Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi présentée par Mme Vanina Paoli-Gagin visant à orienter une partie de l’épargne des Français vers des fonds souverains régionaux met en exergue deux constats.
Le premier est que la crise sanitaire que traverse malheureusement notre pays s’est traduite par une hausse historique du taux d’épargne des ménages, liée à la fois à la diminution des possibilités de consommation – c’est ce qu’on appelle parfois l’épargne forcée – et à la montée des incertitudes économiques qui conduit à une épargne de précaution.
La Banque de France estime ainsi à 130 milliards d’euros le surplus d’épargne accumulée par rapport à un scénario sans crise sanitaire. Elle prévoit, d’ici à la fin de 2021, la constitution d’une surépargne de 200 milliards d’euros, soit près de 8 % du PIB. Il s’agit d’une épargne de court terme, déposée sur des comptes courants et les livrets d’épargne réglementée, alors que des supports à échéance plus longue seraient plus adaptés aux besoins de financement de notre pays.
En effet, les fonds propres ou quasi-fonds propres des entreprises constituent le meilleur moyen pour soutenir les entreprises et les accompagner dans la sortie de crise. À cet égard, un appui à l’échelon régional peut constituer un élément de réponse utile, en particulier pour les petites et moyennes entreprises.
Le second constat concerne les besoins de notre pays et la nécessité pour l’État, nos collectivités locales et nos entreprises, d’investir massivement pour faire face aux enjeux du monde à venir.
Je partage donc le souhait de créer un fonds qui puisse coordonner les interventions financières des collectivités publiques situées dans le ressort territorial de la région en lien avec tous les acteurs locaux, en particulier les collectivités territoriales, afin d’assurer le financement des investissements en faveur de la redynamisation et de l’attractivité de nos territoires, de la réindustrialisation au désenclavement des territoires ruraux, de leur adaptation au changement climatique au développement des mobilités, des infrastructures aux usages numériques. Cette liste – vous en conviendrez – n’est en rien exhaustive.
Toutefois, si nous partageons ces constats et ces aspirations au développement des territoires, nous nous interrogeons quant à l’outil utilisé : le livret de développement des territoires.
En effet, les ressources collectées sur les livrets d’épargne réglementée sont déjà mobilisées pour soutenir des politiques publiques essentielles. Ainsi, comme vous le savez, le livret A finance le logement social.
Dans un contexte de grande tension sur le marché du logement et de paupérisation d’une grande partie de nos concitoyens, on peut donc légitimement s’inquiéter que le LDT proposé concurrence le livret A et risque d’affecter la dynamique de production de logements sociaux.
Par ailleurs, on sait que cette surépargne concerne principalement les ménages aisés. En effet, le Conseil d’analyse économique indique que les 20 % des ménages aux revenus les plus élevés ont réalisé 70 % de l’épargne supplémentaire. L’outil proposé ne répond donc pas au problème majeur de notre société qu’est l’accroissement des inégalités, creuset de la désagrégation sociale et du délitement de la promesse républicaine. Nous devons y remédier, car c’est l’un des grands enjeux actuels.
Le groupe socialiste a d’ailleurs récemment fait des propositions en ce sens. Pourquoi ne pas mobiliser la solidarité des ménages les plus aisés pour cofinancer l’effort exceptionnel de l’État pour lutter contre les conséquences de l’épidémie de covid-19, en instaurant un impôt sur le capital et en supprimant la taxe forfaitaire sur les dividendes ?
La réponse doit être simple et directe, à savoir une taxation exceptionnelle des revenus ayant bénéficié aux foyers les plus riches et aux entreprises dont les profits ont explosé. Cela permettrait de cofinancer les mesures de soutien aux ménages, aux entreprises et aux mouvements associatifs fragilisés par cette crise et de les accompagner dans leur transition vers des pratiques plus durables.
Par ailleurs, on constate dans les territoires, en particulier ruraux, un niveau d’encours de dette très nettement inférieur au montant de l’épargne des acteurs locaux. Il en résulte que, de manière paradoxale, les territoires qui ont un fort besoin d’investissement financent des territoires qui ont un fort niveau d’investissement, de développement et de moyens.
Il y a donc lieu aujourd’hui, en vue de favoriser la cohésion territoriale, de mettre en place des circuits courts en matière de financement. C’est aussi cela, le développement durable.
Dès lors, il pourrait être envisagé d’obliger les banques à investir sur les territoires une part importante des sommes collectées sur ces mêmes territoires. Nous pourrions à cet égard nous inspirer de la loi sur le financement communautaire, qui est un dispositif législatif américain portant sur les relations entre les banques et d’autres grands organismes financiers et les territoires. Cette loi revêt par certains aspects un caractère unique dans la mesure où elle contraint les banques à rendre compte de la politique qu’elles mènent sur les territoires et les incite à prêter aux habitants et aux entreprises les plus fragiles. Elle nous apporte un éclairage sur le potentiel que constitue l’engagement volontariste des banques pour le développement économique et social des territoires en panne de croissance.
À titre d’exemple, en trente-cinq ans, le dispositif a mobilisé plus de 1 400 milliards de dollars de crédits et de services bancaires au bénéfice de territoires et de populations fragiles pour promouvoir le développement local sans impact négatif mesurable sur le bilan des banques.
Vous l’aurez compris, nous sommes tout à fait favorables au renforcement des moyens consacrés aux territoires par la mobilisation de l’épargne locale. Malheureusement, si ce texte pose de bonnes questions, il n’apporte pas de bonne réponse, et nous sommes prêts à y travailler, mais pour l’heure, nous nous abstiendrons.