Intervention de Sophie Taillé-Polian

Réunion du 15 avril 2021 à 10h30
Orientation de l'épargne des français vers des fonds souverains régionaux — Discussion et retrait d'une proposition de loi

Photo de Sophie Taillé-PolianSophie Taillé-Polian :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise sanitaire met à mal notre idéal d’égalité. Cela se reflète tout particulièrement dans la répartition de l’épargne dont il est question dans cette proposition de loi.

Une partie de la population dont la vie professionnelle ne tenait qu’à un fil a subi de plein fouet et sans filtre les conséquences économiques du confinement : les petits indépendants et autoentrepreneurs, les intermittents de l’emploi et les chômeurs déjà privés d’emploi avant la crise.

De l’autre côté, les stables, les détenteurs de capitaux économiques qui ont la chance d’être bien installés ont largement surépargné et constitué par la même occasion un patrimoine financier supplémentaire.

D’après une étude du Conseil d’analyse économique qui a déjà été largement citée, 20 % des ménages aux revenus les plus faibles ont vu leur épargne diminuer, alors que la moitié du surcroît d’épargne a été réalisée par 10 % des ménages les plus aisés. Les inégalités salariales se doublent aujourd’hui de profondes inégalités patrimoniales supplémentaires. Nous estimons qu’il y a donc un enjeu majeur de réforme fiscale. Dans ce contexte, la défiscalisation proposée dans ce texte ne nous paraît pas aller dans le bon sens.

Cependant, la réorientation de l’épargne ou son orientation de manière volontariste, dans la justice, pour préparer l’avenir, nous semble une piste intéressante. De plus, le dispositif proposé a le mérite de doter les territoires de moyens alors qu’ils en manquent cruellement, mais – disons-le – c’est une goutte d’eau si on le rapporte aux baisses des dotations que les collectivités ont subies depuis de nombreuses années.

Pour éviter les écueils qui nous ont menés à la situation que nous connaissons aujourd’hui, il faudrait que ce dispositif favorise le développement d’une société durable et résiliente, non pas seulement au travers des régions, mais de toutes les collectivités.

Si nous notons avec intérêt l’envie de préparer l’avenir, y compris en termes de transition écologique, il nous semble que des garanties devraient être apportées pour que ces crédits soient fléchés vers l’économie sociale et solidaire, sujet qui intéressera sans doute Mme la secrétaire d’État.

Cette proposition de loi est intéressante. De nombreux éléments ont déjà été relevés par mes collègues, notamment les doutes quant à la façon dont ces fonds seraient gérés, le fait qu’ils ne concernent que les régions et le risque éventuel de capter une partie de l’épargne qui est déjà fléchée vers les territoires ou vers le logement social. Malgré son intérêt, ce texte a donc un goût d’inachevé.

En l’absence de garanties relatives au fléchage de ces fonds régionaux vers la transition écologique et la résilience de nos territoires, cette proposition de loi risquerait d’être un simple palliatif à la baisse des dotations des collectivités. De plus, sa mise en œuvre aboutirait finalement à augmenter leur endettement, alors qu’elles auraient besoin d’une augmentation non pas de leurs fonds propres, mais de leurs fonds sans endettement.

Pour autant, la piste proposée par le Gouvernement, qui consiste à attendre que cette épargne permette d’abonder la consommation des plus aisés, ne nous semble pas opportune. Cela constituerait une fuite en avant dans la société de consommation, alors que nous devrions rechercher la sobriété et que les plus aisés sont ceux dont l’empreinte carbone est la plus importante.

Il conviendrait au contraire de réorienter cette épargne par une dynamique fiscale pour permettre la réduction des inégalités. De ce point de vue, la proposition lancée par le Gouvernement de dons intergénérationnels exonérés d’impôts nous paraît aller dans le sens inverse de ce qu’il faut faire.

En revanche, cette proposition de loi contribue utilement à un débat important, et c’est pourquoi nous nous abstiendrons.

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