Intervention de Jean-Yves Le Drian

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 16 mars 2021 à 17h00
Audition de M. Jean-Yves Le drian ministre de l'europe et des affaires étrangères

Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Je vais commencer par l'Afrique. Les processus électoraux y sont toujours extrêmement sensibles, et il faut veiller à ce que les élections se déroulent dans la transparence, ce qui n'est jamais simple, tant chaque pays a sa propre histoire ! Mais il y a tout de même, de temps en temps, de bonnes nouvelles. Je pense à la Côte d'Ivoire. Le décès du Premier ministre Bakayoko a fait suite à celui du Premier ministre Coulibaly en juillet dernier. Ces deux décès brutaux ont amené le président Ouattara à se représenter, reprenant l'étiquette du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix. Or ces élections se sont déroulées convenablement. Tout le monde y a participé, ce qui n'était pas arrivé depuis dix ans, qu'il s'agisse du Parti démocratique de Côte d'Ivoire-Rassemblement démocratique africain, du Front populaire ivoirien. Manifestement, les résultats ne font pas l'objet de trop de contestations, et tout s'est passé dans le calme, même si quelques tentatives de fraude ont été rapportées. L'enjeu sera de savoir si le président Ouattara fera de nouveaux gestes de réconciliation, notamment sur la question des exilés. Ce sujet est de la responsabilité des autorités ivoiriennes. Je tiens en tous cas à rendre hommage au Premier ministre Bakayoko qui vient de décéder. C'était un homme très populaire, et sa disparition est un coup dur, qui nous place dans une nouvelle situation d'incertitude. Mais la base démocratique a tenu, et la situation reste calme.

Au Niger, malgré des contestations et quelques violences, une commission électorale indépendante est en place et le processus s'est déroulé convenablement. C'était un engagement du président Issoufou, qui avait annoncé publiquement qu'il n'irait pas solliciter un troisième mandat, et qu'il respectait le principe des deux mandats, qui fait l'objet d'une forme de jurisprudence morale en Afrique. L'installation du nouveau président, M. Bazoum, aura lieu dans quelques jours. La France y sera évidemment représentée. C'est un bel exemple de ce à quoi l'on peut aboutir avec une discipline politique et morale suffisamment forte. Pour l'instant, la Cour constitutionnelle n'a pas donné les résultats officiels, mais tout laisse à penser qu'ils seront validés et que M. Bazoum succédera à M. Issoufou. C'est une avancée significative du processus électoral nigérien. Pendant cette période électorale, il y a eu à plusieurs reprises des offensives ethniques. Mais, pour l'instant, la situation semble stabilisée.

Au Tchad, les élections vont avoir lieu en avril. Il importe qu'elles se déroulent dans les mêmes conditions. Ces deux exemples positifs peuvent inspirer les autorités tchadiennes. Ils montrent que le processus peut se dérouler convenablement, à condition que le corps électoral soit bien mobilisé, que la transparence soit garantie et qu'aucune pression ne soit exercée. Le président Deby en est à son sixième mandat. Il y aura des élections législatives en octobre prochain. Nous souhaitons que le processus se déroule dans les meilleures conditions de transparence et de sécurité, singulièrement à N'Djamena, où se trouve l'État-Major de la force Barkhane, et où l'on a déploré, ces derniers jours certaines violences.

Quant au Sénégal, et à la poussée de fièvre autour de M. Ousman Sonko, je n'ai pas à me prononcer sur le processus judiciaire sénégalais dans lequel ce dernier est impliqué : c'est à la justice sénégalaise de mener à bien les poursuites qu'elle a engagées. La situation est un peu paradoxale. Car ce pays a plutôt bien géré la crise sanitaire, il affiche une croissance significative, et pourtant, on aboutit à ce mouvement très violent. Il s'est heureusement calmé après l'intervention publique du président Macky Sall et son annonce à l'égard de la jeunesse. Les frustrations occasionnées par les faibles débouchés sur le marché de l'emploi, alors que le taux de scolarisation augmente, entraînent une hausse du sentiment d'inégalité. Pourtant, le président Macky Sall avait obtenu le ralliement d'Idrissa Seck, second à la dernière présidentielle. M. Sonko, qui était arrivé troisième, devient le principal opposant à Macky Sall. Le sentiment anti-français s'est manifesté à plusieurs reprises, y compris par des actions contre la présence économique française à Dakar. Il convient néanmoins de noter que ce sentiment anti-français n'a pas été dominant ou exclusif : d'autres enceintes internationales ont été visées.

Tout cela renvoie à la question du développement de l'Afrique, et le sommet du 18 mai prochain sur le financement des économies africaines, initié par le Président de la République, sera un moment très important : il faudra donner des signes de confiance forts à l'égard des Africains. Après cette pandémie, il faut qu'ils puissent reprendre leur activité économique et renforcer leur capacité de développement. C'est aussi l'un des objectifs de la loi sur le développement, que le Sénat sera amené à étudier très prochainement.

Nous sommes aussi très préoccupés par la Corne de l'Afrique, et en particulier par l'Éthiopie.

- Présidence de M. Cédric Perrin, vice-président -

Vous m'interrogez sur la prolifération des armes. Bien évidemment, il y a dans la région du Sahel des trafics qui existent depuis très longtemps : d'armes, de drogue, d'êtres humains, de candidats au départ, d'exilés... Tout cela rapporte de l'argent, et une partie des affrontements qu'on peut constater ont lieu entre groupes rivaux pour le contrôle de la manne de ces trafics. C'est pourquoi la stabilisation de la Libye est indispensable, tout comme l'accompagnement des États dans leur dispositif de contrôle, de douanes, de police, de justice. C'est ce que j'évoquais tout à l'heure en parlant de la reprise des compétences des États sur l'ensemble de leur territoire, sitôt ce dernier libéré de la présence de groupes terroristes.

Vous avez soulevé la question des frontières. Jean-Baptiste Lemoyne doit rencontrer demain les sénateurs représentant les Français de l'étranger. Le décret est suspendu, car le Conseil d'État a considéré qu'il portait une atteinte disproportionnée au droit fondamental, qu'a tout Français d'accéder au territoire national, essentiellement en raison du flux limité de voyageurs concernés. Nous en prenons acte, et prochainement, seront publiées, par le Ministère de l'Intérieur, de nouvelles attestations tirant les conséquences de la suspension des motifs impérieux pour les Français et leurs conjoints.

Il faut être vigilant sur le processus à venir en Libye. C'est la première fois qu'un gouvernement est légitimé par les Libyens, par une instance dont chacun reconnaît la représentativité. Le forum politique s'est constitué, et il a produit un gouvernement désormais validé par une Chambre des représentants. La responsabilité du Premier ministre est considérable. Il faut l'aider à mettre en oeuvre l'ensemble des dispositions nécessaires à la tenue d'élections d'ici la fin de l'année. La tâche est énorme, et certains seraient ravis de faire en sorte qu'il revienne en arrière ! Je l'ai eu au téléphone, et nous le soutenons, de concert avec les Allemands et les Italiens - et en concertation avec les Égyptiens. Tout le monde voit l'intérêt de sortir de la crise par ce gouvernement validé par la chambre des représentants, dite Parlement de Tobrouk mais qui s'est réunie à Syrte, ce qui est un signe politique supplémentaire d'unité. Le retrait progressif, prévu par le cessez-le-feu du 23 octobre dernier, des mercenaires, notamment syriens, et des sociétés militaires privées et forces militaires étrangères, notamment turques et russes doit avoir lieu rapidement.

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