Je remercie M. Jean-Christophe Bouissou pour son exposé complet de la situation.
Je rappelle que la Polynésie française se caractérise par une surface équivalente à celle de l'Europe, répartie en 78 îles et abritant 277 000 habitants - dont 80 % vivent sur l'île de Tahiti - et un vaste espace maritime.
Ses défis sont donc immenses en matière d'aménagement, d'équipement du territoire, de transports, de continuité territoriale interne, de développement économique, mais aussi en matière de logement.
Parallèlement, ses moyens sont restreints. L'Office public de l'habitat agit dans tous les champs d'intervention qui touchent au logement : la lutte contre le logement indigne, le développement du parc locatif social, la viabilisation de parcelles en vue de la location-vente, l'accession directe à l'habitat et la création de cités de transit.
De nombreuses mesures ont été initiées ces dernières années sous l'impulsion de Jean-Christophe Bouissou et du gouvernement d'Édouard Fritch. Néanmoins, trois éléments saillants subsistent.
L'enjeu foncier d'abord. Nous vivons sur des bandes côtières réduites, en particulier sur nos îles hautes. Aux îles Tuamotu, le point culminant s'élève à deux mètres au-dessus du niveau de la mer. L'acquisition de nouveaux espaces destinés à l'aménagement en vue du logement s'envisage donc sur les terres de montagne. Cependant, la constitution de réserves foncières se heurte aux problématiques d'indivision soulevées par Jean-Christophe Bouissou.
Par ailleurs, l'introduction tardive du Code civil en Polynésie engendre des difficultés d'interprétation, d'intégration des pratiques culturelles précédentes - notamment des « tomites » - et de gestion spatiotemporelle communautaire.
Le pays a institué, au fur et à mesure de ses évolutions statutaires, « les terres présumées domaniales » dont les propriétaires ne sont pas systématiquement recensés et peuvent encore faire valoir leurs droits au moyen d'actes particulièrement anciens.
L'enjeu de réserve foncière est immanent, car il n'est pas possible de construire sans foncier. Il est d'autant plus criant que les disponibilités sont réduites et que les problèmes d'indivision et de clarification du foncier subsistent.
Cet enjeu est également financier, car les demandes d'usage se concentrent sur du foncier rare. L'opérateur public unique est donc confronté à des coûts d'acquisition importants.
L'aménagement ensuite. Ces trois dernières années, Jean-Christophe Bouissou et le gouvernement polynésien ont déployé de nombreux partenariats techniques avec les agences d'urbanisme en métropole et des opérateurs pour disposer d'outils.
Le partenariat national avec la métropole est précieux. Nous gagnerions à encourager le développement des partenariats entre nos régions insulaires, car d'autres territoires ultramarins ont également développé de bonnes pratiques.
L'ensemblier qu'évoquait M. Jean-Christophe Bouissou apparaît stratégique dans ce contexte. La Nouvelle-Calédonie a développé des savoir-faire en matière d'aménagement du foncier, sur lesquels il semble opportun de capitaliser.
L'enjeu financier, enfin. Le pays est autonome et a sa propre fiscalité. L'insuffisance de moyens d'intervention divers a conduit le pays à financer le budget d'investissement. Cent millions d'euros annuels y sont ainsi consacrés depuis quelques années.
Le pays n'a jamais dégagé autant de moyens en faveur du logement, car les besoins sont criants et nous ne disposons pas d'opérateurs nationaux qui nous permettent d'asseoir financièrement la stratégie développée selon un schéma d'aménagement général et des PRU.
Il apparaît primordial que la Caisse des dépôts et consignations puisse soutenir l'opérateur sur une longue durée afin que le logement ne soit pas financé uniquement par le budget d'investissement de la collectivité.
Le contrat de développement et de transformation, qui fait suite au contrat de projet, introduit une quote-part prise en charge par l'État. La fiche technique de ce contrat, validé récemment par l'Assemblée de Polynésie française, semble complète et synthétique dans sa partie traitant de la politique de logement. Elle apporte notamment des éléments nécessaires à la bonne compréhension des enjeux actuels sur lesquels nous pourrions insister dans notre rapport.
Par ailleurs, le sujet plus général du rapport à l'autonomie mérite d'être étudié. Le droit à la différenciation est évoqué par beaucoup de nos collectivités territoriales. Il a du sens dans les territoires d'outre-mer en raison de leur éloignement, de leurs caractéristiques géographiques distinctes, de leur histoire et de leur culture.
Les Polynésiens ont obtenu ce droit à la différenciation au travers d'un statut d'autonomie. Ce droit ne saurait néanmoins évoluer vers une déresponsabilisation.
Il me semble en effet que la lutte contre l'habitat indigne mérite d'être davantage soutenue par le budget de l'État, même si le principe de subsidiarité prévoit que les Polynésiens assument le maximum de responsabilités. L'État doit intervenir aux côtés de ces citoyens français qui ont actuellement un besoin criant de logement.
Au-delà des emprunts à solliciter auprès de la Caisse des dépôts et consignations dans le cadre de la mission outre-mer du projet de loi de finances et malgré l'autonomie institutionnelle de la Polynésie, nous pourrions consacrer davantage de moyens pour aider directement au rétablissement de la dignité par le logement de citoyens français.
Je souhaite enfin souligner l'enjeu technique de la création de cet habitat. L'habitat collectif apparaît relativement peu développé, car le Polynésien est particulièrement attaché à sa terre.
La politique du gouvernement, qui consiste à permettre aux familles de conserver un lien ancestral avec le foncier - posséder une maison, cultiver sa terre, est coûteuse et contrainte.
La Polynésie française a développé des fare (maisons sur pilotis sur terre) aux normes anticycloniques qui ont résisté à de nombreux vents forts. Elle fait figure de modèle en matière de construction, car elle a envoyé des kits chez ses voisins du Pacifique lorsqu'ils ont subi des épisodes cycloniques.
L'État pourrait notamment soutenir la construction et le déploiement dans la région Pacifique de ces kits simples à monter et contribuerait ainsi au rayonnement d'un savoir-faire polynésien et français dans les îles du Pacifique et encouragerait ainsi les entrepreneurs locaux.
Nous faisons notre maximum pour atteindre les objectifs visant à faire vivre dignement nos familles. Je remercie la Délégation sénatoriale aux outre-mer de s'intéresser aussi au logement en Polynésie française, et de ne pas considérer la barrière statutaire comme un obstacle.