Intervention de Jean-Christophe Bouissou

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 25 mars 2021 : 1ère réunion
Étude sur le logement dans les outre-mer — Audition de M. Jean-Christophe Bouissou ministre du logement de l'aménagement et des transports scolaires du gouvernement de la polynésie française accompagné de M. Oraihoomana Teururai délégué à l'habitat et à la ville et Mme Emmanuelle Thénot directrice de la délégation à l'habitat et à la ville

Jean-Christophe Bouissou, ministre du logement, de l'aménagement et des transports scolaires du gouvernement de la Polynésie française :

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, chers amis parlementaires, je suis très heureux de vous accueillir, de manière virtuelle, en Polynésie.

Je suis chargé de la politique du logement en Polynésie française, mais également de l'aménagement du territoire, de l'urbanisme et des problématiques de transport, intérieur et maritime. J'interviens aujourd'hui en ma qualité de ministre de l'aménagement et du logement.

Vous l'avez dit en préambule, la Polynésie française est une collectivité d'outre-mer particulière. Elle est en effet située à quelques 18 000 kilomètres de l'Hexagone, dans une région du Pacifique dont le contour est aussi vaste que l'Europe et l'espace maritime de l'ordre de 5,5 millions de km2.

La dispersion des îles présente d'incontestables inconvénients. Cependant, l'espace maritime de la Polynésie est aussi un immense atout.

En effet, la Polynésie française est située à égale distance entre la Chine, le Japon, l'Australie et la Nouvelle-Zélande d'un côté, l'Amérique d'un autre côté. Elle est donc un passage obligé, d'une part, pour le transport aérien et maritime, car les distances sont très grandes, d'autre part, pour les câblages, car la connectivité et les connexions numériques sont indispensables au développement de nos territoires en matière de communication.

Dans ce contexte, nous avons élaboré un schéma d'aménagement général de la Polynésie française (SAGE), que nous avons considéré comme un prérequis à la définition de nos politiques publiques. Depuis 2014, le gouvernement d'Édouard Fritch a en effet conduit plusieurs études dans le cadre de la définition des politiques sectorielles - tourisme, pêche, économie bleue, agriculture, transport aérien, transport maritime.

Nous finalisons actuellement deux grands sujets qui concernent d'une part, la politique foncière de la Polynésie française, laquelle relève du vice-président du gouvernement Teari Alpha ; d'autre part, la définition de notre politique publique de l'habitat, dont je suis chargé.

Cette politique publique de l'habitat est pratiquement achevée, les conclusions de l'étude seront rendues mi-avril. Elle a été conçue en fonction des objectifs de notre schéma d'aménagement du territoire.

Dans un contexte d'augmentation de la population estimée à 10 % sur la période, nous souhaitons permettre aux habitants d'être logés dignement pendant les vingt prochaines années en favorisant le développement des archipels.

La politique menée jusqu'à présent a conduit à l'hyperconcentration sur les îles de Tahiti et Moorea, où vivent aujourd'hui les trois quarts de la population polynésienne. L'archipel de la Société, y compris les îles sous-le-vent - Bora-Bora, Raiatea - distantes d'environ 250 kms de Papeete, abrite 84 % de la population.

Au travers d'un schéma d'aménagement, nous souhaitons permettre un inversement du flux migratoire polynésien, de l'île de Tahiti vers les archipels. Pour ce faire, il nous faut développer les ressources propres de ces archipels.

Le tourisme est la vocation de nos îles. Les îles Marquises suscitent notamment un intérêt grandissant.

Le développement des archipels nécessite des outils structurants et des investissements lourds dans plusieurs domaines. C'est pourquoi notre schéma d'aménagement prévoit d'ouvrir la Polynésie, grâce à des points d'entrée distincts de l'aéroport de Tahiti-Faa'a. La création d'un aéroport de dégagement à Rangiroa et l'ouverture des Marquises à l'international visent notamment cet objectif.

Une meilleure desserte de l'archipel des Marquises répond en outre à un souhait de rapprochement des Îles d'Hawaï, lequel a été émis à l'occasion de plusieurs discussions avec le gouvernement de cet État et des responsables de compagnies aériennes. Il permettrait en effet de restaurer la culture hawaïenne, car cette dernière tend à disparaître en raison d'un modèle de développement et d'une société qui ont progressivement écarté les Hawaïens d'origine et partant, les langues polynésiennes, et la représentation de ces derniers dans certaines structures et centres de pouvoir.

Trois ou quatre points d'entrée sont donc nécessaires pour permettre le transport international des personnes qui souhaitent visiter la Polynésie. Bora-Bora a vocation à recevoir des jets privés.

Dans ce cadre, nous voulons développer l'ensemble des activités nécessaires et souhaitées, y compris par les élus des archipels. Le schéma d'aménagement du territoire a été conçu avec les maires, les parlementaires, les élus de l'Assemblée et les forces vives du pays - les chefs d'entreprise notamment.

Notre politique publique de l'habitat ne se limite donc pas aux conditions de vie des familles dans les quartiers, mais s'intègre dans une vision plus large. Nous souhaitons en effet traiter de l'habitat, des transports et des logements dans le tissu urbain en particulier sur la commune de Papeete où vit trois quart de la population.

Notre démarche s'est appuyée sur plusieurs constats. D'abord, nos moyens actuels ne suffisent pas à la réalisation de nos objectifs.

Ensuite, notre politique de logement social, définie depuis 1999, nous permet de servir les familles qui gagnent moins de 2,5 SMIC, mais elle écarte la population qui travaille en métropole, dispose de revenus intermédiaires et paye des impôts et taxes. Cette dernière n'est notamment pas soutenue dans ses projets de primo-accession.

De nombreuses mesures ont été mises en place empiriquement et progressivement. Les logements sociaux sont financés par deux sources : la participation de l'État au titre des subventions publiques nationales et les prêts. Cette politique se révèle à la fois insuffisante eu égard au nombre de logements à construire et très onéreuse pour les pouvoirs publics.

1 400 logements doivent être construits chaque année pour rattraper le retard constaté. 3 600 familles ont en effet constitué des dossiers pour solliciter un logement social en locatif simple. Ce chiffre inclut les objectifs en matière d'habitat dispersé et de résorption de l'habitat insalubre.

Malgré les problématiques foncières, les ménages polynésiens ont encore la faculté de construire sur leurs propres terres. La gestion de l'indivision reste alors interne aux familles. Elles peuvent également acquérir des terrains, car la redistribution des terres domaniales par le gouvernement facilite leur accès à la propriété.

La mesure relative à l'habitat dispersé permet aux familles qui respectent les conditions d'éligibilité de construire leur logement individuel aux normes paracycloniques sur un terrain appartenant à autrui, en contrepartie d'un bail de longue durée. Notre ambition se concrétise chaque année par la construction de 400 à 500 logements en habitat dispersé.

Des mesures relatives à la réhabilitation des logements, comme les aides en matériaux, complètent ce dispositif, mais nous avons encore beaucoup à faire dans ces domaines. À cet égard, la fédération SOLIHA - Solidaires pour l'habitat - qui existe dans l'hexagone pourrait être reproduite utilement en Polynésie pour accompagner les familles dans la réhabilitation de leur logement.

Nous souhaitons également ouvrir les financements à d'autres sources, car les financements publics demeurent coûteux. Les subventions publiques pourraient ainsi être utilisées à travers un levier de remboursement d'emprunt.

Nous avons commencé à réfléchir avec la Caisse des dépôts et consignations à un modèle de financement qui repose sur une restructuration de nos opérateurs locaux du logement social, dont l'Office polynésien de l'habitat (OPH).

Nous souhaitons permettre l'accès à des prêts de long terme - 40 ans pour des constructions de logement et 60 ans pour du foncier - à des taux quasi nuls. Dans cette optique, nous peinons à solliciter des structures comme Action Logement, qui collecte les contributions des entreprises métropolitaines au 1 % logement. L'adhésion et la participation des entreprises polynésiennes méritent d'être envisagées dans ce cadre.

Nous veillons enfin à ce que la Polynésie française puisse bénéficier des actions de l'ANRU et de l'ANAH, lesquelles peuvent nous aider à réaliser les objectifs de notre politique publique de l'habitat.

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