Intervention de Chris Bowler

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 7 avril 2021 à 16h30
Table ronde avec des scientifiques sur le projet de loi constitutionnelle adopté par l'assemblée nationale complétant l'article 1er de la constitution et relatif à la préservation de l'environnement

Chris Bowler, titulaire de la chaire consacrée à la biodiversité au Collège de France :

L'une des façons dont la science tente de projeter l'avenir est de regarder le passé. Vis-à-vis de la biodiversité, il est ainsi possible d'examiner les changements survenus au cours de l'histoire de la vie sur terre, comment elle a évolué et s'est complexifiée. Celle-ci a été ponctuée par plusieurs extinctions massives à l'échelle planétaire, dont nous pouvons tenter de comprendre les causes. Cette analyse met en évidence une relation extrêmement étroite et des dépendances réciproques entre le climat et le monde vivant.

En pratique, chacun des cinq grands évènements d'extinction massive connus est généralement associé à une dérégulation du cycle du carbone et à des perturbations dans les quantités relatives de carbone présentes dans les réservoirs que sont l'atmosphère, la matière organique et la terre.

Aujourd'hui, en libérant massivement le carbone séquestré dans la terre, nous libérons d'énormes quantités de CO2 dans l'atmosphère, dans des proportions probablement plus importantes que lors de toutes les extinctions massives passées. En se comportant comme un gaz à effet de serre, le CO2 contribue au réchauffement climatique. En se dissolvant dans l'eau, il provoque également une acidification des océans.

Dans ce contexte, beaucoup d'espèces sont en danger. Au regard de la concentration actuelle de CO2 dans l'atmosphère, à hauteur de 417 ppm, nous pourrions faire face, d'ici 240 à 540 ans, à des taux d'extinction planétaires supérieurs à 75 %, soit le seuil définissant une extinction massive.

Les générations futures nous jugeront sur notre réaction face à cette perspective. De fait, nous sommes devenus une puissance capable d'influer sur le fonctionnement du système terrestre, aussi puissante que des centaines de volcans massifs. D'autres espèces avant nous ont provoqué des extinctions massives. Les microbes, en produisant du méthane ou du sulfure d'hydrogène, ont probablement déclenché une prolifération des plantes ayant elle-même entraîné une élimination massive de CO2 dans l'atmosphère par le biais de la photosynthèse, avec un impact sur les températures à l'échelle planétaire. Dans la situation actuelle, la différence est que, contrairement aux microbes et aux plantes, nous sommes conscients des dommages que nous causons et nous tentons d'y remédier.

À cet égard, les prochaines décennies seront critiques. Quels que soient les actions mises en oeuvre et les résultats obtenus, il est déjà trop tard pour éviter de graves perturbations du climat.

Dans ce contexte, le changement individuel apparaît nécessaire. Toutefois, le changement systémique l'est tout autant. Il nous faudra pour cela faire preuve de la volonté politique nécessaire, à l'échelle mondiale, c'est-à-dire à une échelle équivalente à celle du problème.

Nous aurons certes besoin de remèdes techniques pour répondre aux problèmes environnementaux. Néanmoins, appliquer des solutions spécifiques à chacun d'entre eux ne saurait être suffisant, tant ceux-ci sont interconnectés. La culture écologique ne saurait ainsi être réduite à une série de réponses urgentes et partielles aux problèmes immédiats de la pollution, de la détérioration de l'environnement et de l'épuisement des ressources naturelles.

L'ampleur du problème apparaît trop importante pour que nous puissions rêver d'un retour en arrière en nous contentant d'inciter à la consommation de produits bio. L'environnement a été si massivement modulé par l'Homme que même la préservation du milieu implique désormais des interventions.

Le système alimentaire et agricole mondial, s'il représente aujourd'hui la plus grande menace pour la biodiversité terrestre, doit aussi être perçu comme une opportunité d'améliorer notre rapport à l'environnement. Le développement d'une agriculture durable, plus efficace en termes de rendements et protégeant ou restaurant les habitats naturels, sera ainsi essentiel pour enrayer l'érosion de la biodiversité ou participer à sa reconquête.

Au regard du lien étroit entre la crise de la biodiversité et le changement climatique, il est nécessaire de promouvoir des solutions fondées sur la nature, pour atténuer le changement climatique, renforcer la résilience face à celui-ci tout en améliorant la biodiversité et le bien-être humain.

La crise de la Covid-19 a par ailleurs mis en évidence les freins qui subsistent à un dialogue efficace entre la science et la politique. En France, nous observons aujourd'hui un mouvement extrêmement dangereux vers « l'antiscience ». Les conditions favorables d'exercice de la science fondamentale se sont dégradées au cours des dernières années. En parallèle, une certaine résistance à la technologie se développe, vis-à-vis de l'énergie nucléaire, des OGM dans l'agriculture ou encore des vaccins. Les discussions autour de ces sujets nécessiteraient de reposer, sans manichéisme, sur les preuves scientifiques les plus rationnelles et les plus consensuelles. Le sentiment antiscientifique actuel compromet l'avenir technologique de la France. Il conviendrait donc, au niveau politique, de restaurer le soutien et l'investissement consacrés à la science fondamentale et à l'enseignement des sciences, particulièrement dans le domaine des sciences de l'environnement où il est nécessaire d'augmenter le rythme des découvertes face à la crise environnementale et climatique.

Dans cette optique, l'EMBL d'Heidelberg en Allemagne ouvrira prochainement une nouvelle division consacrée à la biologie planétaire. La France doit-elle aussi investir de la même manière dans ce champ ?

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