Intervention de Noémie Angel

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 7 avril 2021 à 9h00
Audition des représentants des inspections de l'état auteurs du rapport relatif aux dispositifs zonés de soutien du développement économique et de l'emploi dans les territoires

Noémie Angel, inspectrice générale de l'administration :

Je vais vous présenter succinctement la mission réalisée au printemps dernier par le conseil général du développement et de l'environnement durable (CGEDD), l'inspection générale de l'administration (IGA), que je représente, l'inspection générale des finances (IGF) et l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur les dispositifs zonés d'exonérations fiscales et sociales à destination des entreprises. Ces dispositifs bénéficient à des quartiers en difficultés de communes urbaines - quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), zones franches urbaines et territoires entrepreneurs (ZFU-TE) -, à des zones rurales - zones de revitalisation rurale (ZRR) et zones de développement prioritaire (ZDP) - et à des territoires en reconversion économique - bassins d'emploi à redynamiser (BER), bassins urbains à dynamiser (BUD), zones de restructuration de la défense (ZRD).

Notre mission a constaté leur faible efficacité en matière de création d'entreprises et d'emplois. Pourquoi ? D'abord, les zonages se sont multipliés, voire superposés sur les territoires, avec à chaque fois des critères particuliers de définition et d'accès aux exonérations, ce qui a créé des règles complexes pour les entreprises. Au total, alors que plus de la moitié des communes sont concernées par un ou plusieurs zonages nationaux, seules 2,3 % des entreprises bénéficient des exonérations. En ZRR, seulement 7 % des entreprises éligibles aux exonérations d'impôt sur le revenu (IR) et d'impôts sur les sociétés (IS) y ont eu recours. Ensuite, notre mission a constaté la forte attractivité des exonérations pour les activités libérales, facilement relocalisables et peu créatrices d'emploi. Notre constat de faible efficacité sur la création d'entreprises et sur l'emploi a, du reste, été souligné par l'ensemble des études économiques fines réalisées ces dernières années.

Deuxième constat : les exonérations zonées sont trop souvent un levier d'action que les acteurs utilisent par défaut, faute d'une alternative plus efficiente ; elles n'exercent guère d'effet d'entraînement sur les stratégies territoriales de développement économique.

Pour les entreprises, la fiscalité n'est pas le facteur déterminant d'installation : elle s'intègre dans une offre globale de services aux acteurs économiques proposée par les collectivités publiques d'un territoire. Pour les collectivités locales, ce zonage marque la reconnaissance de leur vulnérabilité, mais il est très rarement utilisé comme cadre de référence pour les actions des régions, voire des départements et des intercommunalités, en faveur des territoires vulnérables - d'autant que les régions et les départements ont leurs propres outils et découpages territoriaux. Pour l'État, si les ZRR servent à l'allocation de certaines aides publiques ou au calcul de dotations, les zonages ne sont pas articulés aux programmes d'intervention de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ni, pour la plupart, aux contrats territoriaux, comme les contrats de ruralité.

À partir de ces constats, notre mission a identifié les conditions préalables à toute réforme. Premièrement, il est nécessaire d'adopter une approche plus dynamique et moins figée des territoires vulnérables, s'inscrivant dans une dimension non seulement curative, mais aussi préventive, et intégrant les enjeux de la transition écologique et de la cohésion européenne.

Deuxièmement, les dispositifs zonés d'exonération sociale et fiscale doivent s'intégrer dans une offre de services aux entreprises et prendre part aux stratégies de développement local portées par les collectivités

Troisième condition de réussite : il n'y a pas de réforme possible sans mobilisation de l'ensemble des acteurs locaux publics et privés avec une gouvernance structurée. Pour fédérer les acteurs, les exonérations zonées doivent intégrer les contrats territoriaux existants.

Plus globalement, toute réforme nécessite une concertation avec les acteurs des territoires. C'est pourquoi la mission a recommandé de prolonger au minimum d'un an le dispositif des exonérations pour prendre le temps de construire cette réforme avec les forces vives du territoire.

Pour l'avenir, la mission propose trois scénarios de réforme qui pourront servir de base à une concertation avec les territoires. Dans les trois cas, les demandes nouvelles d'exonérations zonées de cotisations sociales ne seraient plus satisfaites et les mesures résiduelles s'éteindraient progressivement, ce qui est justifié par les baisses générales consenties aux entreprises en contrepartie de l'abandon du Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).

Le premier scénario est celui de la rationalisation des dispositifs actuels, en particulier des ZRR. Il consiste à réduire le nombre de zonages tout en maintenant le triptyque « territoires ruraux, territoires urbains, territoires en reconversion industrielle », et à concentrer l'effort financier sur les territoires ruraux les plus vulnérables. Deux niveaux d'intervention seraient ainsi définis : un premier niveau, ZRR 1, reprenant le périmètre actuel et conservant l'ensemble des aides spécifiques au milieu rural existantes. Un second niveau plus concentré, ZRR 2, ouvrirait droit, en supplément, aux exonérations fiscales. Le zonage en ZRR 2 serait établi en ajoutant aux critères existants un critère d'accès aux services.

Dans tous les cas, la mission préconise de faire des ZRR un véritable levier de l'agenda rural en développant des mesures ciblées en faveur des territoires ruraux les plus vulnérables. De plus, ce scénario propose des simplifications pour les entreprises afin d'accroître le taux de recours aux exonérations : critères d'accès simplifié, accompagnement d'une durée adaptée.

Le scénario 2 intègre les dispositifs d'exonérations zonés dans une stratégie de développement économique transversale adaptée à chaque territoire et co-construite avec l'ensemble des acteurs intéressés. À l'échelle nationale, l'enjeu est de mettre fin à l'approche sectorielle et géographique du zonage pour adopter une notion unifiée de territoire vulnérable, en écartant les spécialisations géographiques et sectorielles actuelles. Pour ce faire, la mission propose de définir, dans le cadre d'une concertation avec les collectivités locales et les partenaires économiques et sociaux, deux séries de paramètres : d'une part, des critères permettant d'arrêter les listes régionales des territoires vulnérables éligibles à l'exonération fiscale d'État (directe ou compensée aux collectivités), et, d'autre part, la liste des indicateurs optionnels permettant une adaptation territoriale de la géographie prioritaire hors fiscalité des régimes d'aide.

À l'échelon régional, la mission propose qu'un accord entre le préfet de région et le conseil régional définisse la carte régionale des territoires vulnérables, en concertation avec les autres acteurs locaux ; puis, sur la base de l'ensemble des indicateurs retenus, ils élaboreraient une stratégie commune d'intervention dans ces territoires vulnérables. Cette stratégie donnerait lieu à des contrats d'échelle intercommunale, lesquels serviraient de cadre pour mobiliser l'ensemble des leviers d'aide économique à l'échelle intercommunale qu'il s'agisse de fonds européens, de dotations, voire de leviers réglementaires de l'État - à travers les pouvoirs de dérogation du préfet - mais également des politiques des collectivités locales, ce qui inclut les délégations de compétences.

Le principal avantage de ce scénario est de conjuguer les outils de développement économique des territoires vulnérables dont disposent l'État et les collectivités territoriales pour créer un effet de synergie territoriale. Le contrat doit permettre de développer une stratégie locale différenciée en fonction des réalités économiques du territoire concerné.

Enfin, le scénario 3supprime les zonages nationaux et les exonérations au profit de pactes régionaux de relance et d'aides directes aux entreprises. Pourquoi supprimer les zonages ? Outre leur effet stigmatisant, ils reposent sur un postulat d'équivalence entre inégalités sociales et territoriales ; surtout, ils ne reflètent pas les dynamiques entre territoires et, comme le souligne le géographe Daniel Béhar, l'échelle des problèmes diffère souvent de celle des solutions.

Dans cette perspective, le scénario 3 propose, tout d'abord, un diagnostic approfondi des territoires vulnérables dans chaque région, associant tous les acteurs du développement local et notamment les milieux économiques? ; puis la formalisation, sur le fondement de ce diagnostic, des objectifs de développement et des engagements de chaque acteur dans un pacte régional de développement des territoires. Ce troisième scénario prévoit également la mobilisation d'un fonds d'appui régional aux entreprises, relais financier des priorités économiques identifiées localement, auquel l'État apporterait un montant global équivalent aux exonérations supprimées et qui pourrait être abondé par les collectivités et l'Union européenne. Enfin, le pacte régional serait décliné à l'échelle des EPCI, selon les objectifs spécifiques du territoire dans des contrats territoriaux uniques regroupant l'ensemble des contrats préexistants.

Je précise que notre mission a rendu son rapport début juillet 2020, donc avant le lancement des contrats de relance et de transition écologique.

Je souligne qu'aucun dispositif, y compris celui des exonérations fiscales et sociales, ne peut régler à lui seul les problèmes complexes liés au développement économique et à l'emploi que connaissent les territoires vulnérables. Ces territoires en souffrance, dont on peut prévoir qu'ils seront plus nombreux à l'issue de la crise économique et sociale que nous traversons, nécessitent une approche à la fois agile, souple et différenciée selon les enjeux locaux.

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