Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en préambule, je dois dire que je ne goûte guère les propos de Mme Paoli-Gagin.
En tant que rapporteur, mon rôle n’est pas de partir d’une page blanche et de vous livrer ma vision d’hypothétiques fonds souverains régionaux, d’autant que les articles 40 et 45 de la Constitution sont très contraignants. Si vous avez à cet instant des regrets quant à votre texte, ma chère collègue, je vous invite de nouveau à le repenser et à nous en présenter une nouvelle version.
Cela étant dit, la proposition de loi soumise à notre examen prend appui sur deux constats partagés.
Le premier constat tient à la forte croissance de l’épargne des Français sous l’effet des mesures de confinement. Rien que pour 2020, la Banque de France estime le surcroît d’épargne à 110 milliards d’euros, dont plus de 42 milliards sont venus gonfler l’encours du livret A et du livret de développement durable et solidaire.
Le second constat concerne le besoin de notre pays – État, collectivités locales et entreprises – d’investir massivement pour faire face aux enjeux du monde à venir.
À mon sens, nous devons toutefois garder en tête deux éléments.
D’une part, ce surplus d’épargne n’a pas vocation à être sanctuarisé : il faut souhaiter que la consommation reparte et que la relance soit au rendez-vous. Nous devrions donc constater une décollecte de cette épargne en sortie de crise.
D’autre part, les ressources collectées sur les livrets d’épargne réglementés ne « dorment » pas, mais sont déjà mobilisées pour soutenir des politiques publiques essentielles. Le livret A, comme vous le savez, permet de financer le logement social et d’accompagner le financement des investissements publics locaux.
À la lecture de son titre, cette proposition de loi m’a semblé une initiative intéressante à deux points de vue.
D’abord, l’objectif de permettre aux Français de donner du sens à leur épargne correspond à une aspiration forte de nos concitoyens, comme en témoigne le développement de nombreux labels d’investissement responsable.
Ensuite, le soutien aux fonds propres des entreprises constitue le principal cheval de bataille pour les accompagner dans la sortie de crise. Nous serons d’accord sur ce point : pour les PME en particulier, un appui au niveau régional est un élément de réponse utile, et je salue à cet égard les initiatives d’ores et déjà prises par plusieurs régions en ce sens, car des dispositifs existent déjà et sont utilisés par nos régions.
L’analyse du dispositif proposé a néanmoins sensiblement modifié mon appréciation initiale : le fonds souverain régional envisagé s’apparente, en réalité, à un simple mécanisme d’emprunt bancaire ouvert aux régions, tandis que la lisibilité de l’utilisation de l’épargne n’est pas plus évidente que pour l’actuel livret A.
Cette épargne serait collectée par le réseau bancaire, puis redistribuée sous forme de prêts, non pas en fonction des montants déposés sur ces livrets dans chacune de nos régions, mais en fonction d’une clé de répartition définie à partir du potentiel financier de chaque région.
Le dispositif s’articule autour de deux axes : la création d’un nouveau livret d’épargne réglementée en constitue la « partie haute » ; l’utilisation des encours collectés par les régions en forme la « partie basse ».
Sur la « partie haute », l’article 1er crée le « livret de développement des territoires », dont les caractéristiques reprennent en partie celles du livret A : une liquidité permanente pour les épargnants, une exonération fiscale et sociale des intérêts perçus et un fléchage de la ressource.
Cependant, deux différences significatives doivent être signalées : la rémunération est majorée au bout de cinq ans, tandis que la garantie de l’État n’est pas prévue. Il en résulte une majoration sensible du coût de la ressource, problématique lorsqu’il sera question d’envisager son utilisation.
Ensuite, 90 % des encours collectés devraient être prêtés aux régions volontaires, en fonction d’une clé de répartition fondée sur leur potentiel financier.
Le mécanisme appelle de ma part deux observations.
La première concerne son coût pour les finances publiques, qualifié de « prohibitif » par le Gouvernement. Deux effets se conjuguent : une exonération ponctuelle des retraits opérés en 2022 sur d’autres produits d’épargne pour abonder le nouveau livret et une dépense fiscale majorée en raison du taux bonifié par rapport au livret A. Pour un encours de 80 milliards d’euros, cela représente tout de même une centaine de millions d’euros par an.
La seconde observation concerne le fonctionnement du dispositif, qui n’est pas opérationnel en l’état. La promesse faite à l’épargnant en termes de liquidité permanente et de rémunération n’est guère compatible avec l’emploi imposé de la ressource. En dépit du fléchage de l’encours du livret de développement des territoires (LDT), aucune centralisation des fonds n’est prévue, ce qui aurait permis de mutualiser les risques et d’optimiser l’usage de la ressource, comme c’est le cas pour le livret A.
Malheureusement, les amendements déposés ne sont pas de nature à répondre à ces difficultés structurelles.
Sur la « partie basse », l’article 4 de la proposition de loi crée dans chaque région et collectivité à statut particulier un « fonds souverain régional », pour reprendre la terminologie employée.
Il convient à ce stade de lever une confusion pour assurer la clarté des débats : la proposition de loi n’institue pas, dans les régions, des fonds souverains au sens où on l’entend généralement, c’est-à-dire des structures ad hoc ayant pour objet principal d’investir dans des actifs.
En premier lieu, ces fonds souverains régionaux ne seraient pas dotés de la personnalité morale, ce qui les rendrait indistincts des régions du point de vue juridique et comptable.
En second lieu, plutôt que d’investir dans des actifs, ils auraient surtout pour fonction de financer les dépenses d’équipement des régions lorsque celles-ci sont compatibles avec les objectifs des schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet).
Afin d’alimenter ces fonds, qui ne sont en réalité qu’une nouvelle ligne à leur budget, les régions pourraient mobiliser deux types de financement : d’abord, les ressources versées par les autres collectivités locales qui cofinancent les projets sur lesquels la région intervient ; ensuite, et principalement, une fraction de l’encours du LDT qui serait prêtée par les banques à un taux ne pouvant excéder le double de celui du livret A.
Dans la situation actuelle, le livret A servant un intérêt à 0, 5 %, la banque pourrait prêter aux régions jusqu’à un taux de 1 %. Toutefois, au regard du coût de la collecte et de la garantie en termes de liquidité, il est évident que les prêts servis aujourd’hui atteindraient ce niveau de 1 %.
En résumé, ce ne sont pas des fonds souverains qui sont ici créés, mais bien un nouveau mécanisme d’emprunt bancaire au profit des régions afin de financer leurs dépenses d’équipement. Il n’y a là rien de très nouveau…
Cela étant dit, le dispositif proposé me semble présenter trois difficultés.
Premièrement, il introduirait un nouveau produit d’emprunt bancaire pour les régions alors qu’elles n’en ont pas besoin. L’Association des régions de France (ARF), que j’ai auditionnée, assure que ces collectivités n’ont aucun problème d’accès au crédit.
Deuxièmement, compte tenu des conditions de rémunération du LDT, le taux d’emprunt servi aux régions serait proche de 1 %, alors même qu’elles s’endettent actuellement à 0, 58 % en moyenne. Je note même, pour l’exemple, que la région Île-de-France vient de lever un emprunt obligataire à taux négatif. Quel intérêt aurait-elle à se tourner vers le dispositif proposé ?
En conséquence, l’utilisation de ce dispositif coûterait cher aux régions, et il y a un risque évident qu’elles n’aient pas recours à cette ressource. Pour les banques, le risque serait ainsi de devoir rémunérer ces LDT sans trouver preneur. Comment un tel système pourrait-il fonctionner ?
Troisièmement, la nomenclature comptable ne permet pas actuellement de rendre compte des ressources et des emplois de ces fonds. Or, selon l’auteur de la proposition de loi, l’un des intérêts du LDT pour l’épargnant devrait être, notamment, de pouvoir constater concrètement l’impact de son placement sur le développement régional. Ce ne serait pas possible en l’état.
Si je n’ai pas été convaincu par le dispositif proposé, j’ai toutefois cherché, ma chère collègue, des pistes d’amélioration.
L’une d’elles aurait été, à mon sens, de constituer de véritables fonds souverains régionaux chargés de mobiliser l’encours du LDT localement, en octroyant des prêts ou en prenant des participations au capital des entreprises.
Outre le fait que les règles de recevabilité financière ne le permettaient pas, la faisabilité et l’opportunité d’un tel dispositif font aussi débat.
Concernant la faisabilité, il aurait fallu doter ces fonds souverains de capitaux propres leur permettant d’assumer leurs missions, ce qui coûterait 3 milliards d’euros aux régions.
Concernant l’opportunité, le droit permet déjà aux régions, en partenariat avec le secteur privé et dans le respect du droit de l’Union européenne, de constituer et de doter des fonds d’investissement ou de prendre des participations directes au capital de sociétés commerciales.
J’ai pu échanger avec les principaux acteurs concernés. Chaque fois, le même constat s’est imposé : le dispositif, tel qu’il est imaginé, ne fonctionne malheureusement pas et, surtout, l’objectif visé ne semble pas répondre aujourd’hui à une carence identifiée, notamment en termes d’accès des régions au crédit.
En conséquence, mes chers collègues, je vous propose de rejeter cette proposition de loi.