Intervention de Arnaud Gossement

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 7 avril 2021 à 16h30
Projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1er de la constitution et relatif à la préservation de l'environnement — Audition de juristes

Arnaud Gossement, docteur en droit, professeur associé en droit à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne :

avocat à la cour, docteur en droit, professeur associé en droit à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. - J'ai lu avec intérêt les comptes rendus des premières auditions auxquelles la commission des lois a procédé, notamment celle des professeurs Bertrand Mathieu et Jessica Makowiak. Je vois deux questions supplémentaires, par rapport à celles que vous nous avez posées. La première porte sur l'incidence de cette réforme pour l'article 34 de la Constitution ; elle figure d'ailleurs au point 11 de l'avis du 14 janvier 2021 du Conseil d'État. La seconde, qui a suscité des débats importants en commission, porte sur une éventuelle hiérarchisation des normes constitutionnelles à la suite de cette révision.

Il est rarement question dans les débats du point 11 de l'avis du Conseil d'État. Celui-ci s'est inquiété de savoir si, en fractionnant la notion d'environnement avec cette phrase, qui distingue l'environnement, la diversité biologique et le dérèglement climatique - ce que le pouvoir constituant s'était refusé à faire en 2004, au moment de l'élaboration de la Charte de l'environnement - la révision n'allait pas avoir pour conséquence de priver le législateur de la possibilité de s'intéresser à d'autres sujets que l'environnement stricto sensu. En effet, l'article 34 de la Constitution précise que le législateur fixe les principes fondamentaux de la préservation de l'environnement. Si l'environnement est détaché du climat et de la diversité biologique, nous dit le Conseil d'État dans ce point 11, cela introduira un doute sur la compétence du législateur pour traiter d'autres sujets que celui de l'environnement.

Il faut répondre à ce point précisément pour rassurer l'ensemble des juristes en droit de l'environnement, en précisant bien que par cette réforme, si vous la votiez, la notion d'environnement ne serait pas fractionnée, et que le législateur pourrait continuer à s'intéresser à d'autres sujets que l'environnement stricto sensu. Sinon, on aboutira à une logique en silos : l'environnement, la diversité biologique, le dérèglement climatique. Imagine-t-on, demain, voir rejeter une QPC fondée sur la Charte de l'environnement, au motif que celle-ci ne traiterait pas du climat ni de la diversité biologique ? Elle traite de la diversité biologique dans son considérant introductif, mais le mot « climat » n'y figure pas - c'est d'ailleurs l'un des arguments des partisans de la révision que de dire que la Charte ne parle pas de climat. Vous n'allez pas mettre ce mot dans la Charte, mais ailleurs. De ce fait, non seulement la loi verrait son périmètre réduit, mais je vais plus loin que le Conseil d'État : je me demande si demain nous pourrons prétendre que la Charte de l'environnement traite de la question du climat, voire de celle de la diversité biologique.

La question est posée par le Conseil d'État. Dans les débats à l'Assemblée nationale, aucune réponse n'est venue de la part du Gouvernement, ce qui me paraît assez grave, puisque c'est votre compétence qui est en jeu !

La seconde problématique qui me semble extrêmement importante est de savoir s'il y aura une hiérarchisation nouvelle des normes constitutionnelles. Il me semble que non. J'attire votre attention sur le fait que cette hiérarchisation aurait procédé de l'emploi du verbe « garantir », si cela doit créer une obligation de résultat. Je pense, comme Christian Huglo, que cela n'aura pas d'effet sur le contentieux, ni constitutionnel ni administratif.

Mais pourquoi se focalise-t-on sur le verbe, et pas sur le sujet ? Qui garantit ? Dans l'article 2 de la Charte de l'environnement, qui a la même fonction de créer un devoir de protection de l'environnement, il est question de « ?toute personne ». « Toute personne », nous savons que c'est un sujet de droit, et cela a d'ailleurs été confirmé par le Conseil constitutionnel. Mais, dans la phrase que vous allez peut-être adopter, il est question de « la France ». La France, c'est qui ? Le débat parlementaire devrait répondre à cette question quelque peu philosophique.

Jessica Makowiak, professeur réputée, a posé au cours de son audition une question qui doit aussi être traitée. Elle rappelle que la Constitution contient déjà le verbe « garantir », puisque le préambule de la Constitution de 1946 précise que la loi garantit l'égalité des droits entre les hommes et les femmes. Force est de constater que, malgré cette action puissante en 1946, la loi ne garantit toujours pas l'égalité des droits entre les hommes et les femmes. Je me demande donc si certains débats sur le verbe « ?garantir » ne sont pas hors sujet... La vraie question est plutôt celle du sujet.

En tous cas, il me semble que cette révision constitutionnelle n'apporterait rien par rapport à l'article 2 de la Charte de l'environnement, si ce n'est le fractionnement de la notion d'environnement, que le Congrès avait refusé avec sagesse en 2004. Actuellement, le Conseil constitutionnel peut tout à fait parler du climat. Sur l'évolution du contentieux, je vous renvoie à la décision de 2000 sur la loi de finances pour 2001 : le Conseil constitutionnel s'était préoccupé, déjà, de dérèglement climatique, à propos de la continuité de la taxe générale sur les activités polluantes. Cela prouve que, s'il le souhaite, il peut étendre son contrôle à cet enjeu, sans qu'il soit pour cela nécessaire de modifier la Constitution.

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