Intervention de Hervé Gillé

Réunion du 15 avril 2021 à 14h45
Droit à l'eau — Discussion et retrait d'une proposition de loi

Photo de Hervé GilléHervé Gillé :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie Marie-Claude Varaillas et les membres du groupe CRCE de cette proposition de loi, qui nous permet de porter à nouveau dans l’hémicycle la question du droit à l’eau, un droit essentiel quant à l’évolution duquel nous restons, en France, bien timides.

Le droit à l’eau pour tous : posons enfin ce principe universel ! Le texte que nous examinons affirme un droit à l’eau potable et à l’assainissement pour chacun, c’est-à-dire le droit de disposer d’une quantité d’eau qui, chaque jour, permette de répondre aux besoins élémentaires et d’accéder à des équipements pour assurer le minimum d’hygiène et de dignité d’un être humain. Car c’est bien de notre humanité qu’il est question et d’un bien collectif, d’un bien commun indispensable à la vie.

Ce texte prévoit également l’obligation, pour les collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale, d’assurer l’installation et l’entretien d’équipements permettant la distribution d’eau potable, ainsi que de toilettes et de douches publiques d’accès gratuit en fonction de certains seuils démographiques.

Il fixe enfin la gratuité d’un volume d’eau potable minimum pour l’alimentation et l’hygiène de chaque individu.

Une proposition de loi socialiste visant les mêmes grands principes et soutenue par plusieurs groupes de gauche et du centre avait été examinée dans le cadre d’une niche du groupe écologiste en février 2017. Démantelée article par article par la majorité sénatoriale de l’époque, qui y était opposée, elle n’avait pu aboutir.

Pourtant, depuis 1992, la loi reconnaît la ressource en eau comme faisant partie du patrimoine commun de la Nation. La loi Brottes du 15 avril 2013 a permis l’expérimentation d’une tarification sociale de l’eau pour cinq ans, ouvrant la voie à la définition de tarifs adaptés aux difficultés de certains foyers. Elle prévoyait notamment l’attribution d’aides au paiement des factures d’eau ou d’une aide à l’accès à l’eau. En avril 2018, nos collègues Monique Lubin et Éric Kerrouche déposaient une proposition de loi visant à proroger cette expérimentation.

Nous constatons toutefois que peu de syndicats des eaux ont totalement mis en œuvre le dispositif. Le système de prise en charge de ces besoins en eau pour les individus et les familles en situation de précarité reste complexe et montre ses limites.

Envisager la gratuité de la ressource en eau encadrée par la loi est donc une solution qui pourrait se révéler moins onéreuse que le coût du traitement social actuel. Je vous invite à y réfléchir, mes chers collègues.

Malgré ces dispositions législatives, auxquelles s’ajoute l’interdiction des coupures d’eau et de réduction du débit, le droit à l’eau n’est pas effectivement garanti et ne parvient pas à être consacré pleinement dans notre pays. C’est pourtant avec le soutien de la France qu’il y a plus de dix ans, en juillet 2010, l’assemblée générale des Nations unies adoptait une résolution reconnaissant le droit à l’eau potable et à l’assainissement comme un droit fondamental essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme. Certains pays, comme l’Uruguay et la Slovénie, l’ont déjà introduit dans leur Constitution.

Depuis, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré que l’accès à l’eau potable est un enjeu majeur en termes de santé, de développement et d’environnement. N’oublions pas que ce droit compte parmi les dix-sept objectifs 2030 de développement durable adoptés par les États membres des Nations unies.

De nombreuses associations, organisations humanitaires, caritatives et environnementales nous interpellent depuis de nombreuses années. La fondation France Libertés et la Coalition Eau en sont les fers de lance.

Dans le monde, 2, 2 milliards d’êtres humains ne disposent pas d’accès sécurisé à l’eau potable et 4, 2 milliards à l’assainissement. Plus de 2, 6 millions de personnes, dont une majorité d’enfants en bas âge, meurent chaque année de maladies liées à la consommation d’une eau impropre.

Dans notre pays, nous avons la chance de disposer d’un système de traitement et d’assainissement de l’eau qui permet à 99 % de nos compatriotes de bénéficier d’un accès à l’eau potable. En 2019, l’OMS estimait pourtant que, en métropole, 1, 4 million de Français ne disposaient pas d’un accès direct et sécurisé à l’eau potable.

Par ailleurs, un rapport de la Fondation Abbé-Pierre sur le mal-logement estime à 143 000 le nombre de personnes sans domicile fixe vivant dans des abris ou des bidonvilles, à environ 208 000 celui de gens du voyage mal logés et à 24 000 celui de personnes hébergées dans des foyers de migrants : autant d’individus concernés par la pauvreté en eau. De plus, 1 million de familles ne sont pas en capacité de régler leur facture d’eau.

Nous ne pouvons ignorer ces chiffres. L’accès à l’eau pour des populations déjà fragilisées et souvent fortement marginalisées est vital, humainement mais aussi socialement. Quelle insertion sociale, scolaire et professionnelle est possible pour ces personnes si ce droit fondamental n’est pas respecté par notre République ? C’est une simple question de dignité et d’égalité.

La crise sanitaire actuelle met en lumière l’importance vitale de l’hygiène pour prévenir et endiguer les maladies. Les autorités recommandent de manière répétée de se laver les mains. Comment répondre à cette exigence quand on est privé d’accès à l’eau ? Garantir à tous un droit à l’eau dans ce contexte, n’est-ce pas aussi nous protéger tous ?

Ceux qui s’opposent à la gratuité de l’eau, vitale et enjeu de santé publique, s’opposeraient-ils aussi à la gratuité des vaccins ? La covid-19 a bousculé nos habitudes, mais aussi nos schémas de gestion des finances publiques et des ressources pour envisager une solidarité, un partage comme cela ne s’était pas produit dans notre pays depuis plusieurs décennies.

L’eau en partage, l’eau accessible à tous, doit être posée comme un principe fondateur et indiscutable de notre vivre ensemble. C’est une ressource vitale, à présent cotée en bourse, sans cesse menacée de financiarisation et objet de spéculations sur un marché qui nie la priorité des besoins humains et ignore la valeur de l’eau pour en fixer le prix : un paradoxe dangereux. « L’eau pour la vie, pas pour le profit », affirmait une tribune publiée dans Libération par 550 organisations et collectifs de la société civile à l’occasion de la journée mondiale de l’eau organisée le 22 mars dernier.

Les enjeux sont majeurs, comme l’illustre le récent et titanesque affrontement Suez-Veolia. Dans la perspective plus globale du réchauffement climatique et des enjeux de développement durable, défendre le principe d’un droit à l’eau est incontournable. Laisserons-nous au marché la gestion et la répartition de l’eau ? Protégeons donc ce bien commun !

Les solutions existent. Affirmer le droit à l’eau potable et à l’assainissement et assurer la mise à disposition d’équipements sanitaires et de distribution d’eau répond aux besoins essentiels d’une population que l’on peut dénombrer. Sur ce fondement, nous le savons, la dépense est acceptable. Contenue et encadrée, elle ne fragiliserait pas les équilibres de gestion de nos collectivités, qu’il faut accompagner.

Il serait envisageable de rendre ce dispositif plus lisible et de permettre aux gestionnaires de l’intégrer dans leur modèle économique, en inscrivant dans la loi ce volume d’eau gratuit afin d’en limiter le coût potentiel et d’agir en respect des règles de recevabilité financière existantes.

Les associations et organisations militantes estiment la quantité d’eau nécessaire à cinq mètres cubes par an pour les besoins vitaux et à quinze mètres cubes pour les besoins élémentaires. Le calcul est donc simple : le mètre cube coûtant 4 euros en moyenne, le financement de quinze mètres cubes représenterait une dépense annuelle de 60 euros. On peut donc prévoir.

La répartition du surcoût se fera à partir de seize mètres cubes et au-delà. Les plus précaires, moins consommateurs, bénéficieraient ainsi de la gratuité de l’eau qui leur est indispensable, tandis que les foyers plus favorisés et aussi plus consommateurs assumeraient collectivement et de façon raisonnablement répartie le coût de cette solidarité. Plus on consomme, plus on paye : dans le contexte actuel, ce principe paraît vertueux. J’ajoute que les gains d’efficacité des réseaux pour éviter les pertes permettraient largement de compenser la gratuité des premiers mètres cubes.

Non, la gratuité n’ouvre pas nécessairement la voie aux abus et à l’augmentation de la consommation. La gratuité des premiers mètres cubes ne menace en aucun cas les compétences des collectivités territoriales en matière d’assainissement collectif et non collectif et n’ouvre pas la voie à la multiplication des installations illégales.

Il faut faire confiance à la population, mais aussi aux collectivités pour instaurer et gérer cet accès à l’eau tout en leur en donnant les moyens. Les accompagner constituerait sans aucun doute un acte politique fort, affirmant le droit à l’eau pour tous, principe de portée universelle lié aux droits humains.

Si nous en avons la volonté, ce principe encadré deviendra un outil précieux pour nos élus locaux confrontés à des situations parfois inextricables aux plans humain et sanitaire face à ceux qui sont privés d’eau. Peut-on accepter que la France, sixième puissance mondiale en 2021, refuse ce droit essentiel aux plus précaires sur le territoire des droits de l’homme ? Il est temps de traduire dans la loi les engagements nationaux et internationaux de notre pays pour le respect des droits fondamentaux de la dignité humaine et de la santé publique et de prendre nos responsabilités pour protéger une ressource essentielle à la vie.

Soutenir cette proposition de loi, c’est affirmer le principe universel du droit à l’eau pour tous, autrement dit, du bien commun. Alors, passons à l’acte ! Ce droit nous concerne tous. Nous voterons cette proposition de loi.

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