Intervention de Clément Beaune

Commission des affaires européennes — Réunion du 1er avril 2021 à 10h35
Institutions européennes — Audition de M. Clément Beaune secrétaire d'état auprès du ministre de l'europe et des affaires étrangères chargé des affaires européennes à la suite du conseil européen des 25 et 26 mars 2021

Clément Beaune , secrétaire d'État :

Je commencerai par répondre à M. Fernique. Il est vrai que le plan de relance européen est l'objet de péripéties épuisantes, mais elles représentent la contrepartie d'un plan exceptionnel qui brise certains tabous, notamment l'établissement d'une dette commune qui fait justement l'objet d'un recours auprès de la cour de Karlsruhe, et qui établit un budget européen de 1 800 milliards d'euros pour les sept prochaines années. Il prend effectivement du temps à être ratifié par l'ensemble des États membres, mais pas davantage qu'un autre accord. Déjà, seize pays, dont l'Allemagne - et je suis assez optimiste sur le fait que sa cour fédérale tranchera rapidement sur le recours engagé pour ne pas allonger le délai de ratification -, ont engagé une procédure parlementaire et les choses avancent dans les onze autres. J'ai bon espoir que le processus aboutira en mai pour lancer, au début de l'été, les premiers décaissements au titre des préfinancements. Du reste, le plan européen produit déjà des effets économiques et budgétaires. Ainsi, il abonde largement les 100 milliards d'euros du plan français, dont 26 milliards d'euros ont déjà été engagés. En revanche, le débat sur un nouvel abondement me semble prématuré. Il convient de mettre en oeuvre le premier plan, révolutionnaire pour beaucoup d'États membres, de le faire vivre, d'évaluer son efficacité avant de réfléchir à un éventuel complément dans deux ou trois ans. Lors de la précédente crise, l'Union européenne n'a pas su convenablement gérer l'après-crise - le Président de la République l'a reconnu. Aussi, il convient de veiller à ne pas reproduire les mêmes erreurs.

S'agissant de la taxation des géants du numérique, il apparaît effectivement difficile de trouver un accord. Il faut nous fixer un horizon raisonnable à la fin du semestre pour obtenir un accord au niveau international, idéalement dans le cadre de l'OCDE. À défaut s'imposera une solution européenne, même si, pour des raisons tactiques ou de fond, de nombreux États membres préféreraient attendre l'établissement d'un cadre international. La Commission européenne a annoncé le dépôt d'un texte législatif sur le sujet d'ici l'été, mais son adoption nécessitera l'unanimité.

Vous m'avez également interrogé sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Son articulation avec le dispositif des quotas gratuits relève davantage d'une question de calendrier que de principe. À terme, les deux systèmes ne pourront pas cohabiter. Il convient donc de réfléchir au phasage du passage d'un dispositif à l'autre. Notre objectif est d'être ambitieux sur le plan climatique, sans pénaliser l'Union européenne d'un point de vue économique et social. Ce débat politique me semble essentiel.

Le Président de la République a évoqué les vaccins lors du dernier Conseil européen. Il a reconnu que les investissements avaient été insuffisants dans la phase de développement des vaccins et en matière de production. Pour autant, l'Union européenne se positionne en deuxième position mondiale en termes de fabrication de vaccins et devrait prochainement prendre la tête du classement avec deux milliards de doses produites annuellement d'ici à la fin de 2021. Évitons les faux débats sur les contrats et les prix et identifions les vraies erreurs afin de ne pas les reproduire, avec les vaccins de seconde génération. À titre de comparaison, les États-Unis ont dépensé 14 milliards de dollars pour financer la dernière étape des vaccins de première génération ; pour sa part, l'Agence européenne des médicaments (EMA) ne dispose que d'un budget, très insuffisant, de 150 millions d'euros. Il faudra allouer plusieurs milliards d'euros dans les prochains mois au bénéfice des vaccins de seconde génération. Aucun pays ne peut investir seul une telle somme ; l'effort doit donc être européen.

Vous avez évoqué la question frontalière et la question strasbourgeoise. Je suis parfaitement conscient de ce qui se passe aujourd'hui dans les bassins de vie frontaliers, et qui concerne quotidiennement plusieurs milliers de travailleurs. Maigre consolation : par la discussion avec les Allemands et les Länder, nous avons réussi à éviter une fermeture des frontières et obtenu que le dispositif de tests PCR quotidiens, prévu au départ, cède la place à des tests antigéniques deux fois par semaine. C'est tout de même pénible, c'est pesant et cela crée des tensions. Nous continuons l'effort de discussion avec les autorités allemandes et nous espérons que ces restrictions durent le moins longtemps possible. Bien sûr, la meilleure arme pour s'en débarrasser est d'améliorer la situation sanitaire et de vacciner rapidement.

Sur Strasbourg, vous connaissez mon engagement et celui du Gouvernement. Le contrat triennal, qui marque l'engagement des collectivités et de l'État en faveur de Strasbourg capitale européenne, sera finalisé dans les prochains jours, avec un engagement financier accru de certaines collectivités - pas toutes - et de l'État. C'est important à la fois sur le fond et comme signal. Je ne peux pas encore vous en dire la date exacte, mais le Président de la République se rendra prochainement à Strasbourg pour mettre en avant le contrat triennal, sans doute à l'occasion d'un événement européen - je pense notamment à la conférence sur l'avenir de l'Europe, dont nous insistons pour qu'elle soit inaugurée au siège du Parlement européen à Strasbourg.

Sur la position de l'Union européenne à l'égard de la Turquie, il faut être clair. Je crois que nous avons fait évoluer le consensus européen vers davantage de fermeté, ces dernières semaines. Certes, il y a encore des nuances ou des différences, parfois des divergences, au sein de l'Union européenne. Mais nous avons toujours réussi à préserver l'unité. Si je suis le premier à appeler à davantage de fermeté collective, rien ne serait pire qu'une position de fermeté contrebalancée par la souplesse excessive d'un pays qui se jetterait dans les bras d'Ankara pour discuter budget, migration, etc. Nous avons évité cela, renforcé les messages de fermeté et préparé des mesures de sanction, comme les Turcs le savent.

Au-delà de la fermeté et de l'unité, il y a une question de crédibilité. Après la visite de Mme von der Leyen et de M. Michel, et après une évaluation lucide des choses, si nous voyons, au-delà de quelques signaux tactiques en Méditerranée orientale, que la Turquie poursuit dans la mauvaise direction, nous devrons rouvrir le débat sur des mesures dures. En tous cas, nous avons réussi à déplacer le centre de gravité européen, en maintenant tout le monde à bord et en durcissant la position. Nous travaillons aussi sous des formats plus réduits, comme les exercices militaires de l'été dernier avec la Grèce, Chypre et l'Italie. La Grèce, en faisant de nouveau le choix d'avions français pour renforcer sa propre défense, participe aussi à la crédibilisation sécuritaire et politique de l'Union européenne dans la région. Nous ne lâcherons pas ce combat.

Je suis moins spécialiste de la question marocaine, mais vous avez raison, c'est une priorité que nous partageons avec l'Espagne. Nous souhaitons que l'Union européenne soit davantage à même de discuter avec le Maroc sur le plan migratoire et sur celui de l'investissement. Elle est encore trop dispersée : projets industriels ou écologiques allemands, discussion bilatérale hispano-marocaine sur les flux migratoires, et à l'occasion du déplacement récent de MM. Le Drian et Darmanin, échanges franco-marocains sur les visas et les contrôles migratoires. Mais il n'y a pas encore de stratégie européenne d'influence forte au Maroc, alors que d'autres puissances n'hésitent pas à s'investir davantage dans ce pays clé pour notre stabilité et la stabilité du Maghreb.

Sur les commandes de vaccins hors Union européenne, il y a beaucoup de fantasmes. Il n'est pas vrai que tous les pays européens sauf nous seraient allés, beaucoup plus offensivement que la France ne l'aurait fait, chercher des doses cachées dans telle ou telle capitale étrangère. Les pays qui ont fantasmé sur cette idée se sont souvent cassé les dents. Ainsi, les chefs de gouvernement autrichien et danois ont réalisé qu'Israël allait vite dans sa campagne de vaccination, mais ne produisait pas de doses de vaccins !

Il faut aussi être lucide et réaliste sur la situation russe. Il ne s'agit pas d'exclure le vaccin russe par principe politique, parce qu'il est russe : ce serait une faute sanitaire et politique. Mais le vaccin russe doit faire comme tout le monde, si j'ose dire, c'est-à-dire déposer son dossier, s'il estime être suffisamment efficace, devant l'Agence européenne des médicaments. Nous nous en remettons à l'avis commun européen. Les Russes ont déposé tardivement ce dossier, mais ils l'ont fait. La première étape de l'examen consiste en une revue scientifique, qui durera au moins jusqu'à la mi-juin. Ensuite, pour obtenir l'avis de l'EMA sur l'autorisation de mise sur le marché, il faudra encore quelques semaines. Ce vaccin ne sera donc vraisemblablement pas autorisé avant la fin du mois de juin.

Il y a deux conditions simples pour qu'un vaccin soit injecté dans les bras des Français : qu'il soit validé scientifiquement - c'est évidemment la moindre des choses - avec la même méthodologie pour tous les vaccins ; et qu'il soit produit ! Or ce qu'on sait aujourd'hui du vaccin russe, c'est qu'il est faiblement produit, quoi que donnent à voir les actes géopolitiques ou, pour le dire de manière plus directe, les coups de communication de nos amis russes pour montrer à quel point ils sont présents dans l'Union européenne, au service - ne soyons pas naïfs - d'une stratégie de division de l'Union européenne qui, pour l'instant, n'a pas fonctionné au-delà de quelques coups de canif. En tous cas, il n'y a pas une production massive de vaccins russes dont nous nous priverions. Simplement, nous respectons deux critères - validation scientifique, production industrielle - qui ne sont pas remplis, pour l'instant, pour ce vaccin. Quand ils le seront, sans doute au début de l'été, notre situation aura changé, puisque nous aurons beaucoup plus de doses de vaccin disponibles. Notre besoin sera beaucoup moins criant.

Nous n'excluons aucune solution ni aucune piste, mais ne nous faisons pas d'illusion non plus sur les vaccins russes ou chinois. Parmi les pays européens, seule la Hongrie a fait appel au vaccin russe et l'utilise. La Slovaquie y a fait appel, mais ne l'utilise pas. D'ailleurs, l'affaire a fait tomber son Premier ministre... Le vaccin n'est pas utilisé en Slovaquie parce que l'autorité sanitaire slovaque a dit n'être pas encore en mesure de l'évaluer et attendre l'avis de l'Agence européenne des médicaments. Le Chancelier Kurz, en Autriche, a indiqué qu'il était en discussion pour un million de doses ; mais l'agence sanitaire autrichienne, elle aussi, a indiqué qu'elle attendait l'avis de l'Agence européenne...

Bref, le sujet n'est pas une commande de doses, mais la production, et l'accélération de la production ! Tous les lots disponibles ont été commandés. Même, des doses qui ne sont pas encore produites ont déjà été commandées. L'Union européenne est le premier commanditaire de doses dans le monde : 2,6 milliards de vaccins. La question n'est pas d'en recommander davantage, c'est qu'elles arrivent.

Sur le plan de relance, nous aurons un débat entre pays européens, mais le cadre est clair depuis le Conseil européen du mois de juillet 2020 : il n'y a pas de droit de veto d'un pays sur un plan de relance national. Nous avons déjà une discussion en amont du dépôt final, qui interviendra au cours de ce mois, mais je récuse l'idée d'une conditionnalité entre une réforme particulière et un décaissement.

Sur les règles budgétaires, le débat doit s'ouvrir, et nous ne devons pas refaire l'erreur que nous avons faite en gérant mal l'après-crise en 2011, 2012 et 2013, en durcissant les règles budgétaires d'avant-crise appliquées à toute la zone euro. Pour adapter ces règles, alors que la situation économique est très différente, il faudra commencer par une discussion franco-allemande, sans doute fin 2021 ou au début de l'année 2022, avec le nouveau gouvernement fédéral. La Commission européenne envisage des propositions, y compris législatives, d'ici à la fin de l'année, donc c'est un sujet que nous aurons à traiter au fond, sans doute déjà au cours de la présidence française de l'Union européenne en début d'année prochaine. En tous cas, il faudra veiller à adapter ces règles à notre besoin d'investissements, notamment écologiques et numériques.

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