Monsieur le Ministre, je vous remercie sincèrement d'avoir accepté cet échange, lequel s'inscrit dans le cadre de nos auditions en vue du rapport sur le logement dans les outre-mer de nos trois collègues rapporteurs : Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel.
Cette étude a l'ambition de couvrir, autant que faire se peut, l'ensemble des territoires ultramarins. Dans ce contexte, il est essentiel d'y inclure les collectivités du Pacifique qui sont confrontées à des défis spécifiques, liés notamment aux risques naturels et aux conséquences du réchauffement climatique.
Nous partageons également de nombreux sujets communs, comme la production de logements abordables, la rénovation du bâti ancien ou les adaptations aux nouveaux modes de vie. Nous accordons beaucoup d'importance aux regards croisés entre les outre-mer.
La Polynésie est représentée au sein de la délégation sénatoriale aux outre-mer par nos collègues Lana Tetuanui et Teva Rohfritsch.
Nous saisissons l'occasion pour les saluer chaleureusement, car la crise du Covid a considérablement limité les déplacements.
Je vous précise que la délégation a déjà procédé à une douzaine d'auditions, notamment avec les organismes nationaux. Nous les poursuivrons au cours des prochaines semaines en nous attachant aux contextes et aux particularités de chaque territoire.
La politique publique de l'habitat « 2021-2030 » de la Polynésie française a fait récemment l'objet d'une présentation. Sa programmation de logements sur dix ans et son objectif d'un habitat digne pour tous, englobant le secteur public comme le secteur privé, ont retenu toute notre attention.
Monsieur le Ministre, je vous invite à nous exposer votre projet en vous guidant de la trame qui vous a été adressée. Ensuite, Micheline Jacques, rapporteure, vous demandera si nécessaire des éclairages complémentaires. Enfin, les collègues présents vous questionneront à leur tour.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, chers amis parlementaires, je suis très heureux de vous accueillir, de manière virtuelle, en Polynésie.
Je suis chargé de la politique du logement en Polynésie française, mais également de l'aménagement du territoire, de l'urbanisme et des problématiques de transport, intérieur et maritime. J'interviens aujourd'hui en ma qualité de ministre de l'aménagement et du logement.
Vous l'avez dit en préambule, la Polynésie française est une collectivité d'outre-mer particulière. Elle est en effet située à quelques 18 000 kilomètres de l'Hexagone, dans une région du Pacifique dont le contour est aussi vaste que l'Europe et l'espace maritime de l'ordre de 5,5 millions de km2.
La dispersion des îles présente d'incontestables inconvénients. Cependant, l'espace maritime de la Polynésie est aussi un immense atout.
En effet, la Polynésie française est située à égale distance entre la Chine, le Japon, l'Australie et la Nouvelle-Zélande d'un côté, l'Amérique d'un autre côté. Elle est donc un passage obligé, d'une part, pour le transport aérien et maritime, car les distances sont très grandes, d'autre part, pour les câblages, car la connectivité et les connexions numériques sont indispensables au développement de nos territoires en matière de communication.
Dans ce contexte, nous avons élaboré un schéma d'aménagement général de la Polynésie française (SAGE), que nous avons considéré comme un prérequis à la définition de nos politiques publiques. Depuis 2014, le gouvernement d'Édouard Fritch a en effet conduit plusieurs études dans le cadre de la définition des politiques sectorielles - tourisme, pêche, économie bleue, agriculture, transport aérien, transport maritime.
Nous finalisons actuellement deux grands sujets qui concernent d'une part, la politique foncière de la Polynésie française, laquelle relève du vice-président du gouvernement Teari Alpha ; d'autre part, la définition de notre politique publique de l'habitat, dont je suis chargé.
Cette politique publique de l'habitat est pratiquement achevée, les conclusions de l'étude seront rendues mi-avril. Elle a été conçue en fonction des objectifs de notre schéma d'aménagement du territoire.
Dans un contexte d'augmentation de la population estimée à 10 % sur la période, nous souhaitons permettre aux habitants d'être logés dignement pendant les vingt prochaines années en favorisant le développement des archipels.
La politique menée jusqu'à présent a conduit à l'hyperconcentration sur les îles de Tahiti et Moorea, où vivent aujourd'hui les trois quarts de la population polynésienne. L'archipel de la Société, y compris les îles sous-le-vent - Bora-Bora, Raiatea - distantes d'environ 250 kms de Papeete, abrite 84 % de la population.
Au travers d'un schéma d'aménagement, nous souhaitons permettre un inversement du flux migratoire polynésien, de l'île de Tahiti vers les archipels. Pour ce faire, il nous faut développer les ressources propres de ces archipels.
Le tourisme est la vocation de nos îles. Les îles Marquises suscitent notamment un intérêt grandissant.
Le développement des archipels nécessite des outils structurants et des investissements lourds dans plusieurs domaines. C'est pourquoi notre schéma d'aménagement prévoit d'ouvrir la Polynésie, grâce à des points d'entrée distincts de l'aéroport de Tahiti-Faa'a. La création d'un aéroport de dégagement à Rangiroa et l'ouverture des Marquises à l'international visent notamment cet objectif.
Une meilleure desserte de l'archipel des Marquises répond en outre à un souhait de rapprochement des Îles d'Hawaï, lequel a été émis à l'occasion de plusieurs discussions avec le gouvernement de cet État et des responsables de compagnies aériennes. Il permettrait en effet de restaurer la culture hawaïenne, car cette dernière tend à disparaître en raison d'un modèle de développement et d'une société qui ont progressivement écarté les Hawaïens d'origine et partant, les langues polynésiennes, et la représentation de ces derniers dans certaines structures et centres de pouvoir.
Trois ou quatre points d'entrée sont donc nécessaires pour permettre le transport international des personnes qui souhaitent visiter la Polynésie. Bora-Bora a vocation à recevoir des jets privés.
Dans ce cadre, nous voulons développer l'ensemble des activités nécessaires et souhaitées, y compris par les élus des archipels. Le schéma d'aménagement du territoire a été conçu avec les maires, les parlementaires, les élus de l'Assemblée et les forces vives du pays - les chefs d'entreprise notamment.
Notre politique publique de l'habitat ne se limite donc pas aux conditions de vie des familles dans les quartiers, mais s'intègre dans une vision plus large. Nous souhaitons en effet traiter de l'habitat, des transports et des logements dans le tissu urbain en particulier sur la commune de Papeete où vit trois quart de la population.
Notre démarche s'est appuyée sur plusieurs constats. D'abord, nos moyens actuels ne suffisent pas à la réalisation de nos objectifs.
Ensuite, notre politique de logement social, définie depuis 1999, nous permet de servir les familles qui gagnent moins de 2,5 SMIC, mais elle écarte la population qui travaille en métropole, dispose de revenus intermédiaires et paye des impôts et taxes. Cette dernière n'est notamment pas soutenue dans ses projets de primo-accession.
De nombreuses mesures ont été mises en place empiriquement et progressivement. Les logements sociaux sont financés par deux sources : la participation de l'État au titre des subventions publiques nationales et les prêts. Cette politique se révèle à la fois insuffisante eu égard au nombre de logements à construire et très onéreuse pour les pouvoirs publics.
1 400 logements doivent être construits chaque année pour rattraper le retard constaté. 3 600 familles ont en effet constitué des dossiers pour solliciter un logement social en locatif simple. Ce chiffre inclut les objectifs en matière d'habitat dispersé et de résorption de l'habitat insalubre.
Malgré les problématiques foncières, les ménages polynésiens ont encore la faculté de construire sur leurs propres terres. La gestion de l'indivision reste alors interne aux familles. Elles peuvent également acquérir des terrains, car la redistribution des terres domaniales par le gouvernement facilite leur accès à la propriété.
La mesure relative à l'habitat dispersé permet aux familles qui respectent les conditions d'éligibilité de construire leur logement individuel aux normes paracycloniques sur un terrain appartenant à autrui, en contrepartie d'un bail de longue durée. Notre ambition se concrétise chaque année par la construction de 400 à 500 logements en habitat dispersé.
Des mesures relatives à la réhabilitation des logements, comme les aides en matériaux, complètent ce dispositif, mais nous avons encore beaucoup à faire dans ces domaines. À cet égard, la fédération SOLIHA - Solidaires pour l'habitat - qui existe dans l'hexagone pourrait être reproduite utilement en Polynésie pour accompagner les familles dans la réhabilitation de leur logement.
Nous souhaitons également ouvrir les financements à d'autres sources, car les financements publics demeurent coûteux. Les subventions publiques pourraient ainsi être utilisées à travers un levier de remboursement d'emprunt.
Nous avons commencé à réfléchir avec la Caisse des dépôts et consignations à un modèle de financement qui repose sur une restructuration de nos opérateurs locaux du logement social, dont l'Office polynésien de l'habitat (OPH).
Nous souhaitons permettre l'accès à des prêts de long terme - 40 ans pour des constructions de logement et 60 ans pour du foncier - à des taux quasi nuls. Dans cette optique, nous peinons à solliciter des structures comme Action Logement, qui collecte les contributions des entreprises métropolitaines au 1 % logement. L'adhésion et la participation des entreprises polynésiennes méritent d'être envisagées dans ce cadre.
Nous veillons enfin à ce que la Polynésie française puisse bénéficier des actions de l'ANRU et de l'ANAH, lesquelles peuvent nous aider à réaliser les objectifs de notre politique publique de l'habitat.
Je vous remercie, Monsieur le Ministre, pour votre présentation. Les voies alternatives que vous recherchez pour faire appel à des opérateurs bénéficiant d'une assise nationale constituent notamment une piste intéressante que d'autres territoires pourraient exploiter également.
Monsieur le Ministre, je vous félicite pour le projet ambitieux que vous avez prévu pour la Polynésie française, car la conciliation entre l'aménagement du territoire et l'exiguïté des territoires insulaires se révèle parfois difficile, d'autant plus qu'elle est contrainte par les risques naturels. J'apprécie énormément le travail qui est le vôtre.
Votre présentation a été très complète. J'aimerais orienter mes questions vers des problématiques d'ordre social. Je me préoccupe notamment des modalités d'association de la population à ce vaste projet d'aménagement, de la capacité de la main-d'oeuvre locale à atteindre vos objectifs ainsi que de l'impact des coûts de revient sur l'accession au logement et à la propriété de toutes les franges de la population.
La Polynésie est en effet exposée aux risques cyclonique et de submersion marine. Nous essayons d'adapter nos logements en fonction de ces risques très importants.
En Polynésie, le secteur du bâtiment et des travaux publics se porte bien malgré la crise sanitaire. Les communes et le pays injectent en effet des montants conséquents à travers leurs politiques d'investissement et les projets privés poursuivent leur développement, car les besoins en construction de logements demeurent importants.
Les ménages qui ne peuvent bénéficier de logements sociaux sollicitent les aides publiques. L'aide à l'investissement des ménages leur permet d'accéder à des prêts consentis par les banques locales.
Le sénateur Teva Rohfritsch a initié ce vaste travail alors qu'il était ministre de l'économie et des finances, chargé des grands projets.
Sans ce cadre, nous rencontrerions certainement des difficultés à faire travailler les entreprises sur ces grands projets et à poursuivre l'énorme chantier de construction de logements souhaités.
Par ailleurs, nous avons rencontré tous les conseils municipaux de l'ensemble du territoire. Je me suis rendu personnellement à la rencontre des élus, des acteurs et de la population, laquelle a été invitée à s'exprimer.
Nous utilisons également les moyens modernes de communication et disposons d'un site internet qui nous permet de recueillir les avis, souhaits et propositions des habitants des archipels.
Nous avons ainsi obtenu l'unanimité des votes de l'Assemblée au sujet de notre schéma d'aménagement. Nous espérons que notre politique publique de l'habitat aura le même succès.
Nous constatons clairement une hausse des prix à la construction du mètre carré. Cette évolution s'explique notamment par les nombreux investissements spéculatifs que réalise la population locale, voire nationale. La part des logements ainsi acquis est estimée à 20 % des logements construits.
L'augmentation des loyers provoque une flambée des prix d'accès au logement et les entreprises bénéficient de cette politique inflationniste. Les coûts à l'importation évoluent peu. Les augmentations relatives des indices de la construction et des prix à la consommation confirment l'aspect spéculatif des investissements.
C'est pourquoi notre politique publique de l'habitat s'inscrit dans une logique de régulation, particulièrement dans le secteur du logement intermédiaire.
J'aimerais savoir si vous disposez sur place de tous les matériaux nécessaires pour le plan que vous allez mettre en oeuvre. Si, au contraire, vous en importez, j'aimerais connaître la part que représentent ces coûts dans les frais d'approvisionnement.
Nous importons la majorité des matériaux de construction - ciment, bois - que nous transformons localement.
Grâce au soutien du programme PACTE, nous avons étudié la filière bois qui n'a pas été exploitée jusqu'à présent. Elle nous intéresse particulièrement, car il existe un gisement important de pins des Caraïbes dans trois archipels - Îles Marquises, Îles sous-le-vent et Îles Australes. Ce bois est susceptible de satisfaire aux conditions de construction de logements en habitat dispersé.
L'utilisation de ce bois, ancienne en Polynésie française, éviterait d'importer 30 à 40 % des besoins en bois depuis les États-Unis, la Nouvelle-Zélande ou l'Australie.
Nous avons intégré la filière bois locale à nos achats dans nos récents appels d'offres. Je rappelle que 45 à 50 millions d'euros sont consacrés chaque année à la construction de 400 à 500 logements. La place du bois au niveau de la structure et des coûts est donc importante.
J'aimerais aborder le risque assurantiel. Je m'interroge particulièrement sur les coûts d'assurance, compte tenu de la réticence éventuelle de certains assureurs et de l'existence de normes relatives aux risques naturels majeurs.
En Polynésie française, nous avons des droits et taxes à l'importation, que nous avons très largement fait baisser depuis l'instauration de la taxe sur la valeur ajoutée. Nous avons encore des droits de douane et quelques taxes sur des produits qui concurrencent les produits que nous souhaitons développer localement.
Par ailleurs, nous disposons d'éléments éclairés issus des analyses réalisées sur le traitement du bois. La certification du bois et de son traitement reste à confirmer par une norme.
Nous n'avons pas beaucoup évolué sur la question de l'assurance décennale en Polynésie française. La loi Spinetta a été rendue applicable et étendue en Polynésie française. Pourtant, les entreprises, qui sont tenues de justifier d'une garantie décennale, ne sont pas systématiquement couvertes par les compagnies d'assurance en cas de sinistre. Le deuxième volet de cette loi doit donc encore être appliqué en Polynésie.
La mise en place d'une filière bois sur votre territoire repose sur un processus de certification de ce bois, pour respecter les normes de construction notamment. Le hasard a voulu que la délégation sénatoriale auditionne ce matin l'Agence Qualité Construction et Qualitel qui sont des organismes de certification. Pour certifier les matériaux issus de la filière que vous allez mettre en place, solliciterez-vous des entités nationales qui existent déjà ou disposez-vous d'un processus de certification propre à votre territoire ?
Par ailleurs, pour avoir accès à des opérateurs nationaux de type Action Logement, pensez-vous qu'il vous faudra trouver un véhicule législatif qui permette de contourner ou de régler le sujet de la cotisation des entreprises de votre territoire à Action Logement ?
Je vous propose qu'Emmanuelle Thénot, directrice de la délégation à l'habitat et à la ville, réponde aux questions relatives à la certification.
Je suis très honorée de participer à cette réunion qui concerne la politique de l'habitat en Polynésie.
Le ministère de l'agriculture et la direction de l'habitat et de la ville ont travaillé conjointement sur les normes de construction en bois local. Depuis deux ans, le pin des Caraïbes est certifié pour être du bois de structure.
Un corpus réglementaire sur la qualité de la construction, un code de la construction et un code de l'habitation locale sont en cours de développement. L'Agence qualité construction (AQC) assure également le secrétariat du projet PACTE. Dans ce cadre, elle suit le projet que nous avons mené sur la filière construction en bois local. Elle sera invitée en juin à participer à un séminaire de restitution de l'ensemble de nos réflexions sur la filière construction en bois local.
Par ailleurs, les premiers pilotis sur l'eau en bois ont été réalisés en Polynésie française à l'occasion d'un projet hôtelier. Certains assureurs seraient certainement enclins à travailler sur des projets atypiques.
J'ai ouvert un débat local avec nos partenaires sociaux - fédérations des entreprises et syndicats de salariés - pour aborder la cotisation patronale au 1 % logement constituant le Fonds de solidarité habitat (FSH), laquelle a disparu en 2006 au profit des politiques familiales.
65 % des salariés des entreprises polynésiennes bénéficient des politiques publiques de l'habitat. Restaurer cette cotisation permettrait d'apporter notre contribution à Action Logement et de bénéficier des lignes de crédit - subventions, prêts.
Nous dépensons chaque année cent millions d'euros pour financer les constructions de logement. Un emprunt de 40 milliards de francs Pacifique sur 40 ans engendre un remboursement annuel d'un milliard. L'effet de levier est extraordinaire. Nous souhaitons en bénéficier en Polynésie.
Il sera certainement nécessaire de réfléchir sur le plan réglementaire ou de légiférer, car la définition de notre politique en matière de cotisations patronales et salariales relève de nos instances locales. L'accompagnement de l'État français est sans doute aussi à envisager.
Lors de diverses auditions auxquelles nous avons assisté, la faible disponibilité du foncier a été évoquée. Par ailleurs, les dispositifs en place induisent une inadéquation entre les projets et l'aménagement du foncier. Comment le foncier est-il organisé en Polynésie ? En particulier, des lois coutumières interviennent-elles dans son organisation ?
D'une manière générale, le foncier est problématique en Polynésie française en raison de l'application du code de la propriété et du code civil. En cent ans, ils n'ont pas permis à l'ensemble de propriétaires terriens polynésiens de procéder aux déclarations de propriété.
Toute la population ne connaît pas cette situation. Néanmoins, une part importante du foncier - vallées entières, pans de montagnes, îles - se trouve gelée par les problèmes d'indivision. Aux Marquises, le pays et les Églises catholique et protestante sont propriétaires d'importants ensembles fonciers qui leur ont été vendus. Ce sujet est particulièrement actuel sur les îles Actéon situées à l'est de l'archipel de Tuamotu.
La difficulté majeure sur le foncier est de pouvoir discuter des modalités d'aménagement et de développement avec des interlocuteurs identifiés. Mais pour certains, cet inconvénient permet d'éviter la dispersion des terrains et leur vente à l'étranger ou à des acquéreurs qui en empêcheraient une utilisation future.
Notre démarche vise donc à aménager cette indivision. Notre ministre des affaires foncières, Tearii Alpha, présentera prochainement un schéma directeur relatif au foncier et à l'élaboration d'un cap conventionnel avec les propriétaires fonciers polynésiens.
Le statut de la Polynésie française prévoit que les terres en déshérence reviennent au pays. Les terres qui n'ont pas été revendiquées sont confiées au pays au travers des « terres présumées domaniales ».
Au niveau de la direction des affaires foncières, le « sommier des biens » de la Polynésie française recense l'ensemble des propriétés appartenant au pays, qu'elles soient publiques ou privées. Nos programmes de construction sont élaborés en fonction de ce « sommier des biens ».
En outre, nous ambitionnons de procéder à des redistributions de terres archipélagiques pour permettre le maintien des familles polynésiennes qui souhaitent y poursuivre leurs activités.
Enfin, un aménageur pourrait travailler sur la préparation ou l'aménagement du foncier dans le cadre de diverses politiques publiques - construction de logements sociaux et intermédiaires, mise à disposition du foncier, développement économique, hôtellerie, environnement.
Nos opérateurs souhaitent également que nous procédions suffisamment tôt à des acquisitions foncières pour en disposer dans le cadre de nos opérations d'aménagement - programme de rénovation urbaine notamment.
Plusieurs communes et quartiers nécessitent une intervention pour être désenclavés et sortir de l'habitat indigne. Aussi, nous avons besoin d'acquérir des terrains dans les zones concernées pour procéder à des opérations de relogements provisoires.
Dans ce cadre, des financements importants sont nécessaires, ainsi qu'un aménageur capable de réaliser un travail concret de discussion avec les propriétaires et de production d'aménagements dès la réalisation des PRU (plans de rénovation urbaine).
Je remercie M. Jean-Christophe Bouissou pour son exposé complet de la situation.
Je rappelle que la Polynésie française se caractérise par une surface équivalente à celle de l'Europe, répartie en 78 îles et abritant 277 000 habitants - dont 80 % vivent sur l'île de Tahiti - et un vaste espace maritime.
Ses défis sont donc immenses en matière d'aménagement, d'équipement du territoire, de transports, de continuité territoriale interne, de développement économique, mais aussi en matière de logement.
Parallèlement, ses moyens sont restreints. L'Office public de l'habitat agit dans tous les champs d'intervention qui touchent au logement : la lutte contre le logement indigne, le développement du parc locatif social, la viabilisation de parcelles en vue de la location-vente, l'accession directe à l'habitat et la création de cités de transit.
De nombreuses mesures ont été initiées ces dernières années sous l'impulsion de Jean-Christophe Bouissou et du gouvernement d'Édouard Fritch. Néanmoins, trois éléments saillants subsistent.
L'enjeu foncier d'abord. Nous vivons sur des bandes côtières réduites, en particulier sur nos îles hautes. Aux îles Tuamotu, le point culminant s'élève à deux mètres au-dessus du niveau de la mer. L'acquisition de nouveaux espaces destinés à l'aménagement en vue du logement s'envisage donc sur les terres de montagne. Cependant, la constitution de réserves foncières se heurte aux problématiques d'indivision soulevées par Jean-Christophe Bouissou.
Par ailleurs, l'introduction tardive du Code civil en Polynésie engendre des difficultés d'interprétation, d'intégration des pratiques culturelles précédentes - notamment des « tomites » - et de gestion spatiotemporelle communautaire.
Le pays a institué, au fur et à mesure de ses évolutions statutaires, « les terres présumées domaniales » dont les propriétaires ne sont pas systématiquement recensés et peuvent encore faire valoir leurs droits au moyen d'actes particulièrement anciens.
L'enjeu de réserve foncière est immanent, car il n'est pas possible de construire sans foncier. Il est d'autant plus criant que les disponibilités sont réduites et que les problèmes d'indivision et de clarification du foncier subsistent.
Cet enjeu est également financier, car les demandes d'usage se concentrent sur du foncier rare. L'opérateur public unique est donc confronté à des coûts d'acquisition importants.
L'aménagement ensuite. Ces trois dernières années, Jean-Christophe Bouissou et le gouvernement polynésien ont déployé de nombreux partenariats techniques avec les agences d'urbanisme en métropole et des opérateurs pour disposer d'outils.
Le partenariat national avec la métropole est précieux. Nous gagnerions à encourager le développement des partenariats entre nos régions insulaires, car d'autres territoires ultramarins ont également développé de bonnes pratiques.
L'ensemblier qu'évoquait M. Jean-Christophe Bouissou apparaît stratégique dans ce contexte. La Nouvelle-Calédonie a développé des savoir-faire en matière d'aménagement du foncier, sur lesquels il semble opportun de capitaliser.
L'enjeu financier, enfin. Le pays est autonome et a sa propre fiscalité. L'insuffisance de moyens d'intervention divers a conduit le pays à financer le budget d'investissement. Cent millions d'euros annuels y sont ainsi consacrés depuis quelques années.
Le pays n'a jamais dégagé autant de moyens en faveur du logement, car les besoins sont criants et nous ne disposons pas d'opérateurs nationaux qui nous permettent d'asseoir financièrement la stratégie développée selon un schéma d'aménagement général et des PRU.
Il apparaît primordial que la Caisse des dépôts et consignations puisse soutenir l'opérateur sur une longue durée afin que le logement ne soit pas financé uniquement par le budget d'investissement de la collectivité.
Le contrat de développement et de transformation, qui fait suite au contrat de projet, introduit une quote-part prise en charge par l'État. La fiche technique de ce contrat, validé récemment par l'Assemblée de Polynésie française, semble complète et synthétique dans sa partie traitant de la politique de logement. Elle apporte notamment des éléments nécessaires à la bonne compréhension des enjeux actuels sur lesquels nous pourrions insister dans notre rapport.
Par ailleurs, le sujet plus général du rapport à l'autonomie mérite d'être étudié. Le droit à la différenciation est évoqué par beaucoup de nos collectivités territoriales. Il a du sens dans les territoires d'outre-mer en raison de leur éloignement, de leurs caractéristiques géographiques distinctes, de leur histoire et de leur culture.
Les Polynésiens ont obtenu ce droit à la différenciation au travers d'un statut d'autonomie. Ce droit ne saurait néanmoins évoluer vers une déresponsabilisation.
Il me semble en effet que la lutte contre l'habitat indigne mérite d'être davantage soutenue par le budget de l'État, même si le principe de subsidiarité prévoit que les Polynésiens assument le maximum de responsabilités. L'État doit intervenir aux côtés de ces citoyens français qui ont actuellement un besoin criant de logement.
Au-delà des emprunts à solliciter auprès de la Caisse des dépôts et consignations dans le cadre de la mission outre-mer du projet de loi de finances et malgré l'autonomie institutionnelle de la Polynésie, nous pourrions consacrer davantage de moyens pour aider directement au rétablissement de la dignité par le logement de citoyens français.
Je souhaite enfin souligner l'enjeu technique de la création de cet habitat. L'habitat collectif apparaît relativement peu développé, car le Polynésien est particulièrement attaché à sa terre.
La politique du gouvernement, qui consiste à permettre aux familles de conserver un lien ancestral avec le foncier - posséder une maison, cultiver sa terre, est coûteuse et contrainte.
La Polynésie française a développé des fare (maisons sur pilotis sur terre) aux normes anticycloniques qui ont résisté à de nombreux vents forts. Elle fait figure de modèle en matière de construction, car elle a envoyé des kits chez ses voisins du Pacifique lorsqu'ils ont subi des épisodes cycloniques.
L'État pourrait notamment soutenir la construction et le déploiement dans la région Pacifique de ces kits simples à monter et contribuerait ainsi au rayonnement d'un savoir-faire polynésien et français dans les îles du Pacifique et encouragerait ainsi les entrepreneurs locaux.
Nous faisons notre maximum pour atteindre les objectifs visant à faire vivre dignement nos familles. Je remercie la Délégation sénatoriale aux outre-mer de s'intéresser aussi au logement en Polynésie française, et de ne pas considérer la barrière statutaire comme un obstacle.
Une table ronde passionnante traitant des questions institutionnelles outre-mer s'est tenue récemment au Sénat. La délégation souhaite poursuivre les discussions sur ce thème. La commission des lois s'est d'ailleurs engagée à mettre en place un groupe de travail sur ce sujet d'actualité.
Il peut y avoir des passerelles entre les territoires, y compris sur les questions statutaires. J'ai présidé un territoire fiscalement autonome et constaté que l'autonomie n'est pas synonyme d'indépendance. La France doit continuer à soutenir nos territoires, y compris quand ils disposent d'une autonomie fiscale ou législative, dans certains domaines de compétences, et leur permettre de se projeter dans leur région. L'insertion régionale, même à quelques milliers de kilomètres, détermine le positionnement géopolitique de la France et mérite à ce titre des actions particulières.
Comment le plan de relance est-il appréhendé par la Polynésie française ? Certaines actions sont-elles entreprises en matière de logement ?
Je vous remercie pour vos questions, et je remercie le sénateur Teva Rohfritsch pour son intervention.
Les Polynésiens, les jeunes couples et les familles notamment, souhaitent aujourd'hui posséder un terrain pour y construire leur maison et le cultiver, mais aussi habiter à proximité de leur lieu de travail. C'est pourquoi notre approche en matière d'habitat prend également en compte les services publics. Le développement de transports en commun faciliterait la vie des familles.
Par ailleurs, nous bénéficions de deux plans de relance :
- Le plan de relance polynésien répond à la crise sanitaire. La place du logement, du bâtiment et des travaux publics y est prépondérante ;
- Le plan de relance de L'État accompagne notre volonté de lutter contre l'habitat indigne. Dans ce cadre, nous avons d'ores et déjà engagé des opérations cofinancées par l'État. À titre d'exemple, des populations se sont établies à proximité de l'aéroport de Tahiti-Faa'a depuis plusieurs décennies. Leur sécurité est menacée par la proximité des avions. Certains quartiers nécessitent donc une intervention forte. La restauration d'un habitat digne pour ces familles requiert des opérations très onéreuses qui nécessitent que le pays soit accompagné. L'habitat indigne occupe une place très importante dans la collaboration que nous devons mener.
J'ai en effet évoqué la barrière statutaire, car elle paraît parfois insurmontable. À ce jour, seules des opérations de réhabilitation des bâtiments de l'État figurent dans le plan de relance pour la Polynésie française.
Le prêt consenti à la Polynésie et garanti par l'État couvre les coûts engendrés par la crise sanitaire - acquisition de masques et matériels médicaux, financement des dispositifs de lutte contre le virus, baisse des recettes du pays, soutien aux entreprises et aux salariés mis en place par la Polynésie. L'État nous a également rendus éligibles au fonds de solidarité nationale et au Prêt garanti par l'État (PGE), mais nous n'avons pas accès à tous les dispositifs qui existent en métropole. Les mesures de relance doivent être financées par le prêt accordé ou par un prêt supplémentaire.
Nous avons réagi assez vivement sur ce sujet, car nous sommes contraints de réaliser cet effort de relance en raison d'une pandémie mondiale. Nos économies, lesquelles reposent sur le tourisme, sont à l'arrêt total. En Polynésie, nous n'avons pas accès au chômage partiel. Aucune caisse de chômage n'a été mise en place. La Polynésie française finance sur son budget direct des mesures d'amortisseur social.
Je regrette que le plan de relance ne propose pas d'extensions particulières en raison de ces différences statutaires. Je déplore que des enveloppes exceptionnelles et temporaires n'aient pas été dégagées, notamment pour financer la politique structurante du logement, car elle est pourvoyeuse d'emplois.
Le prêt garanti par l'État que nous a octroyé l'Agence française de développement permet à la Polynésie de faire face à ses grands défis. Néanmoins, le plan de relance national concerne principalement les bâtiments de l'État, qui représentent peu au regard des enjeux touristiques.
Je souhaite construire un rapport des outre-mer à la République qui n'est pas systématiquement juridico-comptable, car nous sommes tous citoyens français.
Vos préoccupations sont souvent partagées par l'ensemble de vos collègues.
Monsieur le Ministre, nous sommes intéressés par les compléments que vous jugerez utile d'apporter à votre présentation et nous vous remercions des éléments que vous nous avez communiqués.
Je loue la manière dont vous avez construit le processus d'élaboration de cette politique publique de l'habitat « 2021-2030 » qui m'intéresse à titre personnel, car nous réfléchissions au même sujet sur le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon. Je rejoins mon collègue M. Teva Rohfritsch lorsqu'il évoque des passerelles en matière de méthodologie de travail et de déploiement sur les territoires des politiques d'aménagement et d'habitat.
Les tables rondes organisées par la délégation attiseront probablement la curiosité de certains territoires au sujet des processus et idées que vous avez mis en application.
Monsieur le Ministre, je vous remercie vivement et vous propose de conclure.
Je vous remercie de m'avoir permis de contribuer à cette réflexion fort utile pour nos populations et nos collectivités.
Nous avons réfléchi à l'ensemble des problématiques relatives à notre développement économique et social et à la reconnaissance de nos particularités, de notre culture et de nos langues. Nous avons compris que notre législation ne nous permet plus de mener une politique de la main tendue.
En revanche, l'accompagnement de l'État demeure important. C'est pourquoi nous veillons à répondre aux exigences de nos populations et aux enjeux actuels le temps que ces politiques publiques se mettent en place.
Nous démontrons notre volonté de résoudre nos problématiques de vascularité et de développement dans une région très éloignée de France en sollicitant également l'accompagnement de l'État.
Il s'avère nécessaire que l'État affirme sa présence dans nos collectivités, notamment en Polynésie dont l'espace maritime pourrait servir la France dans ses projets futurs. Nous pourrions construire un partenariat.
Mes collègues et moi-même vous remercions, car nous sommes très heureux d'avoir participé à votre réflexion.