Je pense aussi à la pluriannualité des contrats, qui est sans doute un moyen de dédramatiser le jeu de rôle des négociations, tout en permettant aux acteurs concernés de faire autre chose que de négocier chaque année et d’avoir de la visibilité pour investir. Ainsi les commerçants pourront-ils faire leur métier de commerçants, au lieu d’exercer comme aujourd’hui, contraints et forcés, le métier de juriste spécialiste des contrats.
J’attire toutefois votre attention sur le débat relatif à la suppression de la date butoir : il ne faudrait pas qu’en supprimant une digue, on en vienne à redonner du pouvoir à l’aval…
Nous sommes également intéressés par l’idée d’un arbitrage en cas de désaccord sur le contrat après une médiation. Cette idée a été trop vite écartée lors des débats de 2018 ; il convient d’y revenir.
Mais, à côté de cet intérêt, vos propositions suscitent aussi un certain scepticisme.
Cette loi pourrait donner l’illusion de régler les problèmes de l’agriculture en garantissant une couverture illusoire des coûts de production et du déficit des revenus, et en ne traitant que la partie relative aux négociations avec la grande distribution.
Cette correction inspire du scepticisme parce qu’elle pourrait nous faire passer à côté d’autres problèmes majeurs, que vous avez d’ailleurs vous-même évoqués : les enjeux relatifs à la compétitivité de notre agriculture, complètement oubliés ; ceux de la PAC, qui sont dix fois plus importants que ceux de la loi Égalim ; les clauses miroirs, dont vous avez parlé ; l’assurance, avec le débat ô combien actuel sur les calamités, qui reste à trancher ; les règles du marché alimentaire mondial.
Que dire, en outre, des contraintes désormais trop lourdes, des charges administratives et fiscales supplémentaires, de la surtransposition et de la situation de concurrence déloyale au sein même des pays membres de l’Union européenne ?
Nous sommes également sceptiques par rapport à certaines propositions du rapport. Tout doit être fait pour éviter de prendre les industriels en étau et pour concentrer la négociation sur ce qui fait sa spécificité : son innovation, son processus industriel, son marketing de marque, sa valeur ajoutée.
Le risque est tout simplement que les industriels innovants ne soient plus que des transformateurs exécutants, ce qui aboutirait in fine à un recul des marques nationales, lesquelles font pourtant la fierté de nos terroirs et sont le fleuron de nos innovations agroalimentaires, garantes d’une rémunération plus élevée de nos producteurs. Ne l’oublions pas, près de 98 % des industries ou des coopératives de l’agroalimentaire sont des PME et des TPE.
Aussi, monsieur le ministre, nous attendons ce débat avec gourmandise. Nous serons au rendez-vous avec des propositions et des contre-propositions qui permettront de faire sortir notre agriculture par le haut.
Je suis certaine que le travail formidable engagé par le groupe de suivi de la loi Égalim, derrière Daniel Gremillet et Anne-Catherine Loisier – je pense aussi à notre ancien collègue Michel Raison –, vous inspirera. Connaissant leur liberté d’action, leur expérience et la tonalité de leurs propos, je suis sûre qu’ils ont beaucoup de choses à vous proposer. Quant à notre institution sénatoriale, il est bien connu qu’elle sait prendre du recul.