Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la crise économique et sanitaire que nous traversons dessine incontestablement un paysage inédit, modifiant en profondeur les paramètres de notre économie, au premier rang desquels l’épargne des Français, qui, principalement faute de débouchés de consommation, a fait l’objet d’une importante accumulation depuis le premier confinement.
Cette épargne peut être mise au service de la relance de l’économie. Nous partageons tous ce point de vue, me semble-t-il.
Au cours des derniers mois, le Gouvernement a pu constater la pleine mobilisation des élus locaux et nationaux, désireux d’élaborer des solutions novatrices qui permettraient d’orienter ce supplément d’épargne vers nos entreprises pour leur permettre de rebondir plus facilement. Parallèlement, les budgets de l’État et des collectivités locales sont fortement sollicités et de nombreuses idées se font jour sur le thème d’un grand emprunt national.
Pour autant, la réflexion que nous devons porter sur l’épargne doit être menée au regard du contexte macroéconomique singulier dans lequel nous nous trouvons.
La crise que nous traversons n’est pas une crise financière ni même une crise bancaire : le contexte de taux d’intérêt très bas et d’offres de financement abondantes que nous connaissions avant la crise perdure, notamment grâce à l’action résolue de la Banque centrale européenne.
Je souhaite d’abord rappeler que les collectivités territoriales ont abordé cette crise dans une bien meilleure situation que celle qui prévalait au moment de la crise de 2008 et qu’elles bénéficient d’une offre de financement abondante, diversifiée et exceptionnellement peu onéreuse. Le taux moyen auquel les collectivités empruntent s’élevait ainsi en 2019 à 0, 71 % et a continué à baisser en 2020 pour s’établir à 0, 56 %. Cette tendance semble d’ailleurs se poursuivre sur l’année 2021, d’après les premiers chiffres dont nous disposons.
Dès lors, la très grande majorité des collectivités qui souhaitent, à juste titre, investir pour insuffler un nouveau dynamisme à leur territoire n’ont pas, à ce stade, de difficulté de financement par l’endettement qui les empêcherait d’y parvenir. Les collectivités qui veulent participer à la relance sont donc plus que bienvenues pour développer des projets d’investissement durables, en parallèle de ceux déjà menés par l’État !
Je n’ignore évidemment pas que certaines collectivités ont plus de difficultés que d’autres à se financer. Toutefois, l’épargne du livret A et du livret de développement durable et solidaire (LDDS), centralisée au sein du fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et consignations, dans son rôle de financement des territoires, répond déjà aux carences du marché privé pour financer certains besoins très ciblés. Il s’agit notamment du financement de certains projets de très long terme dans les domaines de la rénovation énergétique et des infrastructures.
Au contraire, le mécanisme que cette proposition de loi instaurerait, si elle était adoptée, mettrait à la disposition des collectivités une ressource bien moins intéressante que celles qui sont aujourd’hui à leur disposition.
En effet, le livret envisagé offre à l’épargnant un support parfaitement liquide et dont le capital et la rémunération sont garantis. Ces caractéristiques font de cette ressource une ressource très chère pour les collectivités et assez peu adaptée à l’investissement productif.
Cette ressource est très chère, car il faut rémunérer l’épargnant, à qui un rendement d’au moins 0, 5 % est promis, mais aussi les réseaux de distribution et le fonctionnement du dispositif. En conséquence, elle devient bien plus chère qu’un prêt bancaire, par exemple, dont on a vu que les taux étaient historiquement bas.
Cette ressource est également peu adaptée à l’investissement productif, par ailleurs, car on ne peut pas financer les fonds propres des entreprises avec une ressource liquide et dont le capital est garanti. Si un fonds prend des parts dans une entreprise et que celle-ci perd de la valeur, il faudra rembourser l’épargnant, et cette dépense devra être assumée par la collectivité sur ses fonds propres.
Il me semble que nous sommes d’accord pour ne pas créer un tel risque pour les collectivités ni alourdir ainsi leurs charges.
C’est vrai, pendant la crise, les Français ont beaucoup épargné. La Banque de France relève que le taux d’épargne des ménages a dépassé 18 % en 2020, alors qu’il se situait plutôt autour de 14 % les années précédentes.
Une part de cette surépargne a vocation à être dépensée lorsque les possibilités de consommation seront pleinement rétablies.
C’est d’ailleurs sans doute pour cette raison que les Français ont privilégié des supports d’épargne liquide tels que les dépôts à vue ou le livret A. Ainsi, les livrets réglementés ont collecté près de trois fois plus de ressources depuis un an que l’année précédente. Toutefois, une part de cette surépargne ne sera pas résorbée par la consommation. La question se pose et se posera donc de savoir comment en orienter l’usage.
À cet égard, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite rectifier l’idée, souvent avancée, mais inexacte, selon laquelle cette épargne serait dormante, et qu’elle ne servirait pas l’économie. Ce n’est pas vrai, d’une part, parce que l’épargne déposée par les Français dans les banques contribue au financement de l’économie, et donc, des collectivités et des entreprises par l’intermédiaire du crédit bancaire et, d’autre part, parce que près de 60 % des livrets A et des LDDS sont centralisés au fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et consignations qui finance déjà nombre de projets d’envergure dans les territoires, tels que le logement social, la politique de la ville et les projets d’investissement des collectivités.
En d’autres termes, le produit d’épargne consacré au financement des projets des territoires que la présente proposition de loi prévoit de créer existe déjà, et en quantité très abondante, puisqu’il s’agit du livret A.
Le Gouvernement partage toutefois votre souhait, qui est juste, d’orienter encore davantage l’épargne des Français vers les territoires. Il s’est mobilisé à cette fin dans le cadre de France Relance. Ainsi, Bruno Le Maire a demandé à la Caisse des dépôts et consignations de faire évoluer les conditions de mobilisation de la ressource du fonds d’épargne afin d’encourager le financement du secteur public local et de la transition écologique.
De plus, le lancement, le 19 octobre 2020, du label Relance a permis d’identifier les fonds d’investissement qui s’engagent à mobiliser rapidement des ressources nouvelles pour soutenir les fonds propres et quasi-fonds propres des entreprises françaises, cotées ou non. Via les supports d’épargne grand public, chaque épargnant peut donc contribuer au soutien de la reprise économique. En contrepartie du label, les fonds labellisés s’astreignent à effectuer un reportage semestriel dans lequel ils identifient la localisation territoriale de leurs investissements dans les PME et entreprises de taille intermédiaire non cotées.
Le premier trimestre d’existence de ce label a été un franc succès puisque, au 1er mars dernier, 147 fonds étaient déjà labellisés, dont une cinquantaine sont accessibles par les fonds d’assurance vie investis en unités de compte, pour un montant total de 13 milliards d’euros d’encours.
Enfin, l’action de l’État, coordonnée avec celle des régions, permettra d’apporter directement des financements en fonds propres aux entreprises. Avec l’appui de la Banque publique d’investissement, l’État abondera à hauteur de 250 millions d’euros des véhicules d’investissement privés, qui, aux côtés des régions, permettront de renforcer le capital des PME. L’abondement de l’État aura un effet de levier sur l’investissement privé, démultipliant l’impact de ces fonds suivant leur stratégie de gestion. Ces fonds privés pourront faire appel à l’épargne privée et être labellisés Relance.
Comme vous pouvez le constater, grâce à France Relance, nous allons plus loin pour affecter efficacement l’épargne des Français au bénéfice du dynamisme économique de nos territoires, ce qui démontre que, si les moyens employés diffèrent, nous partageons – et cela me paraît le plus important – la même ambition.