Je vais surtout vous donner l'état de nos réflexions sur la première question. Pour le reste, beaucoup de questions ne sont pas forcément du ressort de l'ANSéS. Je pense que Gérard Lasfargues, professeur de médecine du travail, pourra compléter.
Ce que je connais de la sociovigilance vient des différentes tribunes que j'ai lues dans Le Monde, écrites par Mme Nina Tarhouny, qui a fait sa thèse en droit sur cette question. Elle propose la création d'une sociovigilance. Je vais lire attentivement cette thèse. La question de l'ajout de nouveaux dispositifs doit passer par une réflexion sur la manière dont elle s'inscrit dans ceux qui existent - notamment sur la surveillance ou la vigilance des pathologies professionnelles. Je citerai les tableaux de Santé publique France sur cette question, ou de nous-mêmes sur le RNV3P. La tribune que j'ai évoquée indiquait une complexité et un problème de lisibilité du dispositif de santé au travail. En rebondissant sur ce constat, il faut se garder de le complexifier encore plus en analysant toute proposition au regard de l'existant et de ses possibilités d'évolution. C'est ce qu'on va faire par rapport à ces travaux et cette proposition. Nous lirons cette thèse pour voir comment en tirer des informations et des enseignements qui pourraient nous amener à repenser une évolution du dispositif de vigilance sur la santé au travail en général.
La deuxième question concernait la chaire internationale de santé au travail. Nous avons été approchés par M. Loïc Lerouge, du laboratoire COMPTRASEC de l'université de Bordeaux, qui porte le projet. Sans trahir de secret, il me semble que le ministère du travail soutient cette initiative. En tant que coordinateur des réflexions sur la promotion de la recherche, de la production de connaissance et la structuration des données en santé au travail dans le cadre de la préparation du PST 4, j'ai travaillé avec l'ensemble des partenaires institutionnels, agences et institutions de prévention qui ont participé à ces réflexions (INRS, Anact, Santé publique France, CNAM et sa direction des risques professionnels-DRP) pour soutenir le développement de chaires spécialisées en santé au travail, et en particulier de la chaire internationale de santé au travail comparée. Je ne sais pas si elle sera retenue à l'issue de la phase de discussion avec les partenaires sociaux et l'État. En tout cas, cette chaire internationale réunit, ou propose de réunir en son sein l'ensemble des acteurs de la santé au travail dans une approche très pluridisciplinaire, qui inclut la dimension de l'analyse juridique, qui est une des spécialités du laboratoire COMPTRASEC. C'est en ce sens que cela nous a beaucoup intéressés et que l'idée de la soutenir comme nouvel opérateur de recherche a été évoquée dans le cadre du PST 4. La même difficulté revient toujours : il faut faire vivre ces chaires et voir dans quelle mesure les soutenir financièrement et éviter une dispersion des moyens financiers et humains. La multiplication d'initiatives de recherche comme celle-ci épuise des ressources limitées, voire en déclin. Cela nécessiterait une réflexion sur le soutien, de manière générale, de la recherche en santé au travail.
Professeur Gérard Lasfargues. - Sur les autres questions, sur le télétravail, je m'associe aux propos de M. Abadie et M. Pimbert : cette situation n'est pas appelée à durer indéfiniment, et il faut, à côté d'une bonne organisation du télétravail, mettre en place, au niveau des entreprises et en lien avec les partenaires sociaux des entreprises, des dispositifs permettant d'anticiper les risques de décompensation ou de santé mentale des salariés en télétravail. Cela se ferait au niveau des ressources humaines.
Je voudrais rajouter quelque chose de plus général par rapport au télétravail et à la généralisation des horaires atypiques en milieu de travail. L'ANSéS a rendu un avis avec des recommandations sur le travail de nuit et le travail posté. Dans le contexte de la crise de la covid-19, d'autres formes d'horaires atypiques se sont développées : je pense au travail du samedi et du dimanche, à l'imprévisibilité des horaires de travail, aux grandes amplitudes des horaires de travail, ou au travail tôt le matin et tard le soir dans beaucoup de métiers de service. L'ANSéS travaille sur toutes ces formes et rendra un rapport ou un avis avec des recommandations par rapport à ces problématiques dans un futur assez proche. Il est important d'avoir cela en tête pour ne pas forcément trop compartimenter mais avoir la possibilité de prendre des mesures de recommandation et de prévention, notamment primaires, sur ces formes atypiques de travail. Elles ont en effet de lourds impacts sanitaires, en particulier sur la santé psychique.
Sur la démographie en santé au travail, notamment s'agissant des médecins et des infirmiers, je m'associe à ce qu'a dit Stéphane Pimbert. Des formations d'excellent niveau existent pour les infirmiers de santé au travail, mises en place au niveau hospitalo-universitaire par le biais de diplômes interuniversitaires ou de licences et masters professionnels. Il est évident que la prévention en santé au travail, et notamment celle menée par le médecin du travail, doit faire appel à la pluridisciplinarité. Le médecin du travail ne peut pas tout faire. Il doit pouvoir s'entourer de gens bien formés, que ce soit des infirmiers de santé au travail, des techniciens ou encore des ergonomes. Il est important de pouvoir préserver, voire donner plus de moyens à ces équipes pluridisciplinaires, pour que le médecin du travail puisse exercer son rôle de coordinateur avec des moyens suffisants et en toute indépendance. Dans ce cadre, il faut aussi préserver ce qui fait l'essentiel de la fonction de médecin du travail : la capacité d'articuler d'une part son travail de clinicien - aller au chevet du salarié qu'il est le seul à pouvoir ausculter comme un patient - et d'autre part le fait d'être présent dans l'analyse des conditions de travail et de faire le lien entre la santé individuelle du salarié et les conditions et l'organisation du travail au niveau collectif. Préserver la visite de pré-reprise médicale pour le médecin du travail avec le salarié est essentiel. C'est lui qui connaîtra les deux aspects du problème et qui est à même d'articuler et de coordonner des actions de prévention exercées par les différents acteurs, comme l'aménagement de poste.
Je vais parler plutôt en tant que professeur de médecine et de santé au travail. Je suis co-responsable, à l'université Paris-Est Créteil, d'un diplôme inter-universitaire pour former les référents handicap en entreprise. Des acteurs sont intéressés et travaillent du mieux possible, mais il manque souvent un lien et une coopération au niveau individuel avec les salariés, et un aspect plus macroscopique. Il faut pouvoir avoir une formation des médecins du travail - ou de référents en entreprise dans leur domaine - qui puisse coordonner les différents acteurs. Cela vaudra mieux que de juxtaposer des dispositifs nouveaux à ceux qui existent déjà.
Si les cellules de lutte contre la désinsertion professionnelles jouent ce rôle de ciment des différentes actions en assurant une vraie coordination, cela peut être un acteur intéressant à l'échelon régional.
Le dernier élément que je voulais signaler portait sur le passeport de prévention. Cela ressort principalement de la négociation entre les partenaires sociaux. Il faut bien sûr conserver la responsabilité de l'évaluation et de la mise en place de moyens de prévention des risques professionnels à l'employeur et ne pas la déporter sur les salariés qui subissent éventuellement ces risques professionnels.