Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux à mon tour remercier nos collègues du groupe CRCE de leur initiative. Voilà effectivement vingt et un mois que l’Assemblée nationale a voté, à une courte majorité, la ratification du CETA, accord mixte conclu entre l’Union européenne et le Canada qui nécessite la ratification des États membres. Voilà vingt et un mois que nous attendons que le Gouvernement l’inscrive à l’ordre du jour du Sénat et trois ans et demi que cet accord dit « de nouvelle génération » systémique vit sous sa forme provisoire, créant un précédent fâcheux.
Comme mon collègue Rachid Temal l’a exprimé justement, nous vivons là un déni et une aberration démocratiques. C’est une mauvaise manière faite au Sénat, mais c’est surtout une manière qui renforce encore la défiance de nos concitoyens à l’égard de ces accords commerciaux aujourd’hui dépassés.
Ces accords sont dépassés, parce que le monde a changé. La mondialisation libérale et l’accélération des échanges ont, certes, généré de la croissance et permis de développer de nouveaux secteurs, mais elles se sont aussi malheureusement traduites par un accroissement des inégalités territoriales et sociales ainsi que par la destruction de pans entiers de nos économies, laissant des millions de travailleurs européens sur le carreau, sans parler de l’exploitation des travailleurs de nombreux pays du tiers-monde, sous-traitants des multinationales qui nous offrent des produits à bas prix.
Ces accords sont dépassés, parce que la mutation numérique de nos économies a ouvert de nouveaux espaces de croissance, mais aussi de dérégulation, permettant à des multinationales de dicter leur loi, d’accumuler les profits et d’échapper à l’impôt.
Ces accords sont dépassés par l’accélération du changement climatique, la perte de biodiversité, la dégradation de l’environnement, qui mettent en péril l’avenir de l’humanité et interrogent nos modèles de développement.
Enfin, ces accords sont dépassés par l’essor de la Chine, lequel change fondamentalement l’ordre économique et politique mondial, bouleversant concurrence et gouvernance. À cet égard, l’accord entre la Chine et les quatorze pays de la zone indopacifique conclu en novembre dernier dans la région la plus dynamique du monde illustre le déplacement du centre de gravité dans les rapports de force mondiaux et l’accélération de la régionalisation des marchés.
La pandémie de la covid-19 a mis en lumière ces phénomènes en exacerbant les tensions et a permis une prise de conscience accélérée de leurs conséquences économiques et sociales et de leur incidence en matière de dépendance stratégique.
Face à cette situation, l’Union européenne n’a d’autre choix que de redéfinir ses relations internationales et ses échanges commerciaux, de nous protéger sans nous isoler ni nous replier. Elle doit se servir de sa position d’acteur commercial majeur pour défendre un modèle de développement commercial équitable et durable et ne pas se trouver marginalisée dans la bataille politique, stratégique et commerciale que se livrent les États-Unis et la Chine.
L’Union européenne doit être motrice pour réformer l’Organisation mondiale du commerce, restaurer le multilatéralisme, redéfinir des règles communes et installer de nouvelles instances d’arbitrage. Nous devons porter à l’échelle internationale un niveau d’exigence élevé et promouvoir les normes et standards européens, tout en révisant ceux-ci à la hausse.
Les accords commerciaux bilatéraux ou multilatéraux doivent dorénavant inclure la lutte contre le dérèglement climatique, la défense de nos normes sanitaires et environnementales, le respect des droits de l’homme, la protection des travailleurs et un devoir de vigilance de nos entreprises et de celles des pays tiers, qui devront respecter des exigences sociales élevées.
La Commission européenne a récemment présenté sa feuille de route pour redéfinir sa politique commerciale. Si celle-ci ouvre des perspectives positives, elle ne va pas au bout de la démarche. La redéfinition de la finalité de ces accords ne tire pas toutes les leçons des interrogations et des doutes qui traversent les opinions publiques européennes.
Si, sous l’impulsion de la France, lors du quinquennat précédent, des progrès ont été réalisés sur la transparence des négociations, il faut aller plus loin et permettre un débat démocratique pour s’assurer que la politique commerciale est au service du bien commun.
La Commission évoque la réforme de l’OMC et de plus grandes exigences dans les différents domaines que j’ai cités, mais l’objectif d’une « autonomie stratégique ouverte » laisse perplexe. Elle ne remet pas en cause le dogme libéral au bénéfice du juste échange et ne prévoit pas de stratégie de relocalisation et de rapatriement des chaînes de valeur.
Au-delà, c’est la question de la nature juridique de ces accords qui est posée. Celle de la compétence exclusive de la Commission européenne, celle de la durée des mandats de négociation – vingt ans pour le Mercosur… –, celle, pour les rares accords mixtes, de l’absence de date butoir de ratification sont également posées.
La gestion de la mise en œuvre de ces accords, leur contrôle a posteriori, les engagements contraignants assortis d’éventuelles sanctions et de clauses de revoyure afin d’en assurer le contrôle démocratique se posent tout autant.
Nous avons besoin aujourd’hui d’une pause, d’un moratoire sur les négociations et d’une redéfinition démocratique des critères environnementaux, sociaux, fiscaux et de droits humains, qui doivent être au cœur des échanges. Ces critères doivent être ambitieux et remettre les accords commerciaux au service d’un modèle de développement équitable et durable qui serve d’outil au bénéfice d’une Europe géopolitique.
La France, monsieur le ministre, aura, à ce titre, une responsabilité particulière, puisque la présidence française devra faire aboutir les négociations sur la nouvelle stratégie commerciale entre les États membres. Les conditions seront alors réunies pour clarifier en premier lieu au niveau national les termes du débat autour de la politique commerciale commune.
C’est à l’aune de ces remarques que, le jour venu, si le Gouvernement en décide, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain se prononcera sur le CETA. Nous espérons que cette inscription à l’ordre du jour du Sénat viendra très vite, raison pour laquelle nous voterons la proposition de résolution du groupe CRCE.