La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Je vous remercie, Monsieur le Ministre, d'avoir accepté le principe de cette audition et de l'avoir maintenue alors que vous êtes contraint de la faire à distance, ayant été déclaré cas contact. Il nous faut apprendre à vivre et à travailler pendant l'épidémie, tout en veillant au bon respect des règles sanitaires.

Depuis votre audition le 3 novembre dernier, le paysage international a considérablement évolué, du fait notamment de l'entrée en fonction du président Biden et des premiers pas de la nouvelle administration. À titre d'exemple, je citerai la réintégration des États-Unis dans l'accord de Paris sur le climat, la volonté de reprendre les négociations avec l'Iran sur l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien, le JCPoA (Joint Comprehensive Plan of Action), à condition que les Iraniens respectent leurs obligations, dont ils semblent persister dangereusement à vouloir s'écarter.

Le 19 février dernier, lors de la conférence de Munich sur la sécurité, le président Biden déclarait : « L'Amérique est de retour. L'alliance transatlantique est de retour ». Y a-t-il donc un réel changement de doctrine de la politique étrangère américaine ? Ou faut-il au contraire noter de premières constantes, comme une focalisation sur la Chine ?

Au Moyen-Orient, l'administration américaine s'est exprimée sur l'implication du prince héritier d'Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, dans la disparition dramatique en 2018 du journaliste saoudien Jamal Khashoggi. Cela fera-t-il évoluer la position de la France sur ce dossier ? Plus largement, qu'attendre de la politique américaine au Levant et au Moyen-Orient, où les difficultés semblent de nouveau s'accumuler ? M. Ali Dolamari, représentant du Kurdistan d'Irak, que nous avons entendu il y a quelques semaines, nous disait quant à lui attendre beaucoup de la nouvelle administration américaine. Quel est votre sentiment sur cette évolution au Moyen-Orient ?

En Asie, les tensions se multiplient avec la Chine, qu'il s'agisse de l'oppression de la minorité ouïgoure, des atteintes au pluralisme politique à Hong Kong, des tensions navales avec Taïwan et en mer de Chine méridionale, où notre marine rappelle régulièrement l'attachement de la France au droit de la mer et à la liberté de circulation. À cet égard, il faut saluer la patrouille au très long cours du sous-marin nucléaire d'attaque Émeraude qui a navigué dans cette partie du monde pour rappeler notre attachement fondamental au droit de la mer. Alors que le secrétaire d'État américain Antony Blinken et le ministre de la défense Lloyd Austin ont entamé une tournée auprès des membres du Quad (Quadrilateral Security Dialogue), le dialogue quadrilatéral pour la sécurité, lequel réunit l'Australie, l'Inde et le Japon, afin de mieux faire face à la montée en puissance militaire et diplomatique de la Chine dans la région, quel doit être, selon vous, le positionnement de la France, sachant que nous disposons également de partenariats stratégiques avec l'Inde et l'Australie et que nous souhaitons conserver notre présence dans cette partie du monde ? Je pense naturellement à la Nouvelle-Calédonie.

Enfin, j'évoquerai la situation très préoccupante de la Birmanie où s'est déroulé un coup d'État qui devient sanglant. Le bilan humain ne cesse de se dégrader. Le Conseil de sécurité de l'ONU a condamné à l'unanimité le 10 mars dernier la violence contre des manifestants pacifiques. L'émissaire de l'ONU pour la Birmanie a dénoncé, je cite, « le bain de sang » en cours dans ce pays. Hier, dix-huit personnes de plus sont mortes lors de manifestations. Comment la France peut-elle oeuvrer à une désescalade et à un retour du pouvoir aux institutions civiles, sachant que, de surcroît, notre pays a quelques intérêts économiques dans ce pays, dont il faut tenir compte ?

Monsieur le ministre, de nombreux autres sujets méritent d'être évoqués; nous pourrons y revenir lors des questions de nos collègues.

Je vous rappelle que votre intervention liminaire est diffusée en direct sur le site du Sénat et que la seconde partie de cette audition, consacrée aux questions-réponses des membres de notre commission, donnera lieu à un compte rendu écrit publié ultérieurement.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Je suis désolé de ne pas pouvoir être présent parmi vous, je suis cas contact, mais je vais très bien. J'ai été testé négatif, mais je suis confiné encore jusqu'à jeudi. C'est un plaisir d'échanger avec vous, comme à chaque fois, et de répondre à vos questions. J'ai préféré ne pas reporter notre rendez-vous. De plus, la semaine prochaine est très chargée. Se tiendront le Conseil « affaires étrangères » de l'Union européenne et la réunion des ministres des affaires étrangères de l'OTAN à Bruxelles. Ceci aurait trop longuement retardé notre échange. Je pense qu'il est utile que nous nous parlions aujourd'hui, même si c'est moins facile dans cette configuration.

J'évoquerai d'abord la situation au Sahel, puisque la dernière fois que nous nous sommes vus, c'était lors d'un débat en séance publique que vous aviez initié, quelques jours avant le sommet qui s'est tenu à N'Djamena, dont les résultats ont été positifs. Les grands engagements de Pau ont ainsi été réactivés. Je rappelle qu'il y avait 4 piliers définis lors du sommet de Pau : la lutte contre le terrorisme, le renforcement des capacités des forces armées sahéliennes, le soutien au redéploiement des États, à la fois des administrations territoriales et des services de base, et, enfin, la stratégie de développement. Ce sommet a ouvert la voie à une amplification de la dynamique impulsée à Pau, d'abord sur le plan opérationnel. Un certain nombre de décisions fortes auront ainsi des effets sur le terrain, tels que le maintien en particulier de l'effort national dans le cadre de l'opération Barkhane, mais aussi l'activation de Takuba. La force conjointe du Sahel continue de se déployer ; les acteurs s'engagent de façon plus marquée, y compris pour mettre en place les financements de la force conjointe.

Le plus important, c'est que le sommet de N'Djamena a marqué, comme je le souhaitais et l'avais indiqué lors de notre échange en séance publique au Sénat, la volonté d'un sursaut civil, d'un sursaut politique et d'un sursaut en matière de développement, quand le sommet de Pau était axé sur le militaire, ce qui a d'ailleurs donné des résultats assez significatifs. Quelques jours avant le sommet de N'Djamena s'est tenue à Kidal une réunion du comité de suivi de l'accord de paix d'Alger, à laquelle j'ai assisté par visioconférence. Ce comité de suivi ne s'était pas réuni depuis longtemps et ne s'était jamais réuni à Kidal, lieu symbolique pour marquer la paix et la réconciliation au Mali. Nous sommes bien évidemment tout à fait convaincus que c'est la mise en oeuvre des dispositions de l'accord d'Alger qui permettra la stabilisation de la situation et une plus grande sérénité dans le nord du Mali. Vous m'avez souvent interrogé sur la place de l'Algérie dans ce processus et sur la volonté algérienne d'aboutir à une pacification au Mali et dans le Sahel. Le fait que ce comité se soit réuni sous présidence algérienne et à Kidal est un acte important et tout à fait symbolique pour marquer la paix et la réconciliation au Mali, auquel la France a participé par mon intermédiaire.

Ce sommet a aussi été marqué par la volonté de mobiliser l'ensemble des acteurs dans le domaine civil, en particulier pour faire revenir les services de l'État dans les zones les plus vulnérables et permettre une véritable mobilisation en faveur du développement. Le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, dont nous avons déjà beaucoup parlé, y contribuera lorsqu'il aura été définitivement adopté, car il permettra d'engager plus de financements. Mais d'ores et déjà, ce sommet de Kidal s'est caractérisé par la volonté de relancer le projet emblématique de la Grande Muraille verte. Ce projet, qui avait initialement été lancé par les Africains, était un peu à l'arrêt, il est relancé dans le cadre de ce sursaut de développement Nous allons le suivre avec beaucoup d'attention.

La mobilisation internationale en faveur du Sahel est forte, je l'avais souligné lors de notre débat précédent, c'est une réalité, à tel point que la coalition internationale pour le Sahel, mise en oeuvre après le sommet de Pau, se réunira à Berlin vendredi prochain, en format un peu « hybride ». J'y vois le signe de la dimension européenne et internationale de notre action commune. Aujourd'hui, 60 pays et organisations sont membres de cette coalition. Je suis plutôt optimiste à la suite de ce sommet de N'djaména, car on a senti une réelle volonté commune de permettre un véritable sursaut civil et politique au Sahel.

Je dirai à présent quelques mots sur le Moyen-Orient. Il y a dix ans débutait la crise syrienne, après les manifestations de Deraa. J'aborde ce sujet avec beaucoup de gravité car après une décennie de chaos et d'atrocités, la situation en Syrie reste extrêmement incertaine. Malgré la reconquête territoriale progressive, systématique par Bachar el-Assad, la Syrie connaît l'une des crises humanitaires les plus graves depuis la Seconde Guerre mondiale. Au total, 400 000 personnes ont perdu la vie. Et aujourd'hui, plus de la moitié des Syriens, soit 13 millions de personnes, sont réfugiés ou déplacés.

Deux zones échappent aujourd'hui encore à l'influence de Bachar el-Assad. La province d'Idlib au nord-ouest est divisée entre le régime et des groupes d'opposition, en partie terroristes, en particulier le groupe Hayat Tahrir al-Cham. Une partie de ces groupes sont contrôlés par la Turquie, dans une zone où vivent près de 4 millions d'habitants, ce qui n'est pas rien, sachant qu'une grande partie de la population syrienne a quitté le pays. Par ailleurs, la zone nord-est reste pour l'essentiel sous le contrôle des forces démocratiques syriennes, dominées par les Kurdes du PYD (Parti de l'Union démocratique). Cette région est une zone d'influence entre la Turquie, qui conserve une zone tampon le long de sa frontière, le régime de Bachar el-Assad et la Russie, qui y effectuent des patrouilles. C'est aussi une zone extrêmement sensible puisque Daech essaie de reprendre pied dans les zones de peuplement arabe de ce secteur.

Soyons clairs : après dix ans, la victoire du régime est en trompe-l'oeil. Dans toutes les zones placées sous son contrôle règnent l'instabilité, la criminalité, la prédation des milices, et dans certains endroits plane la menace d'une résurgence du terrorisme. Force est de constater que le dispositif initié à Genève, dans le cadre du comité constitutionnel, est lui aussi en trompe-l'oeil. On le voit, le processus électoral sera biaisé, puisque les conditions posées dans la résolution 2254 du Conseil de sécurité de l'ONU ne seront pas réunies, à savoir la tenue de « vraies » élections, le retour sûr et volontaire des réfugiés et la libération des prisonniers détenus arbitrairement. Ce sont les conditions d'une véritable transition politique en Syrie, mais nous sommes loin du compte aujourd'hui.

Pour notre part, nous sommes engagés dans des actions afin que les crimes les plus graves commis en Syrie ne demeurent pas impunis. Nous soutenons la commission d'enquête internationale, dite commission Pinheiro, qui a été mise en place par le Conseil des droits de l'homme en 2011 et le mécanisme international, impartial et indépendant, créé par la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies. Nous continuons d'apporter une aide humanitaire et de soutenir, au Conseil de sécurité, la mise en oeuvre de la résolution 2254.

J'évoquerai à présent la Libye, qui est l'une de nos priorités, car les conséquences potentielles de cette crise pour la France et pour l'Union européenne sont majeures en matière de sécurité comme en matière migratoire. Ses conséquences sont également majeures pour la stabilité au Sahel, en Afrique du Nord et en Méditerranée.

Pour une fois, les nouvelles sont bonnes : la Libye a désormais un gouvernement, dirigé par Abdelhamid Dbeibah, dont la désignation a été validée par un vote de confiance de la Chambre des représentants. C'est un succès sans précédent de l'initiative prise par les Nations unies dans le cadre du forum politique qui s'est réuni à Genève et que nous avons nous-mêmes fortement soutenue. Nous avons eu de nombreux entretiens, tant le Président de la République que moi-même, avec les nouveaux responsables libyens afin d'aboutir à cette légitimation. Les Allemands et les Italiens ont également joué un rôle très important à cet égard. Cela faisait longtemps qu'il ne s'était pas produit quelque chose d'aussi positif en Libye, même s'il est peut-être encore trop tôt pour parler de moment historique.

Le nouvel envoyé spécial du secrétaire général en Libye, et chef de la Mission d'appui des Nations Unies en Libye (MANUL), Jan Kubis était à Paris la semaine dernière. Nous nous sommes entretenus sur la suite du processus qu'il faut maintenant surveiller attentivement. Ainsi, le gouvernement de transition doit préparer les élections, qui devraient avoir lieu le 24 décembre prochain, et mettre en oeuvre le cessez-le-feu conclu en octobre dernier afin que la route entre Syrte et Misrata puisse être ouverte et que les milices extérieures puissent retourner dans leurs pays d'origine, en particulier en Turquie et en Russie. Dans l'immédiat, il faut mettre en oeuvre des mesures de confiance, faire en sorte que la réforme de la gouvernance économique puisse être engagée et éviter les obstructions de la part de ceux qui voudraient un retour en arrière. La route est encore longue, mais une étape significative a été franchie et l'on peut faire preuve d'un espoir prudent. Manifestement, les acteurs libyens sont las de la période de conflictualité qu'a connue leur pays et sont conscients de la nécessité d'avoir un gouvernement légitime afin de mettre fin à la guerre civile grâce au processus électoral prévu pour la fin de l'année 2021.

Je dirai aussi quelques mots sur la crise avec l'Iran. Nous pensons qu'il faut saisir l'opportunité que constitue la volonté des États-Unis de revenir dans l'accord de Vienne, et cela même si aujourd'hui, les graves tensions dans le Golfe ne sont pas sans rappeler la crise que nous avions connue à l'été 2019. Les activités nucléaires iraniennes se développent en violation de l'accord nucléaire de Vienne : l'Iran a repris l'enrichissement de l'uranium à 20 %, renforcé son secteur de la recherche et du développement, suspendu l'application du protocole additionnel de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Parallèlement sont observées des attaques déstabilisatrices en Irak et en Arabie saoudite. Il est impératif d'engager une désescalade des tensions. Des rencontres informelles sont nécessaires pour permettre le retour des États-Unis dans l'accord de Vienne. L'Iran, pour sa part, doit renoncer aux désengagements qu'il a effectués depuis 2018.

Nous travaillons beaucoup sur cette approche avec nos partenaires allemands et britanniques, dans le cadre du groupe UE-3. Nous avons eu de nombreuses discussions en visioconférence sur ce sujet avec le secrétaire d'État Antony Blinken. C'est à la suite de l'une de ces discussions que les États-Unis ont fait savoir publiquement qu'ils avaient pour objectif de revenir dans le JCPoA. Les discussions se poursuivent et nous envoyons des signaux aux Iraniens. Au-delà du JCPoa, nous espérons également pouvoir avoir avec eux des discussions sur les risques de déstabilisation régionale, mais aussi sur l'ensemble des questions liées à la capacité missilière de l'Iran, mais nous n'en sommes pour l'instant qu'aux souhaits et aux intentions. Nous devons également tenir compte, au-delà de considérations tactiques, de la situation interne de l'Iran, où l'élection présidentielle aura lieu au mois de juin.

Plus largement, nous sommes dans une nouvelle donne transatlantique et nous sommes déterminés à avancer avec la nouvelle administration américaine. On assiste à un changement d'état d'esprit depuis l'entrée en fonction du président Biden. Nous allons pouvoir aller de l'avant ensemble et bâtir une nouvelle relation transatlantique entre une Europe qui assume sa puissance et des États-Unis qui assument leurs responsabilités. Les défis ne manquent pas. J'ai eu plusieurs entretiens avec mon homologue américain depuis son arrivée, le dernier ayant eu lieu dimanche dernier.

J'observe néanmoins que les premiers déplacements du secrétaire d'État américain ont eu lieu en Asie, au Japon et en Corée. Par ailleurs, Antony Blinken doit rencontrer notre homologue chinois dans quelques jours, avant de venir en Europe la semaine prochaine pour la réunion des ministres des affaires étrangères de l'OTAN.

Cela étant, j'ai reçu John Kerry la semaine dernière à Paris pour préparer la COP26 de Glasgow, qui sera décisive pour le respect de l'accord de Paris, car elle doit permettre d'aboutir à l'annonce de nouvelles contributions déterminées au niveau national (CDN), notamment de la part des grands émetteurs de gaz à effet de serre que sont la Chine, l'Inde et les États-Unis. Cette réunion devra aussi préserver la dynamique en matière de « finance climat » au-delà de 2025 de la part des pays développés. Enfin, elle permettra de finaliser les règles de mise en oeuvre de l'accord de Paris lié au marché carbone. Nous avons un grand chantier devant nous. Les États-Unis vont organiser un sommet préparatoire à la COP26 le 22 avril prochain. Ils devraient alors logiquement confirmer leur retour dans l'accord de Paris et annoncer des initiatives financières, mais aussi le niveau d'ambition qu'ils comptent proposer.

Il importe que nous puissions décliner la nouvelle donne transatlantique dans tous les domaines, en renforçant la souveraineté européenne. Cette nouvelle donne vaut également dans le domaine commercial, dans le conflit entre Airbus et Boeing, les droits de douane ayant été suspendus. Il s'agit d'une trêve pour l'instant, mais nous devons tout faire pour dépasser dans le délai imparti de quatre mois ce conflit, qui a pour effet induit de favoriser l'industrie aéronautique chinoise. Nous devons aussi profiter de cette trêve pour mettre sur la table les autres différends qui pèsent inutilement sur les relations commerciales transatlantiques. Je pense aux différends sur l'acier et l'aluminium ou sur la fiscalité du numérique. L'état d'esprit est plutôt positif même s'il est encore un peu tôt pour constater des avancées dans ces domaines.

Il faut constater que l'Europe qui discute aujourd'hui sur la refondation du lien transatlantique n'est plus la même qu'il y a quatre ans. Elle est plus déterminée à affirmer sa souveraineté, sa puissance, à être un partenaire des États-Unis. Nous avons dit à plusieurs reprises à Antony Blinken qu'il était préférable pour les États-Unis d'avoir un allié fort qu'un allié dépendant. Je le dis pour répondre à votre préoccupation, monsieur le Président, lors de l'entretien qu'Antony Blinken a eu avec les ministres des affaires étrangères des Vingt-Sept en visioconférence, il a insisté particulièrement sur la nécessité d'avoir une Union européenne unie et partenaire, y compris dans le domaine stratégique. C'est un discours que nous n'avions pas entendu depuis longtemps, peut-être même jamais entendu, du moins avec cette force et cette détermination.

J'en viens à la Birmanie. Le récent coup d'État a marqué un arrêt brutal du processus de démocratisation que la France et l'Union européenne soutenaient depuis une décennie. La dégradation de la situation en Birmanie s'accélère. L'armée birmane se rend coupable de crimes contre la population du pays. Les violations des droits de l'homme se sont encore accentuées ces jours derniers. Les arrestations et le nombre de morts ne cessent de croître, dans un contexte de répression brutale. Face à cette situation inacceptable, l'Union européenne a réagi avec beaucoup de fermeté et d'unité. Nous avons ainsi solidairement condamné le coup d'État dès qu'il s'est produit, mais nous avons aussi adopté des sanctions fortes contre ses responsables. Ces sanctions seront validées lundi prochain lors du conseil des ministres des affaires étrangères et mises en oeuvre très rapidement. Elles comprennent évidemment la suspension de tout soutien budgétaire aux programmes gouvernementaux, en veillant à préserver la population civile, mais également des mesures visant très directement les responsables du coup d'État militaire et leurs propres intérêts économiques.

Nous faisons aussi en sorte que des prises de position soient actées par le Conseil de sécurité et le Conseil des droits de l'homme. Cela a abouti, lors de la réunion de l'Assemblée générale des Nations unies, le 26 février, à une prise de position très forte. Nous sommes également en relation avec les membres de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (Asean) et je m'entretiens régulièrement avec mes homologues singapourien, indonésien et malaisien. Une pression internationale est nécessaire, en plus des sanctions.

Voilà ce que je tenais à vous dire pour commencer. Je comptais aborder d'autres sujets, mais j'ai déjà été très long. Aussi je vous propose d'évoquer maintenant les différents sujets qui vous préoccupent en répondant à vos questions.

Debut de section - PermalienPhoto de André Guiol

Ma question porte sur la Libye. Le gouvernement d'union nationale a déclaré vouloir oeuvrer à la réconciliation nationale et à l'unité du pays. La France a salué cette évolution caractérisée par la réouverture des hôpitaux, le gel des opérations de spéculation financière et la relance de la production pétrolière. Quelles sont les chances de succès de ce gouvernement alors que des soupçons de corruption pèsent déjà sur l'élection du Premier ministre ? Comment pensez-vous qu'il puisse aplanir les rivalités d'hier et gérer la présence de milices et de groupuscules islamistes encore à l'oeuvre sur le territoire libyen ? Enfin, quels risques présente la dissolution de ces groupes pour l'opération Barkhane ?

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Conway-Mouret

Vous avez présenté le sursaut civil et politique issu du sommet de N'Djaména. Le G5 et l'Union européenne vont-ils mener une action concertée pour s'attaquer à la prolifération des armes au Sahel, ce qui aurait des incidences positives sur la sécurité de nos troupes engagées dans l'opération Barkhane ?

Par ailleurs, le décret interdisant aux Français de l'étranger de rentrer en France sans motif impérieux a été suspendu à la suite d'un recours déposé par un certain nombre d'associations. Un communiqué a annoncé la publication d'un nouveau décret allongeant la liste des motifs impérieux et exemptant certains pays de ces conditions. Quand ce nouveau décret du ministère de l'intérieur sera-t-il publié ? Prévu le 12 mars, cette publication n'a pas encore eu lieu. Beaucoup de gens sont en souffrance. Ils accepteraient d'être testés, voire d'être mis en quarantaine à leur arrivée, mais de se voir interdire de rentrer en France.

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Saury

L'année 2021 devrait voir l'organisation de nombreuses élections législatives ou présidentielles en Afrique, dont la moitié dans l'Afrique centrale et la corne de l'Afrique. On sait à quel point des influences étrangères tentent de s'implanter en Afrique. La stabilité des pays et de leur gouvernance est une clé essentielle de la stabilité régionale et de la paix. Les déstabilisations régionales entraînent des déplacements internes de population accroissant le risque de conflits communautaires. Par ailleurs, la sécurisation de ces élections est impérative pour éviter de potentielles crises liées à leur contestation.

Deux élections nous intéressent particulièrement, au Tchad et au Niger, ces pays étant engagés dans l'opération Barkhane à nos côtés. Quelle est la situation politique de ces pays ? La France apportera-t-elle une aide logistique et/ou sécuritaire à ces pays lors de ces élections ?

Enfin, pourriez-vous faire un point sur le Sénégal, qui connaît aujourd'hui une crise économique et démocratique ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Je vais commencer par l'Afrique. Les processus électoraux y sont toujours extrêmement sensibles, et il faut veiller à ce que les élections se déroulent dans la transparence, ce qui n'est jamais simple, tant chaque pays a sa propre histoire ! Mais il y a tout de même, de temps en temps, de bonnes nouvelles. Je pense à la Côte d'Ivoire. Le décès du Premier ministre Bakayoko a fait suite à celui du Premier ministre Coulibaly en juillet dernier. Ces deux décès brutaux ont amené le président Ouattara à se représenter, reprenant l'étiquette du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix. Or ces élections se sont déroulées convenablement. Tout le monde y a participé, ce qui n'était pas arrivé depuis dix ans, qu'il s'agisse du Parti démocratique de Côte d'Ivoire-Rassemblement démocratique africain, du Front populaire ivoirien. Manifestement, les résultats ne font pas l'objet de trop de contestations, et tout s'est passé dans le calme, même si quelques tentatives de fraude ont été rapportées. L'enjeu sera de savoir si le président Ouattara fera de nouveaux gestes de réconciliation, notamment sur la question des exilés. Ce sujet est de la responsabilité des autorités ivoiriennes. Je tiens en tous cas à rendre hommage au Premier ministre Bakayoko qui vient de décéder. C'était un homme très populaire, et sa disparition est un coup dur, qui nous place dans une nouvelle situation d'incertitude. Mais la base démocratique a tenu, et la situation reste calme.

Au Niger, malgré des contestations et quelques violences, une commission électorale indépendante est en place et le processus s'est déroulé convenablement. C'était un engagement du président Issoufou, qui avait annoncé publiquement qu'il n'irait pas solliciter un troisième mandat, et qu'il respectait le principe des deux mandats, qui fait l'objet d'une forme de jurisprudence morale en Afrique. L'installation du nouveau président, M. Bazoum, aura lieu dans quelques jours. La France y sera évidemment représentée. C'est un bel exemple de ce à quoi l'on peut aboutir avec une discipline politique et morale suffisamment forte. Pour l'instant, la Cour constitutionnelle n'a pas donné les résultats officiels, mais tout laisse à penser qu'ils seront validés et que M. Bazoum succédera à M. Issoufou. C'est une avancée significative du processus électoral nigérien. Pendant cette période électorale, il y a eu à plusieurs reprises des offensives ethniques. Mais, pour l'instant, la situation semble stabilisée.

Au Tchad, les élections vont avoir lieu en avril. Il importe qu'elles se déroulent dans les mêmes conditions. Ces deux exemples positifs peuvent inspirer les autorités tchadiennes. Ils montrent que le processus peut se dérouler convenablement, à condition que le corps électoral soit bien mobilisé, que la transparence soit garantie et qu'aucune pression ne soit exercée. Le président Deby en est à son sixième mandat. Il y aura des élections législatives en octobre prochain. Nous souhaitons que le processus se déroule dans les meilleures conditions de transparence et de sécurité, singulièrement à N'Djamena, où se trouve l'État-Major de la force Barkhane, et où l'on a déploré, ces derniers jours certaines violences.

Quant au Sénégal, et à la poussée de fièvre autour de M. Ousman Sonko, je n'ai pas à me prononcer sur le processus judiciaire sénégalais dans lequel ce dernier est impliqué : c'est à la justice sénégalaise de mener à bien les poursuites qu'elle a engagées. La situation est un peu paradoxale. Car ce pays a plutôt bien géré la crise sanitaire, il affiche une croissance significative, et pourtant, on aboutit à ce mouvement très violent. Il s'est heureusement calmé après l'intervention publique du président Macky Sall et son annonce à l'égard de la jeunesse. Les frustrations occasionnées par les faibles débouchés sur le marché de l'emploi, alors que le taux de scolarisation augmente, entraînent une hausse du sentiment d'inégalité. Pourtant, le président Macky Sall avait obtenu le ralliement d'Idrissa Seck, second à la dernière présidentielle. M. Sonko, qui était arrivé troisième, devient le principal opposant à Macky Sall. Le sentiment anti-français s'est manifesté à plusieurs reprises, y compris par des actions contre la présence économique française à Dakar. Il convient néanmoins de noter que ce sentiment anti-français n'a pas été dominant ou exclusif : d'autres enceintes internationales ont été visées.

Tout cela renvoie à la question du développement de l'Afrique, et le sommet du 18 mai prochain sur le financement des économies africaines, initié par le Président de la République, sera un moment très important : il faudra donner des signes de confiance forts à l'égard des Africains. Après cette pandémie, il faut qu'ils puissent reprendre leur activité économique et renforcer leur capacité de développement. C'est aussi l'un des objectifs de la loi sur le développement, que le Sénat sera amené à étudier très prochainement.

Nous sommes aussi très préoccupés par la Corne de l'Afrique, et en particulier par l'Éthiopie.

- Présidence de M. Cédric Perrin, vice-président -

Vous m'interrogez sur la prolifération des armes. Bien évidemment, il y a dans la région du Sahel des trafics qui existent depuis très longtemps : d'armes, de drogue, d'êtres humains, de candidats au départ, d'exilés... Tout cela rapporte de l'argent, et une partie des affrontements qu'on peut constater ont lieu entre groupes rivaux pour le contrôle de la manne de ces trafics. C'est pourquoi la stabilisation de la Libye est indispensable, tout comme l'accompagnement des États dans leur dispositif de contrôle, de douanes, de police, de justice. C'est ce que j'évoquais tout à l'heure en parlant de la reprise des compétences des États sur l'ensemble de leur territoire, sitôt ce dernier libéré de la présence de groupes terroristes.

Vous avez soulevé la question des frontières. Jean-Baptiste Lemoyne doit rencontrer demain les sénateurs représentant les Français de l'étranger. Le décret est suspendu, car le Conseil d'État a considéré qu'il portait une atteinte disproportionnée au droit fondamental, qu'a tout Français d'accéder au territoire national, essentiellement en raison du flux limité de voyageurs concernés. Nous en prenons acte, et prochainement, seront publiées, par le Ministère de l'Intérieur, de nouvelles attestations tirant les conséquences de la suspension des motifs impérieux pour les Français et leurs conjoints.

Il faut être vigilant sur le processus à venir en Libye. C'est la première fois qu'un gouvernement est légitimé par les Libyens, par une instance dont chacun reconnaît la représentativité. Le forum politique s'est constitué, et il a produit un gouvernement désormais validé par une Chambre des représentants. La responsabilité du Premier ministre est considérable. Il faut l'aider à mettre en oeuvre l'ensemble des dispositions nécessaires à la tenue d'élections d'ici la fin de l'année. La tâche est énorme, et certains seraient ravis de faire en sorte qu'il revienne en arrière ! Je l'ai eu au téléphone, et nous le soutenons, de concert avec les Allemands et les Italiens - et en concertation avec les Égyptiens. Tout le monde voit l'intérêt de sortir de la crise par ce gouvernement validé par la chambre des représentants, dite Parlement de Tobrouk mais qui s'est réunie à Syrte, ce qui est un signe politique supplémentaire d'unité. Le retrait progressif, prévu par le cessez-le-feu du 23 octobre dernier, des mercenaires, notamment syriens, et des sociétés militaires privées et forces militaires étrangères, notamment turques et russes doit avoir lieu rapidement.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Fournier

Ma question porte sur la défense des chrétiens d'Orient. Quelle est la part de l'aide internationale qui soutient les minorités chrétiennes les plus vulnérables ? Votre ministère serait-il prêt à soutenir directement des projets mis en place par les acteurs confessionnels locaux, aussi bien en Irak qu'en Syrie ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Le Nay

Le secrétaire d'État américain Antony Blinken a proposé une conférence de paix sous l'égide de l'ONU afin de former un gouvernement afghan incluant les Talibans. Cette conférence réunirait des délégués américains, chinois, russes, pakistanais, iraniens et indiens. L'absence de mention de délégués de pays européens membres de l'OTAN doit être soulignée, d'autant que de nombreuses vies européennes ont été perdues dans ce pays. Je préside le groupe d'amitié France-Afghanistan, et suite à des entretiens avec notre ambassadeur à Kaboul et avec l'ambassadeur d'Afghanistan à Paris, je souhaiterais vous soumettre les questions suivantes. L'OTAN a-t-elle encore un rôle à jouer dans la région ? Peut-elle le jouer alors que les États-Unis semblent faire cavalier seul ? Quelle place peut encore prendre la France, membre de l'OTAN et du Conseil de sécurité des Nations unies, dans ce qui apparaît comme la fin d'une phase en Afghanistan ?

Vous avez parlé de l'Iran. Où en sont les négociations concernant la libération de la chercheuse franco-iranienne Fariba Adelkhah ? Elle est emprisonnée depuis juin 2019 à Téhéran et condamnée à cinq ans de prison pour collusion en vue d'attenter à la sûreté nationale et propagande contre le système. Quid de la libération de Benjamin Brière, détenu depuis mai 2020 et accusé d'espionnage et de propagande ?

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cigolotti

Je souhaite revenir sur la situation au Sahel. Dans votre propos introductif, vous avez fait état des échanges intervenus à l'occasion du sommet de N'Djamena et de l'assemblée générale de l'Alliance pour le Sahel. Vous avez souhaité que le sommet de N'Djamena soit celui du sursaut, de la stabilisation et du développement. Vous avez rappelé l'engagement de la France, à hauteur de plus de 11 millions d'euros, dans le projet socle. Quelle déclinaison concrète en espérer ? Il devrait permettre un soutien opérationnel assurant la continuité et la légitimité de l'État.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Vous connaissez l'attention particulière que nous portons aux chrétiens d'Orient, en particulier au Liban, mais aussi en Irak. L'importance du voyage du Pape en Irak, à cet égard, a été très significative. Nous continuons à assumer nos responsabilités. Lorsque je me suis rendu à Beyrouth au mois de septembre, j'ai annoncé une aide très substantielle pour les écoles du Liban. En Irak, nous avons une attention toute particulière pour les reconstructions, notamment à Mossoul et dans les zones chrétiennes qui ont été victimes des actions de Daech.

Au Liban, d'une manière générale, la situation devient épouvantable. Il faut maintenant 15 000 livres libanaises pour un dollar. Le niveau de pauvreté est insupportable, et la population commence à manifester. Aucune réforme n'est mise en oeuvre, évidemment, puisque le Premier ministre désigné Saad Hariri n'a toujours pas formé son gouvernement. J'y suis allé deux fois avec le Président de la République cet été, après l'explosion, et trois fois en tout. Les principaux responsables politiques nous faisaient part de leur volonté d'agir ensemble pour constituer un gouvernement d'union inclusif et pour faire les réformes sur le contenu desquelles toute la communauté internationale s'accorde. Personne n'aidera financièrement le Liban si ces réformes ne sont pas faites. Or, nous sommes au point mort. Voilà sept mois qu'on nous annonce un gouvernement, et sept mois que rien ne bouge. Un certain nombre d'acteurs semblent avoir la volonté de faire durer, en attendant des élections qui doivent se produire en 2022. Cela ne tiendra pas jusque-là, et le pays est en danger de mort. Je compte prendre des initiatives dans les jours qui viennent pour accroître fortement de la pression afin de pousser à sortir de cette impasse une classe politique aujourd'hui complètement déconsidérée.

Sur l'Afghanistan, je ne me prononcerai pas avant que nous n'ayons entendu M. Blinken la semaine prochaine à Bruxelles. Il doit nous faire part alors de ses intentions à l'égard de l'OTAN aussi. J'ai entendu des discours différents, à ce stade. Je me suis entretenu ce week-end avec M. Blinken sur ce sujet, et il m'a dit que pour l'instant, sa position n'était pas encore tout à fait clarifiée. Je reste prudent, donc, et toutes les options sont encore ouvertes.

Fariba Adelkhah, à force de pressions des uns et des autres, a été mise en liberté provisoire, mais avec des conditions strictes de surveillance. Nous considérons que les motifs de poursuite - atteinte aux intérêts de l'État - ne sont pas admissibles, et nous continuerons à agir pour qu'elle retrouve sa liberté pleine et entière. Nous faisons régulièrement pression auprès des autorités iraniennes à cette fin.

Sur le projet socle, nous avons mobilisé de gros moyens financiers pour impulser un sursaut de développement dans le Sahel. L'objectif principal est d'éviter qu'on travaille en silos. Aujourd'hui, les projets de développement sont menés par tel ou tel organisme, international, européen, ou de tel ou tel pays. Il importe au contraire de promouvoir une gestion territoriale du développement. La grande décision prise à N'Djamena lors de la réunion de l'Alliance pour le Sahel a été de pousser à une territorialisation du développement sur les parties les plus fragiles du Sahel. Cela imposera de discipliner certaines susceptibilités...

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cadic

Nous nous sommes réjouis de la décision du Gouvernement de prolonger le secours occasionnel de solidarité (SOS) mis en place en 2020 pour soutenir nos compatriotes établis à l'étranger. Cependant, comme l'a souligné la dernière assemblée des Français de l'étranger (AFE), seuls 4,7 millions d'euros, sur les 50 millions alloués, ont été versés. La résolution adoptée la semaine dernière à l'unanimité par l'AFE sur ce sujet comporte des pistes qui permettraient à votre administration de concrétiser votre volontarisme en matière sociale. J'espère que ces préconisations seront suivies, car force est de constater que le résultat reste décevant.

Au Liban, la France est au rendez-vous. Des efforts complémentaires significatifs ont été apportés en matière d'aide sociale et de soutien aux organisations de bienfaisance. Lors de mes échanges avec les élus des Français du Liban, Jean-Louis Mainguy, Ghassan Ayoub et Charles Kanaan ont salué les efforts du Gouvernement, dont nos compatriotes les plus démunis ont besoin, et loué l'action du consul général pour les mettre en oeuvre. Ils décrivent un pays où la population lutte au quotidien pour sa survie. La faim apparaît ; des supermarchés commencent à être dévalisés. Vous l'avez dit, la situation du Liban est critique. Le patriarche Raï réclame une conférence internationale parrainée par les Nations unies pour régler la crise. Il souhaite que l'armée soit la seule force chargée de défendre le Liban et a appelé les Libanais à ne pas se taire face aux armes illégales. Bien évidemment, le Hezbollah, seul parti à posséder encore une puissante branche militaire pour lutter contre Israël, s'oppose à cette démarche. Le patriarche plaide pour la neutralité de l'État libanais vis-à-vis des conflits régionaux, un concept qui devra être introduit dans la Constitution du pays grâce à la conférence internationale qu'il appelle de ses voeux. Monsieur le ministre, l'honneur de la France a été sauvé un jour par un général ; celui du Liban pourrait bien l'être par un cardinal ! La France va-t-elle s'engager pour faire prospérer la proposition du patriarche Raï ?

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Duranton

Les sanctions prises hier par Londres contre les alliés de Bachar Al-Assad seront-elles suivies par la France ?

Le ministre azerbaïdjanais des affaires étrangères a rencontré hier la présidente en exercice de l'OSCE et ministre suédoise des affaires étrangères. Les discussions ont porté sur les relations de coopération entre l'Azerbaïdjan et la Suède, la situation actuelle de la région, la mise en oeuvre de la déclaration tripartite, la coopération avec l'OSCE et d'autres questions d'intérêt commun. Quel est l'état de nos relations avec l'Azerbaïdjan ? Quelle est leur évolution depuis le pic de la crise du Haut-Karabakh ?

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Une dépêche nous informe aujourd'hui que la Grande-Bretagne prévoit de relever le nombre d'ogives nucléaires qu'elle est autorisée à stocker. C'est une première depuis la fin de la guerre froide. Alors que Londres s'était engagé à réduire son stock à 180 ogives pour le milieu de l'an passé, elle projette désormais de le relever à 260. C'est incontestablement un tournant important. Que pensez-vous de ce revirement britannique ? Quelles en sont, selon vous, les raisons principales ? Quelles conséquences la France peut-elle en tirer ?

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Il faudrait qu'on vous voie plus souvent, monsieur le ministre, tant nos questions sont nombreuses ! Présidente déléguée du groupe d'amitié France-Asie du Sud-Est (pour la Birmanie), je dois poser une question d'actualité au Gouvernement demain, mais vous ne serez pas là ! Il serait extrêmement important pour la Birmanie que nous reconnaissions le gouvernement élu démocratiquement. Nous pourrions aussi demander à Total d'arrêter ses financements. Il est hors de question que Total parte : nous savons très bien que d'autres se précipiteraient. Mais ce serait un signal fort. Ce coup d'État ne peut aboutir, parce que le peuple birman est prêt à mourir pour la démocratie.

Je suis aussi présidente déléguée du groupe d'amitié France-Afrique de l'Ouest (pour le Sénégal). Je crois qu'il y a un profond problème de gouvernance dans ce pays. En 1989, avec la conférence de La Baule, la France avait beaucoup aidé au processus de démocratisation au Sénégal. Il faut encore renforcer les institutions. La France a un rôle très important à jouer en ce moment charnière. Le Sénégal, État laïque, avait réussi à résister à l'intégrisme religieux.

Sur la fermeture des frontières, vous avez déjà répondu, et le Conseil d'État a donné son verdict. Nous devons vraiment prendre en compte la situation des binationaux, lorsqu'ils appartiennent à des familles ou forment des couples qui ne peuvent plus se retrouver depuis plus d'un an. Ces personnes souffrent énormément, et il faut vraiment sensibiliser le ministère de l'intérieur sur ce point.

Sur les Journée défense et citoyenneté, j'ai déposé une question écrite. Un programme en ligne a été préparé pour les jeunes Français de l'étranger. Quand le ministère des affaires étrangères acceptera-t-il de le mettre en ligne pour nos jeunes Français de l'étranger ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

S'agissant de la Syrie, Londres sanctionne, seule, parce qu'elle est désormais hors de l'Union européenne. L'Union européenne, elle, sanctionne depuis longtemps le régime syrien, de manière très vigoureuse, par toute une série de mesures. Les entreprises qui travailleraient avec le régime syrien tomberaient sous le coup de sanctions de l'Union européenne, et nous participons au mécanisme qui identifiera les crimes commis par le régime, à la fois par la commission Pinheiro et par le mécanisme IIIM (Mécanisme international, impartial et indépendant) des Nations unies. Bref, nous documentons, et nous sanctionnons.

Sur l'Azerbaïdjan, nous suivons la situation avec attention, tout comme en Arménie. Il y a eu une crise interne qui n'est pas encore tout à fait réglée, avec la volonté du Premier ministre Pachinian d'aller aux élections anticipées, et ses difficultés intérieures avec l'armée. En Azerbaïdjan comme en Arménie, nous souhaitons faire en sorte que le cessez-le-feu soit respecté. Tout n'est pas réglé : la question des prisonniers de guerre, notamment, n'est pas résolue, malgré quelques progrès, comme la libération de Mme Maral Najarian par Bakou. Nous devons poursuivre sur la base de l'accord tripartite du 9 novembre dernier. Nous continuons à jouer notre rôle dans le cadre de la coprésidence du Groupe de Minsk de l'OSCE. Nous sommes surtout vigilants sur l'accès au Haut-Karabakh, où nous poussons pour le désenclavement, indispensable pour les populations. Nous parlons avec les uns et les autres, y compris avec les autorités d'Azerbaïdjan. Le secrétaire d'État Jean-Baptiste Lemoyne s'est rendu dans les deux pays, à ma demande, pour faire avancer le cessez-le-feu, retrouver la paix et commencer à faire en sorte que le développement soit au rendez-vous, dans une situation qui reste assez fragile.

Sur la situation au Liban, j'ai beaucoup échangé avec le patriarche Raï, car j'ai une grande considération pour sa stature morale dans le pays et sa volonté de préserver la souveraineté du Liban. Je comprends son impatience. Mais l'idée d'une conférence internationale soulève des questions : comment une telle conférence pourrait-elle régler les problèmes du pays, si celui-ci ne parvient même pas à se doter d'un gouvernement ? Tout doit commencer par là. Nous avons déjà organisé deux conférences internationales sur le Liban à Paris. Mais le point de départ reste que les responsables politiques libanais se rendent compte qu'ils doivent dépasser leur logique de clan et sortent de leur pré carré pour faire en sorte que l'intérêt collectif et l'intérêt du pays soient pris en compte. Nous allons le leur redire avec force. Les Libanais aussi doivent faire pression sur eux. Vous avez raison, par ailleurs, de souligner le rôle de l'armée libanaise, qui est actuellement la colonne vertébrale du pays. Elle tient le coup pour l'instant, même si des questions se posent sur les financements nécessaires pour payer ses soldats !

Vous avez évoqué l'AFE et les soutiens aux ressortissants français résidant à l'étranger. Je suis très attaché à la mobilisation des financements que nous avons obtenus l'année dernière et qui ont été prolongés cette année, par le versement notamment d'un secours occasionnel de solidarité aux ressortissants français résidant à l'étranger et en difficulté. Vous pouvez bien entendu faire vos propositions de répartition des financements à Jean-Baptiste Lemoyne.

Sur la Birmanie, M. Franck Riester, ministre délégué, vous répondra demain puisque je serai empêché. Vous connaissez notre fermeté à l'égard de la junte militaire et sur la question de la représentation du gouvernement. Nous sommes toujours en lien avec Mme Aung San Suu Kyi et les représentants du gouvernement élu.

Les Britanniques ont fait le choix souverain d'une montée en puissance de leur arsenal nucléaire, au regard de la dégradation du contexte international, dans le cadre de la révision de leur revue stratégique, qui a lieu régulièrement. Nous sommes souverains aussi, et le Président de la République a tenu un discours à l'École de guerre sur ce sujet il y a quelques mois - chaque Président fait au cours de son quinquennat un discours sur l'enjeu nucléaire militaire de la France. Il a indiqué à plusieurs reprises que notre arsenal était dans la stricte suffisance, avec le seuil des 300 armes.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

En Birmanie, le résultat des élections libres est remis en cause par la Junte. En Russie, on empêche les candidats de se présenter aux élections générales, qui auront lieu en fin d'année. Alexeï Navalny est dans un camp de travail forcé, et selon les échanges que j'ai eus le week-end dernier avec les opposants au régime russe, 80 arrestations arbitraires ont frappé des personnes qui se réunissaient pour préparer ces élections. Ces situations appellent des sanctions. Je ne suis pas un thuriféraire des sanctions généralisées dont on connaît les limites.

Pour autant, les sanctions ciblées ne sont-elles pas purement symboliques, sachant que les généraux birmans n'ont pratiquement pas de biens en Europe et que, à la suite de l'affaire Navalny, de telles sanctions, prises sur la base du régime de sanction européen dit Magnitsky, n'ont concerné que quatre responsables, dont un seul avait des biens en Europe ?

Enfin, l'Allemagne va-t-elle décider seule de prolonger l'opération Nord Stream 2, alors que la plupart des Européens s'y opposent et qu'elle est contraire à nos objectifs énergétiques à horizon 2035 ?

Debut de section - PermalienPhoto de Cédric Perrin

Permettez-moi une dernière question sur la Corne de l'Afrique, dont je préside le groupe d'amitié au Sénat. On observe en ce moment un sorte de jeu à 4 avec l'armée éthiopienne, l'armée érythréenne, le Front de libération du Peuple du Tigré (TPLF) et les milices amharas. Les Erythréens sont les auteurs d'exactions assez violentes sur la population tigréenne. Les milices amharas voudraient elles aussi chasser les Tigréens. Sans aller jusqu'à parler de génocide, car il n'y a pas, fort heureusement, de politique organisée par l'État éthiopien d'élimination des Tigréens, un certain nombre de signaux sont largement au rouge. L'Éthiopie ne permet pas aux journalistes de se rendre dans la région du Tigré. Des enquêtes indépendantes sont demandées. Quelle est la position de la France à cet égard ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

On voit dans le monde les démocraties subir des revers considérables. Vous faites à bon droit le lien entre la Birmanie et la Russie : dans les deux cas, on observe un arrêt du processus démocratique, ou un renoncement démocratique, une dérive autoritaire. Au fond, nous sommes dans un affrontement de modèles, qui n'a jamais été aussi fort et qui peut ouvrir la voie aux pires dérives et aux pires régressions. Cet affrontement de modèles se caractérise par une information instrumentalisée, voire manipulée. Certains cherchent à imposer de nouvelles dépendances aux pays les plus fragiles. Et l'on constate des violations des Droits de l'Homme, ou le balayage d'élections par des coups de force. Les démocraties doivent se protéger de ces risques et étendre leur politique d'influence. Cela passe par le développement, la bataille de l'information, de la culture, mais aussi par l'unité de l'action de l'Europe dans les crises.

La Russie est dans une de forme de dérive autoritaire, comme je l'ai déjà dit publiquement. Notre réponse, nos sanctions ne sont pas secondaires. Elles font suite à un autre train de sanctions pris en octobre dernier, qui comporte des interdictions de voyage, des gels d'avoirs, et une dénonciation publique. La Russie semble faire fi des conséquences de ces sanctions, parce que cette dérive autoritaire amène les responsables de la Russie à s'intéresser d'abord à leur situation intérieure, et à ne pas prêter attention à leur image extérieure et aux conséquences de leurs actes. Mais les sanctions posent des problèmes difficiles à certains responsables. Le gel d'actifs dans toute l'Union européenne n'est pas secondaire - on le voit bien aussi pour la Syrie. Je suis très déterminé à ce que des sanctions ciblent des individus, mais aussi des entités, pour manifester notre rejet et notre indignation, notamment dans le cas de l'affaire Navalny.

Nous avons des réserves connues sur le projet Nord Stream 2. Nous avons eu des discussions fortes avec les Allemands sur ce sujet car, car cela place l'Union européenne en dépendance et menace sa souveraineté stratégique et énergétique. Bien sûr, ce sujet concerne avant tout l'Allemagne et la Russie, mais nous disons très librement aux Allemands notre manière de voir sur ce sujet.

Dans la Corne de l'Afrique, ce qui est le plus préoccupant, c'est la situation humanitaire. Près de 4 millions de personnes ont besoin d'aide alimentaire. La pression internationale a enfin conduit les autorités éthiopiennes à faire des concessions sur l'accès humanitaire, mais ce n'est pas suffisant, et nous travaillons avec nos partenaires européens et américains pour obtenir l'accès humanitaire nécessaire pour secourir et seconder ces populations. Il faut aussi que les troupes érythréennes quittent le Tigré, et que des enquêtes indépendantes soient conduites pour faire toute la lumière sur la situation. Amnesty International a documenté des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Nous sommes donc extrêmement déterminés à faire avancer des enquêtes indépendantes. Nous avons des relations avec les autorités d'Éthiopie, et le Président de la République a fait valoir cette nécessité. Le Conseil de sécurité a déjà évoqué cette question il y a quelques jours, lors de sa réunion du 4 mars. Nous comptons continuer à mettre de la pression pour que des enquêtes soient diligentées le plus rapidement possible sur les crimes commis dans sa région, avec l'appui de la Haute-commissaire des Droits de l'Homme et de la Cour africaine des Droits de l'Homme. Nous sommes aussi très déterminés à faire aboutir l'aide humanitaire massive dont les populations de la région ont besoin.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 40.