Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons une proposition de loi visant à garantir effectivement le droit à l’eau par la mise en place de la gratuité sur les premiers volumes d’eau potable et l’accès pour tous à l’eau pour les besoins nécessaires à la vie et à la dignité. Ce texte est discuté quelques semaines après la journée mondiale de l’eau, un événement qui nous a rappelé l’importance du défi que représente la préservation de ce bien essentiel et fondamental pour les années à venir.
L’eau, c’est la vie, et les enjeux sont considérables. Les dommages environnementaux, associés aux changements climatiques, sont à l’origine des crises liées à l’eau que nous observons dans le monde. Les inondations, la sécheresse et la pollution sont aggravées par la dégradation de la végétation, des sols, des rivières et des lacs.
L’objectif de développement durable n° 6 a été adopté par les États membres des Nations unies à l’horizon de 2030. Il a notamment pour cible de réduire de moitié la proportion d’eaux usées non traitées et d’augmenter considérablement le recyclage et la réutilisation. L’accès à l’eau potable et à l’assainissement est reconnu comme un droit de l’homme depuis 2010. Pourtant, près de 2, 2 milliards d’êtres humains n’ont toujours pas accès aujourd’hui à des services d’alimentation domestique en eau potable gérés en toute sécurité et près de 2, 6 millions meurent chaque année de maladies liées à l’eau, l’une des premières causes de mortalité au monde.
L’accès à l’eau et à l’assainissement est un enjeu social, environnemental, mais aussi économique. En France, depuis quinze ans, le cadre juridique a évolué. Il permet aux collectivités locales et à leurs établissements publics d’adapter leurs politiques tarifaires.
L’article 1er de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006 dispose que « l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ».
En 2013, la loi Brottes a ouvert la possibilité pour les collectivités locales de mettre en œuvre l’expérimentation pour une tarification sociale de l’eau. Cette loi a d’ailleurs montré l’importance du principe de subsidiarité dans ce domaine.
La loi Engagement et proximité de 2019 a quant à elle introduit pour toutes les collectivités la possibilité de mettre en place les mesures sociales en faveur de l’accès à l’eau de leur choix. Toutes les collectivités ont donc déjà la faculté de mettre en place un éventail de mesures sans souffrir de l’ingérence de l’État.
Pourtant, selon l’OMS, en 2019, 1, 4 million de Français n’avaient pas d’accès à une eau « sanitairement sécurisée », 1 million de nos concitoyens consacraient plus de 3 % de leur budget mensuel à l’eau et 235 000 personnes étaient des « exclus de l’eau ».
Sur ce point, la directive européenne sur l’eau potable de décembre 2020 dispose que les États européens devront se doter « d’équipements intérieurs et extérieurs dans les espaces publics, […] d’une manière qui soit proportionnée à la nécessité de telles mesures et compte tenu des conditions locales spécifiques ». J’appelle de mes vœux une transposition rapide de cette directive.
Nous connaissons ici les réalités de la gestion locale. Si l’eau n’a pas de prix, elle a un coût… La loi NOTRe a accéléré les transferts des compétences « eau » et « assainissement » aux EPCI. Quels en sont les premiers enseignements ? Un litre sur cinq d’eau traitée et mise en distribution en France est perdu. C’est l’équivalent de la consommation de 18, 5 millions d’habitants. En cause, un sous-investissement important dans des réseaux de distribution vieillissants. Les transferts ont permis de disposer d’une meilleure connaissance des réseaux d’eau potable et d’assainissement collectif. Au rythme actuel des investissements, le renouvellement théorique s’établit à plus de cent cinquante ans, pour un budget annuel de 1, 5 milliard d’euros. C’est insuffisant !
Concrètement, la gestion passera par des moyens supplémentaires en gestion patrimoniale, en recherche de fuites, en réparation et renouvellement des conduites, ce qui affectera le prix de ces services. Avec le réchauffement climatique, plusieurs territoires sont exposés à des phénomènes de stress hydrique : l’eau est rare.
L’accès gratuit aux premiers mètres cubes d’eau et à l’assainissement est un exercice difficile. Je l’ai dit, les collectivités locales et leurs établissements ont toute latitude pour mettre en place une tarification différenciée, en proposant notamment les premiers mètres cubes, qu’on appelle souvent « l’eau vitale », à des tarifs très bas.
Pour y avoir travaillé sur ma communauté de communes du Pays des Abers, je vous assure que l’exercice tient de la quadrature du cercle. La compétence y est exercée en régie directe depuis 2018, pour un territoire d’un peu plus de 40 000 habitants. Nous avons mis en place une tarification très faible sur les premiers mètres cubes et des tarifs progressifs sur les mètres cubes suivants. Plus on consomme, plus le mètre cube coûte cher.
Comment concilier tarification sociale, équilibre économique et préservation de la ressource ? Toucher à l’un des paramètres provoque un déséquilibre global.
L’alimentation en eau potable et l’assainissement sont des compétences des collectivités territoriales, qu’elles gèrent selon le principe de libre administration. Faisons leur confiance et laissons-les gérer leurs services en fonction des réalités de leurs territoires. Il ne peut y avoir de réponse unique et centralisée à tant de situations particulières. Le principe de subsidiarité doit prévaloir.