Intervention de Gérard Lahellec

Réunion du 15 avril 2021 à 14h45
Droit à l'eau — Discussion et retrait d'une proposition de loi

Photo de Gérard LahellecGérard Lahellec :

N’oublions pas que si, aujourd’hui, nous sommes nombreux à bénéficier de l’eau courante, obtenue sans courir, tel n’est pas le cas de tous, en particulier des plus démunis. Par ailleurs, certaines régions connaissent, certains étés, de plus en plus fréquemment, un stress hydrique qui conduit au rationnement de la ressource.

Avec l’air, l’eau est en effet la ressource vitale, essentielle à la vie et aux activités économiques. Sans un accès sécurisé à une eau potable de bonne qualité, l’être humain reste tributaire de la satisfaction de ce besoin : pas de dignité possible, pas de développement durable, pas de justice sociale, pas d’accès aux fruits de la croissance ! Je suis convaincu qu’il ne se trouve personne dans cet hémicycle pour s’opposer à l’idée que l’eau potable est un bien commun dont aucun être humain ne devrait être exclu. C’est aussi ce que j’ai perçu au sein de la commission lors de nos débats.

Des progrès ont déjà été accomplis, venant du législateur, mais aussi des élus locaux, des instances internationales et d’initiatives portées par des ONG.

Le droit à l’eau progresse ; il se constitutionnalise dans certains pays ; il est reconnu par l’Organisation des Nations unies. Des pays et des collectivités ont d’ores et déjà instauré la gratuité des premiers volumes.

La prise de conscience existe également au niveau européen : la nouvelle directive européenne sur l’eau potable, de décembre 2020, en constitue un parfait exemple.

Nous n’arrivons donc pas sur un terrain vierge de toute avancée. Je ne vous demande pas d’être révolutionnaires ni d’aller à l’encontre de vos sensibilités politiques : il s’agit simplement de parfaire l’œuvre déjà accomplie, dans un esprit humaniste.

Ce droit est reconnu, proclamé et consacré. Mais il y a le droit et il y a le fait. Or le droit, insuffisamment opposable et trop souvent déclaratoire, ne reflète pas le fait.

Aujourd’hui, 2, 2 milliards d’êtres humains n’ont toujours pas un accès sécurisé à l’eau potable.

Notre pays n’est pas épargné par certaines formes de précarité en eau. Il y a les « exclus de l’eau » : 1, 4 million de Français métropolitains, les personnes sans domicile fixe ou vivant dans des habitats de fortune. Il existe aussi les « précaires en eau », à savoir les ménages consacrant plus de 3 % de leur budget à payer leurs factures d’eau. Ils représentent, selon les associations que j’ai entendues, plus de 1 million de personnes. Voilà pour ce qui est de l’écart entre le droit et le fait.

Le législateur n’est pas resté insensible à cette question et a essayé, compte tenu de l’écart existant, de rendre le droit plus effectif.

La loi Brottes de 2013 a interdit les coupures d’eau des ménages pour impayés et a mis en œuvre une expérimentation de tarification sociale de l’eau. À la différence des aides curatives, ponctuelles, partielles et non automatiques, les aides préventives s’appliquent dès lors que le foyer satisfait aux critères prédéfinis et prennent la forme soit d’une tarification intégrant une première tranche dite sociale universelle, soit d’une allocation eau. La ville de Rennes a, par exemple, instauré, pour tous, une première tranche gratuite de dix mètres cubes.

La loi Engagement et proximité de 2019 a pérennisé ces possibilités et mis à la disposition des collectivités qui le souhaitent une boîte à outils destinée à favoriser l’accès à l’eau de tous.

Face à ce constat, il est nécessaire de consolider les acquis en garantissant de manière encore plus effective le droit d’accès à l’eau.

L’eau n’a pas de prix, mais elle a un coût, qui est celui de son acheminement, de son traitement et de son assainissement. Les services de l’eau, industriels et commerciaux, reposent sur une logique de tarification à l’usager bénéficiaire, et non sur un financement par l’impôt. En vertu de la libre administration des collectivités territoriales, les communes et EPCI qui en assurent la distribution sont libres de mettre en œuvre des politiques locales en vue de favoriser l’accès de l’eau aux populations précaires ou marginalisées.

J’ai entendu les propos de certains de mes collègues au cours de l’examen du texte en commission. Selon eux, la gratuité d’une ressource rare n’est pas une bonne idée, parce qu’elle inciterait au gaspillage et véhiculerait une pédagogie contraire aux nécessités de notre temps. Tel n’est pas l’esprit de ce texte ! Il instaure uniquement la gratuité d’une volumétrie essentielle, indispensable à la vie et à la dignité. Le surplus, au-delà ce qui est nécessaire pour étancher sa soif et pourvoir à son hygiène, continuerait bien entendu à faire l’objet d’une facturation à l’usager, pour ne pas remettre en cause l’équilibre financier des collectivités gestionnaires ou délégantes.

J’achèverai mon propos en citant la directive européenne sur l’eau potable, qui enjoint aux États européens l’installation d’« équipements dans les espaces publics, lorsque cela est techniquement réalisable ». Le texte que nous examinons aujourd’hui est l’occasion d’en commencer la transposition et de garantir véritablement un droit à l’eau pour tous en France. Le bloc communal serait responsable de la mise en œuvre de cette noble mission, au plus près des besoins, en vertu du principe constitutionnel de subsidiarité.

La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable n’a pas adopté cette proposition de loi. À titre personnel, vous l’aurez compris, j’y suis toutefois favorable. La France pourrait s’enorgueillir d’avoir mis fin, par des mesures simples et de bon sens, aux situations de pauvreté et de précarité en eau.

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