Intervention de Julien Denormandie

Réunion du 13 avril 2021 à 14h30
La loi égalim ou comment sortir de l'impasse dans laquelle ce texte a plongé l'agriculture — Débat organisé à la demande du groupe les républicains

Julien Denormandie :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, M. Gremillet a raison de vouloir faire de l’agriculture un véritable combat. Je le partage, d’autant qu’elle a un triple défi à relever.

Le défi de la souveraineté, tout d’abord : il n’est pas possible d’avoir un pays fort sans une agriculture forte, comme il n’est pas possible d’avoir une agriculture sans agriculteurs. Or, aujourd’hui, nos agriculteurs vivent beaucoup trop par passion et pas assez de leur rémunération. Le souci de la rémunération de celles et de ceux qui nourrissent le peuple de France ne doit jamais être abandonné.

Le défi de la guerre des prix, ensuite : nous y sommes confrontés depuis des années. Or elle est tout simplement antinomique avec l’ADN de notre agriculture, tournée vers la qualité. Ce qui fait la singularité du modèle agricole français, dans la grande culture comme dans l’élevage, ce sont des standards souvent beaucoup plus élevés qu’ailleurs dans le monde. Il faut toutefois avoir le courage politique de dire que l’alimentation française doit être rémunérée à sa juste valeur, sans quoi ce modèle ne sera plus viable. Très souvent, par facilité, on a oublié de le préciser, laissant croire que le pouvoir d’achat des Français pouvait être financé sur le dos des agriculteurs. C’est une erreur politique qu’il faut avoir le courage de corriger.

Le défi de la création de valeur, enfin : c’était le sens du discours du Président de la République à Rungis et l’objet premier des États généraux de l’alimentation (EGA), puis de la loi Égalim.

Cette loi a introduit certains dispositifs, notamment la marche en avant, c’est-à-dire la nécessité pour l’industriel de négocier d’abord avec l’agriculteur avant de discuter avec la grande distribution. Ce nouvel état d’esprit était nécessaire, mais, très clairement, il n’est pas suffisant.

Cette loi a également renforcé les organisations de producteurs : vous avez souligné qu’il s’agissait d’un point essentiel, monsieur le sénateur Gremillet.

Cette loi a aussi tenté de mieux répartir la création de valeur, avec ce fameux seuil de revente à perte qui a fait tant de bruit, notamment sur les travées du Sénat.

Enfin, cette loi a essayé d’ouvrir des débouchés, notamment en imposant 50 % de produits de qualité dans la restauration hors domicile publique. Le projet de loi Climat prévoit d’étendre ces obligations de qualité à la restauration hors domicile privée, ce qui me semble très important.

Trois ans après le vote de cette loi, où en est-on ? De l’avis unanime, elle a permis d’insuffler un nouvel état d’esprit. Sans elle, la guerre des prix et la déflation auraient sans doute été encore plus fortes cette année – je ne dis pas pour autant qu’elles n’existent plus. Contrairement aux craintes de certains, elle n’a pas non plus conduit à une flambée des prix pour le consommateur. Souvenez-vous des débats de l’époque, mesdames, messieurs les sénateurs.

Cette loi a également permis des évolutions positives, notamment pendant les deux premières années, dès lors qu’il y avait des organisations structurées et des mécanismes de contractualisation. Cela doit permettre d’orienter nos futures décisions.

Enfin, la loi a permis des avancées pour la restauration hors domicile, même si on est encore loin du fameux 50 % qui doit s’appliquer à partir du 1er janvier 2022. La dernière enquête que nous avons menée début 2020 montrait que nous étions à peu près à 15 %. Le chemin à parcourir est donc encore long, mais, ensemble, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons tracé une voie.

Cela étant dit, le compte n’y est pas – je ne peux pas être plus clair. Des difficultés importantes subsistent, et nous devons corriger certaines limites de la loi.

S’agissant de la marche en avant pour déterminer le prix, la loi Égalim a fourni la méthode, mais pas suffisamment les outils. C’est pourquoi le jeu de dupes que nous connaissions perdure. Par exemple, lorsque le prix des matières premières agricoles augmente, comme c’est le cas cette année notamment des céréales destinées aux élevages de volailles, l’éleveur se tourne vers la grande distribution pour lui demander d’augmenter le prix d’achat. Le distributeur lui répond qu’il a proposé à l’industriel d’acheter plus cher, mais, comme il n’était pas sûr que l’industriel rétrocéderait sa marge à l’éleveur, il ne l’a pas fait. Ce dernier se tourne alors vers l’industriel, qui lui dit : j’ai demandé à la grande distribution d’augmenter son prix, mais elle n’a pas voulu… Nous devons absolument sortir de ce jeu de dupes qui se fait sur le dos de l’agriculteur. C’est l’objet des recommandations du rapport de Serge Papin.

On constate également qu’il y a encore trop peu de contractualisation. Pour sortir de ce jeu de dupes, il faudrait beaucoup plus de transparence. Or ce n’est pas encore le cas aujourd’hui, malgré un certain nombre d’initiatives.

On constate aussi encore trop souvent des prix affichés incompréhensibles, notamment dans le cadre de promotions de déstockage. En faisant croire qu’il est possible d’acheter du rôti de bœuf à 9 euros le kilo ou des parties nobles de porc à 2, 46 euros, on envoie des signaux extrêmement négatifs au monde de l’élevage et aux consommateurs. Il faut absolument corriger cela ! Comment faire ?

D’abord – vous m’avez toujours entendu le dire –, il faut entrer dans un rapport de force. C’est ce que ma collègue de Bercy et moi-même avons fait lors des dernières négociations commerciales. En six semaines, nous avons diligenté l’équivalent de six mois de contrôles. Une relation commerciale, c’est un rapport de force. L’État doit prendre sa part et être aux côtés du plus faible.

Ensuite, il faut suivre les recommandations de Serge Papin et des différents parlementaires qui ont longuement travaillé sur ce sujet. J’ai lu avec grande attention votre proposition de loi, monsieur le sénateur, ainsi que les travaux de l’Assemblée nationale.

Quatre points me semblent essentiels, sur lesquels je reviendrai lors du débat interactif.

Premièrement, si l’on veut sortir de la guerre des prix, la marche en avant doit passer par beaucoup plus de contractualisation, notamment pluriannuelle.

Deuxièmement, nous devons évoluer vers un système de transparence des marges, en nous inspirant des exemples qui fonctionnent.

Troisièmement, si les dispositions de la loi Égalim sur la médiation ne sont pas totalement satisfaisantes, c’est parce qu’aucune fin n’est prévue pour celle-ci. Or la partie la plus faible dans la relation contractuelle n’ose pas y mettre un terme par peur des représailles. Il faut renforcer les pouvoirs de la médiation.

Enfin, quatrièmement, sur la négociabilité des prix, n’oublions pas que les relations agroalimentaires sont des relations à trois. Une fois que l’agriculteur a négocié avec l’industriel, dans quelle mesure les prix doivent-ils être figés tout au long de la relation contractuelle ?

Les sujets sont donc sur la table, et je vous assure de mon engagement pour trouver des solutions, car il y va de la souveraineté de notre pays !

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