J'ai noté plusieurs questions qui nous concernent. La première touchait à l'évolution du dispositif d'évolution des tableaux de maladies professionnelles. En 2018, les pouvoirs publics ont voulu séparer la phase d'expertise préalable à la création ou à la modification des tableaux de maladies professionnelles, de la phase de négociation et de discussion politico-sociale dans les commissions de maladies professionnelles dans lesquelles siègent les partenaires sociaux. La phase d'expertise préalable a été confiée à l'ANSéS ou à tout autre organisme qui puisse conduire des expertises robustes, pluridisciplinaires et indépendantes.
Nous avons monté un groupe de travail pluridisciplinaire sur cette question. Nous avons récemment mis en ligne un rapport fondateur illustrant la méthodologie sur laquelle nous nous basons pour répondre aux différentes saisines des pouvoirs publics. La première saisine portait sur l'analyse du lien entre l'exposition aux pesticides et le cancer de la prostate. Nous avons restitué le rapport aux pouvoirs publics et aux partenaires sociaux dans les différentes commissions du régime général - la commission spécialisée n° 4 relative aux pathologies professionnelles (CS4) du conseil d'orientation sur les conditions de travail (COCT) - et du régime agricole - la commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture (Cosmap). Nos expertises se réalisent indépendamment du statut d'emploi, ou en tout cas, du régime d'assurance sociale. La deuxième saisine porte sur le lien entre l'amiante et les cancers du larynx, des ovaires et les cancers colorectaux. Nous rendrons probablement ce rapport d'ici à la fin de l'année.
La mise en ligne de ces rapports intervient à l'issue d'une phase de discussion laissée aux partenaires sociaux pour aboutir à un consensus sur la décision de créer un tableau ou non et d'en fixer les conditions. Le premier rapport finalisé sur les pesticides et le cancer de la prostate ne sera donc normalement pas publié avant septembre.
Vous nous posiez également une question sur la situation actuelle : nous semble-t-elle satisfaisante ? En un sens, oui. Elle répond à la volonté des pouvoirs publics de séparer la phase d'expertise et la phase politico-sociale, qui pouvait aboutir à des blocages au sein de ces commissions, notamment sur la phase d'expertise. Elle permet aux pouvoirs publics une meilleure prise en compte de l'évolution des connaissances scientifiques, ainsi qu'une certaine transparence : l'ensemble des rapports de l'agence sont rendus publics sur Internet. Nous laissons aux partenaires sociaux la phase nécessaire de l'examen de la pertinence de créer un tableau ou d'en fixer certaines modalités. Cela permettra à chaque partie prenante, dans la reconnaissance des maladies professionnelles, de se saisir des dernières informations scientifiques pour faire valoir leurs droits, qu'il s'agisse des entreprises ou des salariés assurés qui souhaitent demander une réparation en lien avec leur activité de travail, ou encore des différents acteurs du processus, comme la caisse d'assurance-maladie.
Pour autant, il nous semble que cette phase d'expertise confiée à l'agence n'améliorera pas par elle seule la capacité du système actuel à remplir les objectifs de reconnaissance et de prévention. Des questionnements se posent sur la meilleure prise en compte des maladies multifactorielles et la problématique de la présomption d'origine qui pose un certain nombre de difficultés. Vous les aviez d'ailleurs rappelées, madame la sénatrice Gruny et monsieur le sénateur Artano, dans votre rapport de 2019.
On peut faire des constats ou des propositions sur la meilleure prise en compte, ou bien la fixation d'un délai entre la restitution de l'expertise et la prise d'un décret. On a eu récemment connaissance d'une enquête de la 6ème chambre de la Cour des comptes qui a interrogé les partenaires sociaux qui siègent dans les commissions de maladie professionnelles sur la fixation et le meilleur encadrement des délais dont l'administration dispose pour effectuer la publication des décrets qui créent ou modifient des tableaux. Il me semble que c'est une bonne idée.
Je vous cite un exemple : un nouveau tableau est en passe d'être créé, le tableau 101 du régime général, pour les affections cancéreuses provoquées par le trichloréthylène (comme le cancer primitif du rein). Il résulte d'un rapport d'expertise finalisé et présenté à la commission des maladies professionnelles du COCT en juin 2017. Le délai est donc assez long. Ce n'est pas le cas pour tous les tableaux, mais l'encadrement des délais pour la prise de ces décrets d'évolution des tableaux pourrait être intéressant.
Je ne suis pas sûr que nous soyons légitimes pour nous prononcer sur la formalisation du rôle de l'agence par la loi. Il nous semble toutefois qu'il serait intéressant de sécuriser le rôle de l'ANSéS. Les modalités de répartition des responsabilités entre l'ANSéS, l'État et les commissions de maladies professionnelles ont été fixées dans un tableau. Il est toutefois possible de saisir d'autres agences. Nous nous sommes organisés pour monter un groupe de travail et pour mobiliser des ressources - il y a d'ailleurs eu un transfert de ressources entre le ministère du travail et l'ANSéS pour cette nouvelle mission qui nous est confiée. A minima, on serait rassurés d'être sécurisés dans ce rôle mais pas forcément par une inscription dans la loi.
Sur les autres questions, je ne reviendrai pas sur ce qu'a dit M. Pimbert sur la prise en compte des propositions du rapport Frimat, notamment sur les questions de traçabilité. La proposition de loi est intéressante en ce qu'elle améliore la traçabilité collective et longitudinale des expositions professionnelles, du fait de la conservation par les employeurs et de la transmission aux SST de documents de prévention des entreprises. Il nous semble aussi qu'il faut accompagner ce mouvement par une dématérialisation et une diffusion des documents à des fins d'utilisation scientifique. Nous avons ainsi repris des éléments du rapport pour en faire des propositions d'action dans le cadre de la préparation du nouveau PST 4. Nous souhaitons un plan de dématérialisation progressive et de numérisation des données en santé au travail dans les SST et entreprises - notamment les fiches d'entreprises, les données d'exposition et de santé dans le respect de l'ensemble des secrets (industriel, commercial, médical, statistique) - permettant une meilleure mise à disposition, par exemple dans une base de données nationale exploitable à des fins de recherche et de production de connaissances.
Nous ne travaillons pas vraiment sur les questions de désinsertion, donc je ne répondrai pas sur cette partie.
Vous nous avez par ailleurs interrogés sur des remontées de possibles liens entre le cancer du sein et l'activité d'assistante maternelle. Je peux simplement vous dire que nous avons produit une expertise des dangers liés au travail de nuit : ce facteur de risque est identifié comme en lien probable avec le développement de cancer du sein. Je n'ai pas connaissance que nous ayons identifié cette profession comme profession à risque, mais nous allons nous pencher dessus. Il existe par ailleurs une initiative de la confédération française démocratique du travail (CFDT)-Lorraine à ce sujet, qui tente de répertorier des cancers du sein, notamment chez le personnel médical. Cela peut être intéressant à regarder.