup de ceux qui ont reçu leur première dose ne veulent plus recevoir la deuxième dans deux mois ! Ce que je viens de dire, je l'ai sur le coeur depuis un certain temps, et cela a sans doute beaucoup alimenté le sentiment anti-européen. L'Europe ne s'est pas trompée en disant qu'il fallait vacciner tout le monde, de façon cohérente, solidaire, intelligente. Mais les États membres n'ont pas pu suivre, faute d'avoir les bons éléments.

Debut de section - Permalien
Clément Beaune , secrétaire d'État

Mon sentiment est que nous avons tenu une ligne de crête entre la défiance vaccinale, qui était assez largement répandue, et une sorte d'impatience qui s'est matérialisée plus vite qu'on ne pensait. Nous avons tous été surpris par cette impatience, clairement liée au ras-le-bol des restrictions. La défiance initiale s'est transformée en confiance obligatoire dans le vaccin, puisque nos concitoyens ont décidé de passer outre leurs doutes pour sortir de cette situation.

Sur le cadre européen, je suis plus directement concerné encore. C'est mon obsession que tout se passe bien. Si, dans deux mois, l'Europe a décroché, notamment sur les vaccins de seconde génération ou le rythme de vaccination, et qu'on voit les images d'ailleurs où tout se passe beaucoup mieux, cela écrasera tous nos efforts. Je suis parfaitement lucide sur le fait que c'est l'image du jour qui compte !

Au Royaume-Uni, en décembre, c'était la catastrophe. D'ailleurs, les Britanniques auront sans doute à déplorer entre 35 000 et 40 000 morts de plus que nous, à population égale. Mais ce qui compte, c'est la dernière image. Et aujourd'hui, les Anglais vaccinent plus vite. Notre obsession est donc d'accélérer le rythme de la vaccination, comme vous l'a rappelé hier Thierry Breton, non pas pour dire que nous sommes les meilleurs du monde, mais pour que ce soit visible. D'ici au mois de mai ou de juin, je pense que c'est possible. J'espère qu'en juin la situation sera bien meilleure, et que la perception de l'Europe sera que nous avons relevé le défi, que nous sommes les meilleurs producteurs de vaccins du monde, et que nous avons préparé la suite. Si nous n'avons pas une vaccination qui marche en Europe, la perception sera mauvaise.

Les difficultés sont là. Il y a sans doute eu des erreurs. Je suis obsédé par la nécessité d'identifier les bons problèmes. Sinon, comment corriger les choses ? On peut faire un débat a posteriori sur les prix, les lenteurs administratives, etc. Mais ce n'est pas le sujet. Le sujet, c'est l'industriel et l'anticipation de la seconde génération. Pour l'instant, la perception de l'Europe n'est pas bonne. On peut dire aux gens qu'ils ont tort de penser ainsi, cela ne change rien : il faut changer la réalité.

Debut de section - PermalienPhoto de Marta de Cidrac

Notre président ayant bien exprimé ce que je souhaitais partager, je ne reviendrai pas sur le déploiement du vaccin. Vous avez évoqué le vaccin de deuxième génération, et plus spécifiquement le programme d'incubateur HERA, lancé en février, qui a comme vocation de contrôler les variants, d'anticiper les pandémies futures, et de préparer le fameux vaccin de seconde génération. Vous avez parlé de 150 millions d'euros. À combien estime-t-on le coût de ce programme ? Quelles sont les échéances ? Comment ce programme pourrait-il profiter à notre industrie française ?

À l'occasion de notre débat préalable à la réunion du Conseil européen, j'avais évoqué l'empreinte environnementale du numérique. Je souhaiterais revenir sur cet aspect. Si on regarde la trajectoire environnementale du numérique, comparée avec celle du secteur aérien, on voit bien qu'on a des soucis à se faire pour l'avenir. L'empreinte environnementale du numérique est-elle prise en considération alors qu'il y a beaucoup plus d'humains qui utilisent le numérique que d'humains qui prennent l'avion ? Vous avez évoqué un certain nombre d'erreurs commises par manque d'anticipation...

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Je remercie notre président d'avoir été le porte-parole de ce que nous ressentons très profondément sur la question de la stratégie vaccinale. Les failles de communication sont désastreuses et l'enjeu, aujourd'hui, est de rebâtir la confiance avec les Français, comme après la question des masques, sur laquelle la communication avait été aussi contradictoire et incohérente.

Sur le numérique, vous avez rappelé qu'on avançait, et qu'il fallait mobiliser l'ensemble des outils qui sont à notre disposition, et notamment les outils fiscaux, les outils juridiques et les outils diplomatiques. Mais la politique fiscale ne peut être l'alpha et l'oméga d'une politique de reconquête de notre souveraineté. Il faut une politique industrielle digne de ce nom. Vraiment, les trente dernières années ont été calamiteuses en termes de bilan industriel. Nous nous sommes attachés à développer le marché intérieur, mais pas à créer un écosystème autonome en Europe. Il ne s'agit pas de recréer un système souverain, mais au moins de reprendre la main sur des éléments de la chaîne numérique.

Toutes les nations qui ont développé des écosystèmes technologiques puissants ont investi massivement et de manière volontariste. Avons-nous la volonté de développer des capacités de stockage et de traitement de nos données suffisantes sur notre continent ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Sur le franchissement de la frontière, vous dites qu'on a échappé au pire. Bien, mais ce n'est pas satisfaisant. Le double contrôle par semaine est très mal vécu par les travailleurs frontaliers. Ce matin encore, un maire m'interpellait violemment sur la question. Cela ne peut pas continuer comme cela. La situation n'est pas acceptable. Pour certains Alsaciens, cela s'assimile presque à une fermeture de frontière.

L'apprentissage transfrontalier a connu un développement très important ces deux dernières années. Les difficultés de franchissement de la frontière sont de nature à casser cette dynamique, de notre côté comme chez les Allemands, qui sont pourtant très demandeurs de cette main d'oeuvre. Que pouvez-vous faire, à votre niveau, pour sensibiliser vos collègues sur cette question ? Dans les circonstances actuelles, il faut redonner un espoir à la jeunesse - et l'apprentissage transfrontalier est aussi de nature à donner une nouvelle image de l'Europe telle que nous la souhaitons.

Debut de section - Permalien
Clément Beaune , secrétaire d'État

Le concept de vaccin de seconde génération mérite d'être précisé. Il s'agit de se mettre en mesure, sur le plan de la recherche et de la production industrielle, de produire des vaccins adaptés à des variants et à des mutations. Contre les variants récents, malgré leur agressivité, les vaccins dont nous disposons actuellement sont efficaces - sauf peut-être contre le sud-africain. La solidarité internationale est aussi indispensable pour maîtriser la pandémie. Il faut vacciner le monde entier, non seulement par bienveillance et humanisme - ce qui serait déjà une bonne raison - mais aussi parce que c'est notre intérêt sanitaire.

Ce que nous faisons au niveau européen va dans la bonne direction, mais n'est pas encore suffisant. HERA est la préfiguration d'une agence de type Barda. Nous devons identifier les vrais problèmes : l'un d'eux était que l'Europe n'était pas équipée sur le plan sanitaire. Je ne crois pas à une Europe de la santé qui s'occupe de tout, ce serait absurde. Mais sur des sujets industriels de production, je crois que le cadre européen doit être réformé. Pour la seconde génération, ce qu'il faut, c'est mettre des moyens. Les 150 millions d'euros annoncés ne sont pas suffisants, bien sûr. Il y a quelques poches de financement que nous pouvons mobiliser : le nouveau budget de santé de 5 milliards d'euros, dans le budget européen, mis en place à partir de 2021 pour sept ans, et le programme Horizon Europe, qui est beaucoup mieux doté, avec près de 100 milliards d'euros. Il faut rester très pragmatique : il y aura aussi des financements nationaux. Nous serions bien inspirés, dans les semaines qui viennent, de prévoir une conférence européenne pour réunir des moyens financiers rapidement. On ne peut pas dire que le problème a été le manque de moyens par rapport aux États-Unis, et ne pas en tirer la conséquence pour la suite. Un tel fonds européen devrait être focalisé sur les capacités de production et le développement de nouvelles générations de vaccin. Avant l'été, il faut avoir pris une initiative de cette nature.

La question de l'empreinte environnementale du numérique devient, au même titre que celle des vols en avion, de plus en plus prégnante : nous devons nous en saisir, si l'on veut éviter les craintes millénaristes. Nous pourrions sans doute inscrire ce sujet à l'ordre du jour de la présidence française de l'Union européenne, pour l'évaluer de manière rationnelle et prendre des décisions adaptées. Les jeunes savent déjà qu'un simple courriel consomme de l'énergie. Cette question n'est pas anecdotique. La consommation d'énergie pourrait faire partie des critères à prendre en compte dans la mise en place d'un cloud européen ou dans les clauses environnementales renforcées dans les marchés publics. Il faut aussi mieux informer le consommateur. Mais les opérateurs l'ont bien compris, puisque l'un d'entre eux axait déjà sa campagne publicitaire sur ce thème.

Madame Morin-Desailly, notre politique industrielle a changé d'approche ces dernières années. Celle-ci doit s'articuler à trois niveaux. Au niveau national, nous devons renforcer notre compétitivité. Avant la crise, on recommençait à créer des emplois industriels grâce à notre politique en faveur de l'attractivité, à une politique fiscale stable et lisible, et à notre réforme du marché du travail.

Cette action doit se combiner avec une évolution de la politique de concurrence européenne. Une approche statique, fondée sur la seule analyse du marché pertinent, n'est plus adaptée. La décision sur la fusion d'Alstom et de Siemens a été révélatrice ; elle manquait d'une vision dynamique : si la Chine n'est pas encore leader en Europe, elle risque de le devenir dans les prochaines années. On doit défendre les intérêts européens et pas simplement ceux du consommateur aujourd'hui. Ce changement d'approche n'est pas que juridique, il est aussi politique et nous poussons en ce sens.

Il faut aussi faire évoluer notre politique commerciale et garantir une plus grande protection au niveau européen, grâce à des règles antidumping. La Commission fera bientôt une proposition, que nous soutenons, sur le contrôle des subventions étrangères et le contrôle des investissements stratégiques. Il s'agit d'interdire à des entreprises subventionnées à l'étranger, et qui ne sont donc pas à armes égales avec nos entreprises, d'être éligibles à nos marchés publics, et d'imposer une réciprocité dans l'ouverture des marchés, l'Europe étant le continent où les marchés publics sont les plus ouverts au monde. Certains secteurs, comme le photovoltaïque, ont été balayés par cette concurrence déloyale. Nous avons réussi à protéger nos producteurs d'acier grâce à l'instauration de règles antidumping. S'agissant du contrôle des investissements étrangers, une première étape a été franchie il y a deux ans, mais il faut aller plus loin, car la Commission n'est qu'informée des grands investissements de pays tiers et ne peut pas intervenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Pourquoi ne pas s'inspirer du Small Business Act américain ?

Debut de section - Permalien
Clément Beaune , secrétaire d'État

J'y suis très favorable, mais, pour être honnête, une telle mesure semble, dans l'immédiat, beaucoup plus difficile à obtenir au niveau européen que le contrôle des subventions étrangères ou la régulation des marchés publics. La réforme des procédures de concurrence et des pratiques commerciales, pour lutter contre le dumping et contrôler les investissements étrangers, me semble être une façon de rééquilibrer notre politique industrielle.

Enfin, j'entends vos interpellations sur la vie frontalière. J'étais en Moselle récemment : les travailleurs frontaliers ne comprennent pas les barrières. Au-delà de la gêne provoquée, l'exigence d'un test revêt avant tout une dimension symbolique, qui nie le caractère intégré de leurs vies. À Sarreguemines, on est à 500 mètres de la frontière, et pourtant il faut un test PCR pour la passer. Cette barrière n'a guère de sens. Il faut absolument éviter de refermer les frontières comme cela a été fait en 2020. Les répercussions seraient durables, notamment sur le plan symbolique. Rétablir des barrages de police à la frontière franco-allemande ne serait pas neutre ! Nous essayons de faire en sorte que les restrictions soient les moins pénalisantes possible et j'espère qu'elles ne dureront pas. Avec les collectivités, nous sommes en relation permanente avec nos homologues allemands. Nous développons les tests antigéniques et accélérons le déploiement des tests salivaires.

En ce qui concerne l'apprentissage transfrontalier, je crois à la coopération bilatérale. Une conférence intergouvernementale sera organisée dans les prochains mois avec le Luxembourg. De même, avec l'Allemagne, nous examinerons aussi ces questions dans quelques semaines. C'est en demandant aux employeurs et aux chambres de commerce d'identifier les verrous et de proposer des actions concrètes que l'on avance, bien plus que par une grande déclaration franco-allemande. Ce modèle a fait ses preuves avec l'Espagne.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Cuypers

La politique agricole commune (PAC) puise ses racines dans l'exigence de garantir la souveraineté alimentaire de l'Europe. Elle doit demeurer un outil économique résilient dans tous les territoires de notre pays ; elle contribue à préserver le pouvoir d'achat des ménages.

Or la feuille de route proposée est à l'opposé des attentes du monde agricole. Le projet de la Commission est une usine à gaz. Les mesures environnementales imposées vont à l'encontre des exigences du développement économique et ne permettront pas de maintenir une agriculture dans notre pays.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Vous avez partiellement répondu sur la réaction du chancelier Kurz lors de la visioconférence, lorsque la question de la covid a été posée. Pourquoi un Conseil européen prévu pour durer deux jours n'a-t-il duré qu'un seul jour ? Son agenda était pourtant assez dense et M. Biden est intervenu en vidéoconférence. Quid de la Russie ? Il est juste indiqué que le Conseil européen a pris connaissance des derniers développements des relations entre l'Union européenne et ce pays, et qu'un débat stratégique sera organisé au cours d'un prochain Conseil européen. Pourtant ce dossier est sensible. M. Navalny a entamé une grève de la faim.

On a l'impression que tout est suspendu jusqu'aux élections allemandes : on renvoie la question chypriote à l'ONU ; aucun changement d'attitude quant au traité d'investissement avec la Chine voulu par l'Allemagne ; abstention sur la question russe, sujet sensible au sein de la grande coalition allemande. On ne sait à quelle valse-hésitation joue l'Allemagne dans cette période électorale...

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Lavarde

Le Conseil européen a été suivi d'un sommet de la zone euro, qui a donné lieu à un entretien avec la présidente de la Banque centrale européenne (BCE) et le président de l'Eurogroupe : la déclaration finale plaide pour renforcer le rôle de l'euro, accroître l'autonomie stratégique de l'Union européenne, contribuer à la stabilité du système financier mondial et soutenir les entreprises et les ménages européens. J'ai l'impression que les politiques européenne et américaine divergent, les États-Unis venant de lancer un vaste plan d'investissement. N'êtes-vous pas inquiet en raison de la surévaluation de l'euro qui pénalise nos entreprises ?

Debut de section - PermalienPhoto de Victorin Lurel

Le Président de la République affirmait que le vaccin était un bien commun : quelle est la position de la France à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ? Quelle est celle de l'Europe à cet égard ? Cette pandémie est mondiale. Il faudra vacciner dans tous les pays, si l'on veut en sortir.

La Cour de Karlsruhe a suspendu le processus de ratification du plan de relance. Que ferons-nous si le blocage persiste ?

En ce qui concerne le maintien du budget du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (Posei) qui bénéficie aux outre-mer, le Conseil et la Commission font de la résistance, alors que les demandes exprimées sont très raisonnables. Où en est-on ?

Quelle est votre position sur la hausse du plafond du régime spécifique d'approvisionnement (RSA), qui est une aide à l'importation de céréales destinées à la transformation prévue dans les mesures Posei ? Depuis 2013, ce plafond est bloqué à 26,9 millions d'euros. La profession souhaite une hausse à 35 millions.

Dernière demande des outre-mer : l'autorisation de percevoir des cotisations professionnelles étendues. Cette mesure est aujourd'hui réservée à la viande ; au sein de l'interprofession, d'autres familles de produits ne sont pas assujetties.

Je demande à M. le secrétaire d'État que la France défende ces positions qui ont déjà fait l'objet de discussions au Parlement européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Je veux souligner trois points de vigilance.

Le volume du plan états-unien de relance et d'investissement dans les infrastructures est très important, d'un ordre de grandeur incomparable à celui que nous commençons à mettre en place en Europe. Au-delà de l'incertitude liée à la décision du tribunal de Karlsruhe, les montants en jeu aux États-Unis suscitent des inquiétudes relatives aux pressions inflationnistes qui pourraient en résulter et à leurs effets sur notre capacité à avoir accès à de l'argent pas cher. Notre plan de relance ne risque-t-il pas d'être trop modeste et trop tardif, avec un risque de décrochage ?

Deuxième point de vigilance : nous avons récemment présenté un rapport sur l'État de droit en Europe assorti d'un avis politique à la commission des affaires européennes, qui les a adoptés ; on sent un durcissement, dans les pays concernés, pour faire prévaloir le droit national sur le droit européen. Les outils dont nous disposons nous permettent-ils de faire face à ces évolutions inquiétantes susceptibles de dynamiter l'Union européenne ?

Un mot, enfin, sur les questions migratoires. Notre perte d'influence, notre défaut d'attractivité, le déficit d'image de l'Union européenne sont aussi liés à notre obsession des laissez-passer consulaires et à l'hégémonie de cette fausse notion d'« appel d'air ». Ne faudrait-il pas revoir notre politique de voisinage en refusant de céder à l'obsession migratoire ? Quid de la capacité de l'Union à faire évoluer les propositions de la Commission européenne, qui oscille aujourd'hui entre statu quo et aggravation de la politique actuelle ?

Debut de section - PermalienPhoto de Florence Blatrix Contat

Ma collègue Catherine Morin-Desailly vous a interrogé sur la question des données d'un point de vue stratégique, économique et démocratique. Je vous ai moi-même interrogé la semaine dernière sur le développement des capacités européennes d'acheminement, de stockage et de traitement des données. Pour la première fois, en 2020, les entreprises ont dépensé davantage dans le cloud que pour moderniser leurs propres salles de stockage. En France, l'essentiel de l'informatique n'est toujours pas dans le cloud : 70 % des données sont encore hébergées dans des salles blanches ou dans des sièges d'entreprises - il existe donc un vrai potentiel de croissance.

Il y a là un volet important de l'autonomie stratégique de l'Union. Où en est la mise en oeuvre du projet Gaïa X ? Comment l'Europe saura-t-elle saisir cette opportunité de développement ?

Debut de section - Permalien
Clément Beaune , secrétaire d'État

Un mot, tout d'abord, sur la politique agricole commune. Le ministre Julien Denormandie est à la manoeuvre pour poursuivre la négociation, mais nous avons d'ores et déjà évité la renationalisation de la PAC qu'aurait sans doute provoquée l'adoption des positions initiales de la Commission. La double exigence de conformité et de performance que la Commission envisageait dans sa réforme initiale aurait été à l'inverse de la logique qu'elle prônait, qui visait plutôt à donner des marges de manoeuvre aux États membres : on aurait créé de la rigidité supplémentaire. Nous sommes plutôt allés vers une uniformisation des exigences environnementales, ce qui est très important pour la compétitivité française.

S'agissant du budget de la PAC, nous avons évité le recul massif de 15 % que la Commission proposait au départ et stabilisé sur sept ans les paiements directs, par le jeu des transferts entre pays. Au total, en incluant le plan de relance, nous pouvons dire que nous avons assuré la stabilité des retours financiers français pour l'agriculture hors inflation, en euros courants, pour les sept ans à venir. Tel était l'objectif partagé avec les organisations professionnelles, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) notamment. Concernant la négociation des derniers paramètres qui a lieu actuellement au Parlement européen, nous pourrons en rediscuter.

J'en viens aux questions de Victorin Lurel. Nous avons réussi à éviter, fin 2020, la baisse de l'enveloppe du Poséi au terme d'une bataille difficile. Il faut maintenant que nous garantissions sa stabilité financière pour l'ensemble de la période budgétaire 2021-2027 - nous devrions y arriver. Quant à la hausse du plafond du régime spécifique d'approvisionnement, ce sujet est bloqué depuis 2013-2014 ; il doit faire l'objet d'un suivi spécifique de la part des ministères concernés.

Je réponds à André Gattolin : le sujet de la Russie n'a été évoqué qu'un très court instant au Conseil européen ; il fera l'objet de discussions plus approfondies la prochaine fois. Je ne me lancerai pas dans un commentaire sur la stratégie allemande à l'égard de la Russie. Je ne sais pas vous dire quelle sera la politique européenne et russe de l'Allemagne à l'issue du scrutin fédéral de fin septembre, mais nous avons déjà fait la démonstration de l'unité franco-allemande avec les dernières sanctions prises, à la suite de l'affaire Navalny, dans le cadre de la réglementation Magnitski.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Pourquoi ce point a-t-il été traité aussi brièvement ?

Debut de section - Permalien
Clément Beaune , secrétaire d'État

Un suivi était prévu, mais compte tenu de l'ordre du jour et de la place prise par les vaccins dans la discussion, il a été décidé de revenir sur le sujet ultérieurement.

Sur les questions relatives à la zone euro, une séquence a effectivement été consacrée au rôle international de notre monnaie, avec un point de situation de Christine Lagarde et de Paschal Donohoe pour l'Eurogroupe. Le rôle international de l'euro n'a pas massivement évolué, même si, à la faveur de la crise, la part de l'euro dans les transactions internationales remonte légèrement, celle du dollar baissant à due proportion. On reste néanmoins à plus de 60 % pour le dollar contre un plus de 20 % pour l'euro. Comment renforcer le rôle international de l'euro au-delà de l'action sectorielle ? Les deux leviers à notre disposition sont la relance et l'innovation financière, qu'il s'agisse de l'euro numérique ou des obligations vertes. Si notre monnaie est vue comme porteuse des grandes innovations d'endettement dans les années à venir, elle sera attractive et elle se placera devant le dollar. Le plan de relance n'est pas qu'une façon d'être solidaire, c'est aussi un moyen d'émettre de la monnaie commune sur les marchés internationaux. Ces titres contribueront au renforcement international de l'euro. Le Président de la République l'a rappelé lors d'un précédent sommet, on ne peut pas vouloir renforcer le rôle international de l'euro, qui ne se décrète pas, et être hostile à l'idée d'un budget commun beaucoup plus fort. Notre plan de relance va dans la bonne direction à cet égard.

En ce qui concerne la comparaison entre le plan de relance européen et le plan de relance américain, remettons les choses à leur juste place. D'abord, le plan Biden n'est pas un plan de relance stricto sensu, c'est un plan d'urgence. Il est comparable à ce que nous faisons en matière de chômage partiel et de soutien au pouvoir d'achat : c'est en quelque sorte un rattrapage en termes de protection sociale. Si le plan américain est nécessaire à cette hauteur, c'est aussi parce que le modèle structurel des États-Unis est moins protecteur et dénué d'amortisseurs sociaux. La France compte 20 points de plus de dépenses publiques que les États-Unis. Certains pourraient dire que c'est trop en régime de croisière, mais en période de crise, cela nous offre des protections sociales dont nous pouvons être fiers. Elles fonctionnent, c'est pourquoi nous avons moins besoin de ce genre de grand plan massif.

Cela étant, il y a dans ce plan une composante d'investissement et de relance importante. À la suite du discours de Pittsburgh, cette dimension sera certainement renforcée. On nous annonce un plan du même ordre de grandeur pour la décennie à venir jusqu'en 2030 en matière d'investissement et d'infrastructure. Vous avez raison, il ne faudrait pas que nous ayons un décrochage post-crise dans l'investissement à long terme par rapport aux États-Unis. C'est la raison pour laquelle le Président de la République a évoqué la possibilité de compléter notre réponse de relance européenne. Il ne s'agit pas, encore une fois, de comparer nos 750 milliards d'euros aux 1 900 milliards de dollars du plan américain : c'est dans la stratégie d'investissement qui va suivre que nous devons nous remettre au niveau des montants engagés par les États-Unis et par les autres grands concurrents internationaux.

Victorin Lurel a également évoqué la question vaccinale. Oui, nous défendons l'idée que les vaccins doivent être un bien public mondial. Mais ce n'est pas en levant la protection des brevets que nous y parviendrons. D'abord, soyons clairs, l'innovation doit être rémunérée. Nous avons parlé des vaccins de seconde génération : comment espérer des progrès si nous disons aux grandes start-up, qui nous apporteront demain des solutions que nous n'imaginons pas encore aujourd'hui, qu'elles ne seront pas rémunérées pour leurs efforts ?

En revanche, cette rémunération légitime ne doit pas priver les pays, qui n'ont pas les moyens financiers ou industriels, d'accéder aux vaccins. Il faut donc encourager la production locale. C'est ce que nous cherchons à faire avec la directrice générale de l'OMC grâce au transfert de technologie. Il faut également, à court terme, faire preuve de solidarité dans l'achat et la livraison de doses de vaccin. C'est tout l'objet de l'initiative internationale Covax dont nous sommes à l'origine. Même si la période est tendue, nous avons réussi à livrer plus de 30 000 millions de doses dans cinquante-sept pays. Nous vaccinons en priorité en Afrique les soignants pour ne pas que le système de santé craque. C'est ainsi que nous honorerons progressivement la promesse de faire du vaccin un bien public mondial. C'est aussi la raison pour laquelle l'Union européenne a commandé beaucoup plus de doses que nécessaires pour sa population, afin de participer encore davantage à cette solidarité internationale.

En ce qui concerne la Cour constitutionnelle fédérale allemande de Karlsruhe, nous n'anticipons pas de blocage. Je veux croire que nous allons y arriver, et vite. Nous avons surmonté beaucoup de péripéties, y compris sur le programme de financement monétaire européen de crise en mai 2020. Nous avons surmonté des tabous politiques sur l'endettement commun. Je pense aussi à la question de la conditionnalité sur l'État de droit avec la Pologne et la Hongrie, et aux ratifications nationales, qui sont difficiles partout, surtout dans un délai très court et à vingt-sept, mais nous y parviendrons une fois de plus. Si ce n'était pas le cas, nous trouverions d'autres solutions. Mais je ne souhaite pas envisager un scénario de blocage allemand, qui serait un scénario noir.

Je rebondis sur les autres questions du sénateur Jean-Yves Leconte sur l'État de droit. Nous relevons effectivement des évolutions inquiétantes dans certains pays. Mais je veux rester optimiste puisque c'est devenu un vrai sujet de préoccupation et d'actions européennes. Il y a deux ou trois ans, qui s'intéressait à ce qui se passait en Hongrie, en Pologne ou ailleurs en matière d'État de droit ? Aujourd'hui, nous avons des mécanismes renforcés de conditionnalité budgétaire. Même s'ils sont encore insuffisants, ils constituent une véritable avancée. La Commission européenne a saisi hier, au sujet de la Pologne, la Cour de justice de l'Union européenne, qui décidera en toute indépendance et objectivité. Elle l'a déjà fait sur la réforme du Tribunal constitutionnel polonais. Cette pression continue. Nous la maintiendrons de toutes les manières possibles : la revue des pairs du Conseil sur la question de l'État de droit, l'article 7, les recours juridiques, etc.

Sur la question des migrations, je ne suis pas sûr d'avoir compris votre interrogation. J'ai relevé la question des laissez-passer consulaires. Il ne faudrait pas, selon vous, que notre politique à l'égard des pays concernés se résume à la question migratoire, c'est bien cela ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Il ne faudrait pas qu'elle se résume à l'obtention des laissez-passer consulaires et à la peur de « l'appel d'air ». Les difficultés pour obtenir des visas et les différentes vexations subies engendrent un délitement progressif de la relation entre les pays du Sud et l'Union européenne, au profit, en particulier, de la relation avec la Turquie. C'est assez préoccupant.

Debut de section - Permalien
Clément Beaune , secrétaire d'État

Je suis tout à fait d'accord, il ne faut pas résumer la relation avec notre voisinage méditerranéen ou avec l'Afrique à la question migratoire. En termes d'investissement, d'éducation, de mobilité et d'investissements privés, beaucoup de choses restent à faire. C'est l'objet du sommet Afrique-France qui se tiendra dans les prochaines semaines. Nous réfléchissons à un autre événement entre l'Afrique et l'Europe pour élargir notre agenda au-delà des questions de développement et de migration au cours de l'année 2022, durant la présidence française de l'Union européenne. Nous partageons donc votre volonté de ne pas résumer notre relation à la Méditerranée à un agenda migratoire.

Mme Blatrix-Contat m'a interrogé sur le numérique, en particulier sur Gaia-X. Une des exigences portées par le commissaire Thierry Breton, et que nous avons soutenue, est que tous les plans de relance nationaux comprennent 20 % de dépenses consacrées à la transition numérique, qu'il s'agisse du développement de la 5G, du projet commun franco-allemand Gaia-X, de la relocalisation des données, etc. Il s'agit d'asseoir une compétence souveraine européenne. Au-delà du tragique incendie récent, OVH reste un vrai champion. Nous aurons l'occasion dans les cinq ans à venir de développer une vraie stratégie de relocalisation des données sensibles au sein de l'Union européenne. Nous en avons la capacité industrielle, notamment en France. Gaia-X est un beau projet franco-allemand dans le domaine du cloud. Beaucoup de pays européens s'y rallient progressivement. Un autre outil qui permettra de financer des projets communs et qui a montré son utilité dans le domaine des batteries électriques, et demain dans l'hydrogène, est constitué par les Important Projects of Common European Interest (IPCEI). Il s'agit d'un cadre européen très utile, qui permet de se détacher des règles de concurrence, notamment en matière d'aides d'État. L'IPCEI permet, en effet, un financement public sans contrainte, avec à chaque fois un soutien du budget européen en complément.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Merci, monsieur le secrétaire d'État, d'avoir accepté cette audition, dans un contexte sanitaire aussi compliqué.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 heures 45.