Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte que nous examinons se propose de rendre effectif le « droit à l’eau » par la mise en œuvre de deux mesures concrètes : premièrement, l’installation dans l’espace public par les communes et les EPCI compétents de fontaines, douches et sanitaires à disposition du public ; deuxièmement, l’instauration de la gratuité des premiers mètres cubes d’eau consommés par les ménages.
Le but visé par ce présent texte est tout à fait légitime : l’accès à l’eau, et à une eau de qualité, nécessaire à l’hydratation et à l’hygiène, doit en effet être considéré comme primordial. Il en va de même du droit à l’assainissement. Ce droit a été reconnu par plusieurs textes de droit international et européen. Récemment encore, une directive européenne du 16 décembre 2020 a affirmé le droit de tous à l’eau potable, fixé de nouvelles exigences de qualité et prévu également des mesures d’information du public sur l’eau qu’il consomme.
En France, le législateur a consacré dans la loi du 30 décembre 2006 « le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ».
Pour rendre ce droit effectif, des mesures destinées aux ménages ayant du mal à régler leurs factures d’eau ont été mises en place.
Premièrement, la loi du 7 février 2011 permet aux collectivités et EPCI compétents de verser des subventions au Fonds de solidarité pour le logement afin de financer des aides versées en cas de cumul d’impayés. Par ailleurs, les impayés ne donnent plus lieu à une coupure d’eau, comme cela était le cas auparavant.
Deuxièmement, le législateur a introduit en 2013 la possibilité pour des collectivités de mettre en place une tarification sociale de l’eau à titre expérimental.
Enfin, la loi Engagement et proximité de 2019 a élargi cette faculté à l’ensemble des collectivités. La tarification sociale inscrite par le législateur dans le code général des collectivités territoriales – il faut le souligner – offre beaucoup de latitude aux conseils municipaux et communautaires en ce qui concerne les modalités d’application. Les élus locaux peuvent choisir entre des tarifs tenant compte de la composition ou des revenus du foyer, l’attribution d’une aide au paiement des factures d’eau ou encore une aide à l’accès à l’eau.
On constate que l’instauration d’une aide préventive réclamée par le présent texte est déjà possible pour les collectivités qui le souhaitent. Par exception, la tarification sociale peut-être financée sur le budget général, à condition de ne pas dépasser 2 % du budget spécialisé « eau ».
Une proposition de loi semblable dans ses objectifs à celle que nous examinons aujourd’hui avait été votée par les députés en 2016, mais elle n’avait pas convaincu les sénateurs. Hélas, à l’instar de la proposition de loi de 2016, le texte que nous examinons présente à notre avis d’importants défauts.
En ce qui concerne la gratuité de l’eau potable nécessaire aux besoins élémentaires prévue par l’article 1er, plusieurs questions se posent.
Premièrement, quelle serait l’articulation de cette gratuité avec la tarification sociale inscrite dans la loi et déjà mise en place dans de nombreuses communes ? La présente proposition de loi ne mentionne ni ces aides existantes ni leur articulation avec la gratuité qu’elle prévoit d’instaurer. La superposition de ces deux dispositifs d’aide ne nous paraît ni d’une grande efficacité ni d’une grande lisibilité pour nos concitoyens.
Deuxièmement, se pose la question du financement. L’eau et l’assainissement doivent faire l’objet de budgets annexes, « étanches » – si j’ose dire – par rapport au budget général des collectivités et de leurs EPCI, sauf exception, comme celle qui est prévue par la loi Engagement et proximité que j’ai évoquée. L’absence d’étude d’impact ainsi que l’imprécision quant à la quantité d’eau concernée ne permettent pas d’avoir une idée précise du manque à gagner que les gestionnaires de service public d’eau devront combler.
De plus, la dotation globale de fonctionnement ne peut abonder ces budgets « eau » et « assainissement ». Dès lors, quoi qu’en dise l’article 4 du présent texte, il ne fait guère de doute que la gratuité instaurée créera un manque à gagner que les collectivités gestionnaires devront compenser par une augmentation de la facture d’eau des usagers.
J’en viens à la deuxième mesure proposée dans ce texte. L’article 2 prévoit la création de toilettes publiques gratuites dans les communes de plus de 3 500 habitants et de douches gratuites dans les communes de plus de 15 000 habitants. Le financement de ces installations repose sur les municipalités et les EPCI compétents.
Je déplore l’absence d’information, tant sur le nombre actuel de ces installations dans les communes concernées que sur les besoins estimés des populations pour ce genre d’infrastructures. Il est ainsi difficile d’évaluer l’effort financier à réaliser. Au fond, ne serait-il pas préférable de faire confiance à l’échelon local pour satisfaire les besoins de sa population en eau dans l’espace public ?
Dans la commune de 1 000 habitants dont j’ai eu l’honneur d’être maire, nous avons déjà des toilettes publiques gratuites et accessibles aux handicapés. Je connais de nombreuses communes d’une taille inférieure au seuil retenu par la présente proposition de loi qui ont fait de même sans qu’il soit besoin de légiférer.
Comme l’avait fait le groupe Union Centriste lors de l’examen du présent texte en 2017, je déplore que les outre-mer, où la question de l’eau et de l’assainissement est si différente de la métropole, ne bénéficient pas d’un régime adapté à leurs spécificités dans le présent texte. Autre regret : l’absence de mesures d’information et de sensibilisation à destination du public, notamment des plus jeunes, autour de l’eau et de l’assainissement.
Mes chers collègues, du fait des raisons que j’ai évoquées précédemment, le groupe Union Centriste ne votera pas ce texte. Nous estimons que la législation actuelle assure en grande partie l’effectivité du droit à l’eau de l’ensemble de nos concitoyens et présente de plus l’avantage de laisser aux élus locaux une liberté de choix bienvenue quant aux modalités d’application de la tarification sociale de l’eau.
Des améliorations devront sans doute être envisagées. Il faudrait en premier lieu pouvoir dénombrer mieux que ce n’est le cas aujourd’hui celles et ceux qui ont des difficultés à accéder à l’eau potable et connaître avec plus de précision leurs besoins en eau, tant dans l’espace public que privé. Reste que l’ajout d’un mécanisme préventif supplémentaire, incertain quant à ses conséquences, particulièrement rigide et uniforme dans son application, et qui conduirait inéluctablement à créer un manque à gagner pour les collectivités gestionnaires, ne nous semble pas souhaitable.