Intervention de Marta Torre-Schaub

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 7 avril 2021 à 16h30
Projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1er de la constitution et relatif à la préservation de l'environnement — Audition de juristes

Marta Torre-Schaub, directrice de recherche au CNRS à l'Institut des sciences philosophique et juridique de la Sorbonne :

Ce projet de loi constitutionnelle porte une ambition très forte pour la France concernant la cause environnementale et la cause climatique. Nous faisons face à des phénomènes globaux et interdépendants, qui affectent toute la planète. La France a pris conscience de cette urgence, à la fois écologique et climatique, depuis peu de temps. Le Haut conseil pour le climat a rappelé le manque de cohérence, en France, entre les moyens déployés et les ambitions. L'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique, tout comme l'avait fait auparavant le GIEC, fait également le lien entre l'urgence environnementale, la perte de biodiversité et le réchauffement climatique.

La formule retenue - la France « garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique » - a une portée symbolique, mais également juridique, forte. L'emplacement, entre le préambule et le titre 1er de la Constitution, en fera, comme l'avait dit René Cassin, une sorte de préambule prolongé. En tous cas, ce texte créera un principe constitutionnel plein et entier.

Si ce projet de loi constitutionnelle est voté, la France sera le premier État européen, et l'un des premiers États de l'hémisphère nord, à inscrire la lutte contre le dérèglement climatique dans sa Constitution. Ce texte se place dans la continuité d'autres révisions constitutionnelles : celle de 2005, avec la Charte, et celle de 2008, qui reconnaît au Conseil économique et social une compétence en matière environnementale. Il ne s'agit nullement de remplacer ce qui existe déjà : cela viendrait plutôt en complément, voire en renforcement.

La référence à la France, contrairement à ce qui a pu être dit, concerne l'État et recouvre également les pouvoirs publics nationaux et locaux. Cela pointe vers un niveau d'action à la fois national et territorial, sans exclure le niveau international : la France est l'État par rapport à l'extérieur aussi.

Ajouter à la notion d'environnement, plus générique, celle de diversité biologique et de dérèglement climatique me semble justifié, car ces deux notions ont pris une place essentielle ces derniers temps dans notre société. Cela s'inscrirait dans un mouvement bottom-up puisqu'il existe une demande forte venant de la société.

Sur le verbe « garantir », je suivrai l'avis du garde des Sceaux : il revient à assurer sous responsabilité l'exécution de quelque chose dans des conditions parfaitement définies. Je pense que cela pourrait apporter beaucoup de clarté à une certaine ambiguïté - et parfois même un certain oubli - qui existe aujourd'hui sur la protection de l'environnement. Le verbe « lutter » s'inscrit dans la même logique, qui est aussi celle de la plupart des textes nationaux, mais également internationaux et européens, visant la lutte contre le réchauffement climatique. Il s'agit de verbes d'action qui auront des conséquences fortes, avec des garanties constitutionnelles renforcées.

Il convient de rappeler que, jusqu'à présent, le Conseil constitutionnel a considéré que la question environnementale et climatique était un objectif d'intérêt général. Ce projet de loi constitutionnelle la consacrerait comme un principe constitutionnel, qui aura beaucoup plus d'impact qu'un simple objectif.

Cela peut avoir trois conséquences majeures : ériger la préservation de l'environnement, élargie et renforcée, en principe constitutionnel ; instaurer un principe d'action des pouvoirs publics en général en faveur de l'environnement ; créer une obligation renforcée de résultat, ou de moyens. En tous cas, cela permettra d'étendre la responsabilité des acteurs publics en matière environnementale.

Reste la question de l'articulation avec l'article 6 de la Charte de l'environnement, qui porte sur les politiques publiques devant promouvoir un développement durable et, à cet effet, concilier la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social. Il faudra trouver des solutions, mais cela ne semble pas très compliqué si l'on inscrit la préservation de l'environnement à l'article 1er.

Reste enfin la crainte d'une multiplication des contentieux. Je n'ai aucune crainte, d'abord parce que ces contentieux existent déjà : ce n'est pas parce qu'on va inscrire la préservation de l'environnement à l'article 1er de la Constitution qu'ils vont se multiplier. D'ailleurs, ils ne sont pas si nombreux. De plus, cela pourrait avoir un effet vertueux : si l'État doit augmenter ses ambitions et relever ses objectifs dans la lutte contre le dérèglement climatique et la protection de la diversité biologique et de l'environnement, il y aura davantage de cohérence entre les moyens de la France et ses ambitions, ce qui ne pourra que diminuer le risque contentieux. C'est un pari que je souhaite faire.

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