Intervention de Richard Abadie

Commission des affaires sociales — Réunion du 14 avril 2021 à 9h30
Proposition de loi pour la prévention en santé au travail — Audition de Mm. Richard Abadie directeur de l'agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail anact stéphane pimbert directeur général de l'institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles inrs du pr gérard lasfargues conseiller scientifique auprès du directeur général et M. Henri Bastos directeur adjoint de l'évaluation des risques volet santé-travail de l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation de l'environnement et du travail ansés et de Mme Mélina Le barbier directrice-adjointe de la direction santé-environnement-travail de santé publique france

Richard Abadie, directeur de l'ANACT :

Je commence par répondre à l'avant-dernière question. Nous souscrivons tout à fait à l'idée de partir du terrain, et non l'inverse. Si la réforme d'organisation du réseau Anact-Aract se fait, c'est dans ce sens-là. Elle se fera en fonction du vote de cette proposition de loi, qui offre une opportunité de parachever et optimiser l'organisation de l'agence, qui aura bientôt cinquante ans. Selon nous ce regroupement peut répondre à de véritables enjeux, être cohérent avec l'histoire du réseau, et constituer un objectif atteignable.

Il est adapté aux enjeux car il vise à simplifier les relations entre les différents échelons du réseau - le national et le régional - et entre régions, mais aussi à mettre fin à ce que la Cour de comptes a nommé une « insécurité juridique » résultant essentiellement de l'articulation entre le statut d'établissement public administratif de l'Anact et le régime associatif de droit privé des Aract. C'est un sujet structurel d'organisation, et la Cour des comptes avait fait référence à la possibilité de l'intégration à la même personne morale, qui n'a pas pour objet de centraliser le fonctionnement. Tout le travail de concertation engagé va dans ce sens.

Ce regroupement est cohérent avec l'histoire du réseau. L'Anact a été créée en 1973, autour de l'amélioration des conditions de travail. Ce n'est que dix ans après qu'a commencé la création des premières Aract. Ce processus s'est étalé jusqu'en 2009. Des associations régionales ont été créées dans chaque région, quand un consensus en ce sens entre les partenaires territoriaux apparaissait : cela faisait partie des conditions. Dès 1989, s'est engagée une deuxième phase visant à renforcer la coordination de ces différentes entités, créées pendant les dernières années. Est alors apparue la notion de réseau : on parle aujourd'hui du réseau Anact-Aract. Il réunit les 165 associations et l'établissement public. Cela s'est concrétisé en 1989 avec une charte, informelle dans un premier temps et signée par les différentes entités, puis le décret du 31 juillet 2015 a acté dans le code du travail l'existence de ce réseau. Depuis, des démarches de mutualisation voire de regroupement dans le cadre de la réforme territoriale ont été menées.

Il constitue un objectif atteignable, car les associations et l'établissement public ont déjà des pratiques de gestion mutualisée des ressources, notamment sur les fonctions support ou transverses. Nous partageons la même offre de formation interne ainsi que certains systèmes d'information (messagerie, sites internet mutualisés). Nous sommes positionnés autour d'objectifs communs dans le cadre du contrat d'objectif et de performance de l'agence et des lettres d'orientation signées annuellement par le directeur général du travail et le délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle, qui contribuent au financement de l'ensemble du réseau. Nos programmes d'activité sont construits autour des mêmes priorités. Notre fonctionnement est de plus en plus imbriqué, entre l'échelon national et les régions. On appelle cela un continuum, qui va de la veille au transfert, en passant par l'expérimentation et la capitalisation. La légitimité de nos actions est d'intervenir dans les entreprises, d'en tirer des enseignements, de les modéliser et les capitaliser pour les transférer au plus grand nombre d'entre elles. Cela se fait autour d'une offre socle co-construite et initiée aux différents niveaux : ni Paris, ni Lyon ne décident ce tout ce qui est fait. En revanche, il existe bien une capacité de capitalisation. Les initiatives sont coordonnées et capitalisées.

Pour terminer sur ce sujet, comme toute transformation, ce projet suscite des points de vigilance. Nous avons pris le temps de les identifier en interne avec les différents administrateurs : nous avons d'abord la volonté de préserver l'arbitrage territorial et la capacité d'initiative en région, avec un schéma clair de délégation des responsabilités pour satisfaire à l'application du principe de subsidiarité. C'est ce qui nous guide dans nos réflexions : tout ce qui pourra être décidé et fait au plus près du terrain le sera à ce niveau. Le deuxième point de vigilance consiste à conserver une instance paritaire régionale. C'est l'ADN et la légitimité du réseau. Il continuerait ainsi d'avoir un rôle important dans le déclenchement des actions les plus appropriées au contexte local mais aussi dans la coordination. Ce sera le cas, au sein du comité régional d'orientation des conditions de travail (CROCT), des différentes offres des acteurs régionaux. Nous tenons à sécuriser le modèle économique et financier en permettant de nouer des partenariats tant nationaux que régionaux, et à accompagner l'évolution des compétences en garantissant une place pour tout le personnel. Dernier point : il faut associer les différentes parties prenantes - les administrateurs comme le personnel. Pour le personnel, nous avons l'avantage d'avoir une instance supralégale, le dialogue social réseau, qui réunit les représentants des différentes entités et les représentants du personnel des Aract et de l'Anact.

Nous avons, par ailleurs, pour objectif, de contribuer prioritairement à la santé au travail dans les TPE et PME. On ne parvient pas à se démultiplier dans la totalité d'entre elles. En s'appuyant aussi sur les services de prévention et de santé au travail, nous considérons que l'entrée sectorielle ou territoriale, visant à proposer à ces TPE et PME de travailler ensemble dans le cadre de démarches de prévention ou de promotion de la santé au travail, est plutôt efficace. Nous l'avions notamment fait avec la profession des boulangers pour porter des démarches de qualité de vie au travail adaptés à la taille et aux spécificités du métier.

S'agissant de la coordination des différents acteurs contribuant à la prévention de la désinsertion professionnelle, nous tenons à dire que la création de la cellule est importante car elle permettrait de jouer un rôle pivot ou d'interface entre eux. Ce texte permet d'y répondre : il y a besoin d'un acteur qui puisse intervenir dans la totalité des entreprises. Les SST sont les plus appropriés en la matière. Ils pourront le faire si cela s'accompagne d'un travail avec l'ensemble des acteurs concernés pour définir une stratégie commune et essayer de définir à quel niveau il convient d'intervenir. Ils devront se demander quelle est leur contribution respective, afin qu'il n'y ait pas de redondance en la matière.

De notre point de vue, cela implique d'agir sur deux dimensions. L'une est temporelle : des acteurs aident à traiter des troubles avérés pour éviter les complications de santé et compenser les difficultés rencontrées, mais proposent aussi des mesures visant à agir le plus en amont possible afin de préserver des personnes qui ne présentent pas encore de problèmes de santé. La visite de mi-carrière nous semble une initiative intéressante pour aider à ce travail d'anticipation. L'autre dimension de la stratégie touche à l'échelle qui va du micro au macro : il faut suivre et traiter individuellement les personnes concernées et se donner les moyens d'en tirer des conséquences plus collectives. En ce sens, je rappelle que les articles 1 à 4 de l'ANI indiquent explicitement que l'activité des cellules de prévention de la désinsertion professionnelle devrait permettre de tirer des enseignements en matière de prévention dans une approche collective, pour alimenter la politique de prévention des entreprises. Selon nous, ce n'est peut-être pas assez développé. Cela nécessiterait de prévoir et d'organiser le travail de consolidation et de capitalisation de toutes ces données, qu'elles soient individuelles, au niveau de l'entreprise, d'un territoire ou d'un secteur d'activité. À titre d'exemple, je citerai un projet initié et soutenu dans le cadre du fonds d'amélioration des conditions de travail : IODA (Inaptitudes en Occitanie, Diagnostic et Analyses) essaie de consolider des données individuelles et d'évaluer, sur un territoire ou sur certains métiers, si la sur-représentativité de déclarations d'inaptitude est significative et doit orienter des mesures de prévention.

Voilà en ce qui concerne la coordination des acteurs. Je pourrais aussi développer l'importance des instances représentatives du personnel et des manageurs de proximité en la matière ou le rôle que pourraient prendre les SST pour les sensibiliser, les outiller et pour les éclairer avec les données que la cellule de désinsertion professionnelle collectera. Même si ce n'est pas nominatif, les entretiens de mi-carrière peuvent produire des données qui nourriraient utilement le dialogue social au sein des entreprises pour mener des politiques actives de prévention de la désinsertion professionnelle.

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