Intervention de Claire Landais

Délégation aux Collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 25 mars 2021 à 9h35
Audition de Mme Claire Landais secrétaire générale du gouvernement

Claire Landais, Secrétaire générale du Gouvernement :

Je partage votre préoccupation de contenir l'inflation normative, dont l'effet mécanique d'inertie risque effectivement de bloquer l'action publique. Même si la réduction du nombre de normes représente un effort énorme pour un résultat souvent décevant, le simple fait de limiter l'augmentation est profitable.

La crise sanitaire met en lumière des signes inquiétants d'inflation normative, car elle a été une source de règles nouvelles : 7 projets de loi, 130 ordonnances, un décret du 29 octobre 2020 qui fait suite à celui du 16 mars 2020 et à ceux qui l'ont complété. Les événements de ce week-end autour de l'attestation de déplacement illustrent ces difficultés. L'effet « boule de neige » de notre réglementation s'explique par notre tradition juridique où l'on définit une norme pour toute obligation nouvelle : toute prescription est écrite, surtout quand elle est assortie d'une sanction. Il y a aussi des effets de catégorisation : dès lors qu'on assortit l'interdiction de dispositifs d'accompagnement, la demande sectorielle est très forte de faire d'entrer dans le giron de l'aide. Enfin, l'inflation normative est très liée au besoin de protection contre la mise en cause de la responsabilité, pénale et administrative en général. Tout le monde veut être couvert, même ceux qui réclament plus de liberté et de souplesse, c'est un paradoxe - mais plus on établit des obligations de sécurité, plus il y a de sanctions en cas de manquement, ce qui donne l'impression que la machine normative s'emballe.

Je constate aussi que la crise sanitaire rappelle aux agents publics que quand on priorise l'action publique, avec un objectif précis, des freins disparaissent et ce qui était impossible hier, devient possible : les agents publics découvrent, dans la crise, que la transformation et l'accélération sont possibles. Ce côté des choses est un peu caché par l'impression d'un emballement normatif, mais il y a des points positifs dans la simplification des chaînes hiérarchiques, la transversalité entre administrations, la mobilisation administrative dans des géométries nouvelles. En réalité, on s'est souvenu que des circonstances exceptionnelles permettent de s'extraire du droit de paix ; nous avons eu raison de faire ainsi primer l'action et je crois que nous n'y avons pas pris de risque juridique, car le juge administratif comprend et accepte la notion de circonstances exceptionnelles. Je crois qu'il en restera quelque chose, nous y avons travaillé sur les ordonnances pour les faire entrer dans le droit plus pérenne et dans la pratique.

Les mots d'ordre du Président de la République et du Premier ministre, liés au grand débat et à la crise des « gilets jaunes », contiennent une vision fructueuse pour la simplification, avec un rapport renouvelé au terrain. On revalorise les acteurs de terrain, la territorialisation ; l'objectif est de réarmer les territoires, d'y affecter davantage d'agents publics, et de laisser plus de marges de manoeuvre aux acteurs de terrain dans la conduite des politiques publiques, en particulier avec la déconcentration des ressources humaines, la déconcentration budgétaire : ce sont autant de sources d'inspiration pour la simplification à travers la pratique managériale elle-même. Le pilotage par le résultat est également une voie fructueuse : l'idée est bien que la simplification ne procède pas par un grand plan venu d'en haut, depuis l'administration centrale, mais qu'elle part de l'expérience des usagers et des agents publics sur le terrain - c'est aussi l'objectif de l'engagement n° 7 du comité interministériel de la transformation publique (CITP).

Cette nouvelle vision ne signifie pas qu'on abandonnerait les outils ayant fait leurs preuves. Le SGG procède à un travail structurel, au quotidien, pour rendre les normes plus intelligibles et plus simples - sans beaucoup de moyens et en étant à notre place, un peu en bout de chaîne, l'impulsion venant du politique, et d'abord des ministres qui ont naturellement tendance à vouloir laisser leur marque sur les réformes. Je sais que les juristes ont bien des défauts, mais ils ont aussi la qualité de vouloir des textes clairs et ils ne sont en réalité pas les premiers responsables de l'inflation normative. Aussi, le SGG cherche à conforter les directions juridiques des ministères pour que les textes qui en émanent prennent bien en compte le droit existant et que les normes nouvelles soient nécessaires et intelligibles.

Parmi les outils que nous utilisons pour la simplification, il y a le « deux pour un », que vous avez cité. Marc Guillaume y tenait beaucoup, l'utilité de cet outil se confirme : il réduit le flux des décrets pris isolément. Son application ne concerne pas toute l'action publique, y échappent en particulier les décrets que le Gouvernement est obligé de prendre, ou encore les domaines comme la procédure pénale et l'organisation de l'administration centrale ; mais pour les collectivités territoriales, l'application de cet outil représente une économie évaluée à 75 millions d'euros depuis le 1er septembre 2017. Dans la pratique, le SGG a pour mission de bloquer tout décret qui n'est pas accompagné de la suppression ou de la simplification de deux autres normes, cela donne lieu à une véritable négociation.

Pour avoir vécu une telle négociation lorsque j'étais secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale (SGSDN), je peux témoigner de l'exigence du SGG sur la qualité de la compensation ; j'ai repris le flambeau que m'a transmis Marc Guillaume : nous analysons sur le fond la compensation proposée et demandons qu'elle soit d'importance équivalente. Il arrive cependant que le cabinet du Premier ministre considère qu'une norme doive échapper à cet outil et la norme nouvelle est alors acceptée sans compensation.

Un autre outil consiste à introduire des indicateurs d'impact dans les études d'impact préalables à la norme, pour aider à son évaluation ex post et donc relier mieux l'intention, l'objectif, et l'effet de la norme.

Enfin, j'insisterai sur la « chasse » que nous avons menée aux circulaires inutiles ou redondantes. Nous avons examiné le corpus des circulaires publiées sur le site www.circulaires.gouv, c'est le stock sur lequel nous avons la main : nous sommes ainsi passés de 30 000 à 10 000 circulaires en vigueur et nous tenons cet étiage. Nous n'en avons pas réduit pour autant notre effort d'expliquer les normes, pour les rendre accessibles, nous avons même multiplié les fiches pratiques, en particulier sur les démarches administratives et sur les droits des usagers - les sites service-public.fr et vie-publique.fr en portent un témoignage très vivant.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion