Intervention de Nicolas Fricoteaux

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 7 avril 2021 à 9h00
« la réforme de la géographie prioritaire de la ruralité : quels critères et quels outils de politique à mobiliser pour répondre aux fragilités et à la diversité des territoires ruraux ? » — Audition de représentants d'associations d'élus locaux

Nicolas Fricoteaux, président du conseil départemental de l'Aisne qui s'exprime au nom de l'assemblée des départements de France :

Je vous remercie, au nom de l'ADF, de nous donner la parole sur ce dossier très important pour les territoires ruraux. Il est essentiel de tenir compte de leur très grande diversité et, à ce titre, je rappelle qu'en 2019, les propositions liminaires d'une commission évoquaient la possibilité de classements différenciés selon les difficultés de la ruralité (Zones de Revitalisation Rurales ZRR 1, ZRR 2, ZRR 3). Ces classements nuancent ce qui pourrait être mis en oeuvre dans les zones rurales. Cet aspect me semble important, car les problématiques de la ruralité sont variées.

Quelles solutions pouvons-nous apporter aux collectivités, communes et intercommunalités ? Nous devons tout d'abord autoriser la polyvalence dans la fonction publique dès qu'elle est possible. Nous avons besoin de professeurs polyvalents dans les collèges pour que les équipes soient mieux structurées, concentrées sur un seul établissement, et non pas dispersées sur plusieurs établissements en raison d'un faible nombre d'heures dans une matière. Il restera toujours difficile de recruter un agent sportif ou à connotation culturelle si nous empêchons la bivalence. Par exemple, un agent embauché dans les services techniques doit pouvoir, le cas échéant, être éducateur sportif, sans cela, nous ne parviendrons jamais à structurer une offre de qualité pour la population. Il est impératif d'ajuster les règles à l'échelle territoriale et, selon les densités ou le classement géographique, nous devons pouvoir instaurer la polyvalence dans les équipes d'agents et dans la fonction publique.

Les ZRR ouvraient droit, auparavant, à un mécanisme d'exonération d'impôt sur les bénéfices relativement conséquents dans la durée. Un dispositif semblable mériterait d'être déployé en matière de cotisations sociales pour favoriser le développement de l'emploi. De plus, la réglementation n'est pas toujours appliquée avec bienveillance. Par exemple, dans ma commune, un dentiste par ailleurs implanté dans une ville hors ZRR souhaitait s'installer dans une zone de revitalisation rurale. Or, sa présence dans une zone hors ZRR l'a empêché d'être éligible au dispositif d'exonération. Il était pourtant important qu'il puisse intervenir quelques jours en ZRR pour limiter la fracture médicale. Nous pourrions donc, dans de tels cas, revoir les règles d'éligibilité à un dispositif qui pénalisent certains territoires.

Il convient également de faciliter l'investissement immobilier par les collectivités. Nous investissons parfois à la place du secteur privé, quand celui-ci ne souhaite pas prendre de risques importants. Par exemple, nous avons racheté un hôtel-restaurant ainsi qu'un garage et nous avons ouvert une maison médicale. La Dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et les aides des départements sont intéressantes, mais il faut certainement imaginer des dispositifs plus puissants de soutien à l'investissement des collectivités, car la problématique immobilière reste un sujet difficile à résoudre pour les porteurs de projets.

Dans le secteur de l'éducation, des primes de ruralité me semblent indispensables, à l'instar de celles qui ont été mises en place dans certaines zones urbaines difficiles. Des valorisations de carrière seraient également opportunes pour que les enseignants aient envie de venir et de rester dans les ZRR.

Une dotation de centralité était autrefois accordée dans les anciens chefs-lieux de canton et les communes concentrant plus de 15 % de la population, mais cette aide n'est plus sanctuarisée. J'attire l'attention sur ce point, car ces communes assument les charges de centralité en ruralité.

Par ailleurs, les infrastructures de communication sont essentielles pour revitaliser les zones rurales. Sur la téléphonie mobile, le New Deal est tout à fait positif, mais il conviendrait, en complément, de proratiser une dotation supplémentaire pour les départements comptant des ZRR. Une telle bonification des dotations du New Deal me semble opportune pour accroître les moyens accordés par l'État au développement de la fibre.

S'agissant de l'emploi, j'évoque à nouveau les exonérations de cotisations sociales pour préconiser un élargissement du champ de ces dispositifs. Les sièges sociaux des entreprises se localisent souvent en région parisienne. Une mesure inscrite dans le PLF 2016 visait à redistribuer la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) en fonction de l'implantation des sites, mais ce dispositif n'a toujours pas été mis en oeuvre et cette injustice mériterait d'être corrigée.

Nous rencontrons parfois des difficultés de recrutement et de compétences. Pour y remédier, un dispositif pourrait prévoir, outre une exonération de charges sociales, une réduction du coût du poste pendant une ou deux années afin que les personnes au RSA bénéficient d'une période d'immersion ou d'adaptation. Grâce à cet accompagnement financier du département - voire de l'État -, nous pourrions recourir à une main-d'oeuvre locale dépourvue d'emploi sur des postes ouverts dans les ZRR.

Dans le cadre de leur solidarité territoriale, les conseils départementaux sont volontaires pour contribuer à l'équilibre de l'écosystème dans les zones rurales. Encore faut-il leur donner les moyens d'agir en ce sens. Nous avons travaillé sur les péréquations des droits de mutation : ces derniers sont très largement perçus par des zones plus dynamiques et beaucoup moins par les zones rurales ou les zones en déprise économique. La solidarité territoriale pourrait être favorisée par les conseils départementaux, à condition qu'ils en aient les moyens : pour ce faire, il convient certainement de revoir les éléments de péréquation et d'équilibre des ressources entre les départements.

J'ai étudié les propositions formulées en 2019 par votre commission et celle des finances dans le rapport d'information de M. Bernard Delcros, Mme Frédérique Espagnac et M. Rémy Pointereau. Il prévoit que, sous certaines conditions, les exonérations d'impôt sur les bénéfices pourraient être étendues au maintien d'activités existantes et cet aspect me paraît essentiel. Je souligne à nouveau la nécessité de maintenir, voire d'améliorer, les dotations aux anciens chefs-lieux. D'une manière générale, les propositions émises sur le sujet me semblent intéressantes. Il convient sans doute d'étendre les exonérations de cotisations sociales, en complément des exonérations d'impôt.

Bien sûr, nous devons être attentifs à ne pas interrompre trop brutalement les dispositifs existants. Si des mesures ou des classements en ZRR devaient être mis en cause, un lissage serait nécessaire, afin que les territoires puissent se préparer à un nouveau système.

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