Intervention de Vanina Paoli-Gagin

Réunion du 15 avril 2021 à 10h30
Orientation de l'épargne des français vers des fonds souverains régionaux — Discussion et retrait d'une proposition de loi

Photo de Vanina Paoli-GaginVanina Paoli-Gagin :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le 30 juillet 1953, le Congrès des États-Unis adoptait le Small Business Act. Il s’agissait, pour l’administration Eisenhower nouvellement installée, d’affirmer une priorité politique forte : placer les petites et moyennes entreprises au cœur du modèle de développement économique et social. Cette initiative a surtout fait de la commande publique un levier d’action stratégique, au service de la souveraineté nationale.

Depuis, les États-Unis n’ont raté aucun virage technologique. Et pour cause : la loi-cadre de 1953 a déployé ses pleins effets sur le temps long. Encore aujourd’hui, l’avance américaine repose pour une large part sur la robustesse de son tissu de PME et d’ETI. Idem en Allemagne, où l’excellence industrielle tient bien plus aux savoir-faire techniques du Mittelstand qu’aux performances financières des grands groupes.

En France, la politique économique n’a jamais mis ce tissu d’entreprises au cœur de ses préoccupations. C’est pourquoi nous n’avons pas su développer sur le plan industriel, grâce à un financement à la juste hauteur, toutes les innovations que notre recherche fondamentale a su révéler sur le plan scientifique. Là se trouvent, me semble-t-il, nombre des raisons de notre décrochage. La crise sanitaire aura au moins eu le mérite de remiser – espérons-le ! – quelques idées fausses qui avaient la vie dure. Je pense ici à la lubie de la « France sans usines », répétée ad nauseam au cours des dernières décennies, une petite musique qui nous intimait que le pays serait plus fort dans la mondialisation s’il se privait de son appareil de production.

Que de temps perdu, que d’innovations manquées, que de virages technologiques ratés à cause de cette doxa ! Nos difficultés à produire des masques, puis notre incapacité à élaborer un vaccin nous ont définitivement convaincus du contraire. C’est heureux, d’une certaine manière, mais ce n’est pas suffisant.

La nécessité de réindustrialiser notre pays fait désormais consensus. Il y va de notre souveraineté nationale, et le Gouvernement a bien pris la mesure de ces enjeux.

Une part importante du plan de relance concourt d’ailleurs à cet objectif, avec notamment la baisse des impôts de production, à hauteur de 10 milliards d’euros par an. Le plan de sauvetage de l’économie, mis en œuvre en début de crise, visait déjà la préservation de notre tissu d’entreprises.

Le groupe Les Indépendants a soutenu cette approche. Sans entreprises, point de reprise ; c’était donc la bonne chose à faire. Mais, ce faisant, nous avons créé un paradoxe économique sans précédent, lequel, avec un peu de recul, apparaît flagrant.

D’une part, nos finances publiques n’ont jamais été aussi dégradées qu’en 2020, avec à la fois une augmentation massive des dépenses et une diminution massive des recettes. Résultat : une hausse spectaculaire de notre endettement public de 20 points de PIB en un an à peine.

D’autre part, l’épargne privée aura bondi de 200 milliards d’euros d’ici à la fin 2021. En cause : la conjonction des mesures de restrictions sanitaires et de soutien à l’économie, les premières ayant pesé sur la consommation des Français, les secondes ayant préservé leurs revenus.

Autrement dit, jamais la dette publique n’a été si élevée ; jamais l’épargne privée n’a été si élevée. Face à ce paradoxe historique, nous devons éviter de percuter deux écueils.

Le premier, c’est de faire nôtre la maxime d’Henri Queuille : « Il n’est pas de problème qu’une absence de solution ne finisse par résoudre… » De nombreuses raisons pourraient en effet nous inciter à ne rien faire : craindre que le risque de l’action ne soit finalement supérieur à celui de l’inaction ; continuer à croire que les acteurs déjà en place font très bien leur travail, et qu’il serait malvenu de remettre en question l’équilibre des choses ; espérer enfin que « la vie d’avant » finira par reprendre son cours, et que tout continuera d’aller pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Le second écueil, c’est de croire que toutes les solutions aux problèmes seront incubées au 139, rue de Bercy à Paris. Nous voulons tous, au Sénat, que nos politiques économiques soient conçues à destination, mais aussi à partir de nos territoires.

Mes chers collègues, j’ai cru utile d’en passer par cette longue introduction pour vous parler plus précisément de la proposition de loi que je soumets à votre examen.

Ce texte n’est pas un texte de circonstances. Il est le fruit d’une longue réflexion personnelle, nourrie d’expériences professionnelles en France, aux États-Unis et en Asie, et surtout d’échanges avec les vrais faiseurs du terrain. La crise actuelle nous oblige à repenser de façon plus holistique notre avenir économique. Face au défi climatique, les besoins d’investissement sont massifs pour accélérer la transition écologique, et le temps presse.

Car l’inaction climatique coûte plus cher que la prise de mesures fortes, comme l’ont encore récemment confirmé, dans une étude parue à la fin du mois de mars, 738 économistes de l’Institute for Policy Integrity de l’université de New York. Il nous faut redoubler d’efforts.

Je vous propose donc de mobiliser l’épargne des Français vers des fonds souverains régionaux, afin de stimuler à la fois la relance économique et la transition écologique, en mode décentralisé. Le dispositif comporte deux volets : d’une part, des ressources ; d’autre part, des dépenses.

Côté ressources, je vous propose d’instaurer un nouveau produit d’épargne réglementée, sur le modèle du livret A. Ce « livret de développement des territoires » doit permettre à tous les Français qui le peuvent et qui le souhaitent de savoir que leur argent contribue à financer la réindustrialisation en stimulant les écosystèmes locaux et les emplois y afférents.

Côté dépenses, je propose que ces fonds souverains constituent de nouvelles ressources d’investissement à la disposition de chaque région qui en ferait la demande, sur son territoire.

Le mécanisme s’appuie donc sur des savoir-faire existants : d’une part, la collecte de l’épargne par le réseau bancaire, qui pourra proposer un nouveau produit, déplafonné, et dont la rémunération dépendra de celle du livret A ; d’autre part, des élus locaux qui utiliseront la commande publique pour stimuler des écosystèmes d’innovation, faire émerger et consolider des « verticales industrielles », en développant des projets d’infrastructures et en déployant des solutions de transition écologique.

Mais cette solution se fonde surtout sur une vision dynamique de la dépense publique, qui stimule le cercle vertueux croissance-emploi. Cette vision s’oppose à une lecture trop comptable, qui ne perçoit l’investissement que comme une dépense.

Les débats en commission ont soulevé d’importantes questions techniques. Elles sont intéressantes et nous allons pouvoir en débattre aujourd’hui.

J’en profite pour remercier M. le rapporteur pour le temps qu’il a bien voulu consacrer à l’étude de ce texte. Je regrette simplement qu’il n’ait pas fait de propositions, arguant tantôt de vices de conception technique, tantôt du si fameux article 40 de la Constitution. En tout état de cause, si j’ai compris ce que vous ne vouliez pas, monsieur le rapporteur, je n’ai toujours pas compris ce que vous vouliez !

Mon collègue Emmanuel Capus vous présentera tout à l’heure plusieurs amendements qui devraient répondre à certaines de vos légitimes craintes en sécurisant le dispositif et en étendant son champ d’application.

Je reviendrai simplement sur le principal argument que vous avez opposé au mécanisme proposé, à savoir son présumé manque d’intérêt pour les collectivités. Les régions qui recourraient au dispositif pourraient emprunter à un taux garanti dans la limite du double du taux du livret A.

Dans le contexte actuel de taux bas, le Gouvernement a fait le choix de fixer le taux du livret A au-dessus du marché, à 0, 5 %. Dans le dispositif que je vous propose, les régions pourraient donc emprunter à des taux inférieurs à 1 %.

Or, nous dit-on, les régions se sont financées en 2020, pour leurs crédits à long terme, à un taux moyen de 0, 58 % sur les marchés, et les collectivités locales dans leur ensemble à 0, 56 %. Nous n’aurions donc nul besoin de solutions alternatives dans le contexte actuel, surtout pas à des taux garantis.

Mais souvent les taux varient, et « bien fol est qui s’y fie »… Selon votre propre source, monsieur le rapporteur – l’Observatoire de la dette des collectivités locales –, les taux étaient en 2018 de 1, 10 % et en 2014 de 2, 40 %. Le programme de stabilité, présenté hier par le ministre Olivier Dussopt, laisse entendre que Bercy envisage peut-être une remontée des taux.

En outre, la question n’est pas tant de savoir si les régions ont accès, pour financer leurs dépenses courantes, à de l’argent pas cher que de déterminer si, pour des projets innovants d’infrastructures, les acteurs institutionnels en présence proposent des financements abordables, de la dette à taux raisonnable pour rendre économiquement viables des projets gourmands en capitaux – je pense, par exemple, aux infrastructures de transport à l’hydrogène vert. C’est là que le bât blesse, pour les dépenses massives et/ou risquées qui préparent pourtant l’avenir de notre pays.

Je veux être claire : cette proposition de loi ne vise pas à apporter une solution conjoncturelle à un problème conjoncturel ; elle vise précisément à garantir aux collectivités une solution structurelle de financement. Je crois cet outil utile, notamment dans l’hypothèse d’une remontée des taux, dont nous voyons déjà les prémices sur les marchés.

John Fitzgerald Kennedy, le successeur à la Maison-Blanche d’Eisenhower, disait que « le meilleur temps pour réparer sa toiture, c’est lorsque le soleil brille ». Vous conviendrez avec moi, mes chers collègues, qu’il vaut mieux travailler à des solutions de financement lorsque les taux sont bas, plutôt que lorsqu’ils sont hauts.

C’est pourquoi je vous invite à adopter cette proposition de loi. Le Sénat aurait tort de la repousser au motif qu’elle ne fonctionnera pas, sans proposer d’alternative.

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