Intervention de Valérie Masson-Delmotte

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 7 avril 2021 à 16h30
Table ronde avec des scientifiques sur le projet de loi constitutionnelle adopté par l'assemblée nationale complétant l'article 1er de la constitution et relatif à la préservation de l'environnement

Valérie Masson-Delmotte, directrice de recherche au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies (CEA), membre du Haut Conseil pour le climat (HCC) :

La formulation proposée me semble relever davantage du registre juridique que du champ scientifique et s'apparente plus à un marqueur de choix de société. Cette formulation, qui reprend des termes utilisés couramment, me conviendrait donc.

Pour ce qui est de la pertinence d'agir au niveau national, il convient de garder à l'esprit que les actions menées localement peuvent produire des effets en cascade, tant sur la biodiversité que sur le climat. En pratique, les importations représentent aujourd'hui la moitié de l'empreinte carbone des populations vivant en France. Des leviers d'action existent sur ces filières d'approvisionnement, le cas échant dans le cadre européen en agissant sur le cahier des charges des commandes, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre importées ou les phénomènes de déforestation associés.

La Charte de l'environnement, quant à elle, n'a pas conduit à une évaluation des lois et des budgets sous l'angle de l'adaptation au changement climatique, des émissions de gaz à effet de serre ou des conséquences pour l'environnement. Elle n'a pas conduit à la mise en place de formations autour de ces enjeux dans le système éducatif ou à l'attention des acteurs des collectivités. Elle n'a pas non plus conduit à une réelle prise en compte de ces enjeux dans la commande publique. Cette charte, si elle était nécessaire, n'a pas été suffisante pour impulser une action en faveur de la préservation de l'environnement. Aujourd'hui, l'enjeu serait de positionner cette action au coeur des valeurs et des principes de la République, pour que les règles fondamentales de notre société ne soient pas déconnectées des milieux naturels dont elle dépend.

En France comme dans d'autres pays, le déni de l'influence de l'Homme sur le climat et de la sévérité des risques liés au changement climatique tend effectivement à s'atténuer. Cependant, des discours de l'inaction se développent. Des chercheurs en sciences sociales ont cartographié les discours d'inaction les plus fréquents. Le premier consiste à se dédouaner, en disant que nous ne pesons rien à titre individuel et que la responsabilité est collective. D'autres types de discours renvoient la responsabilité aux seuls individus, sans prendre en compte l'incidence de l'organisation des activités et du cadre réglementaire et juridique qui s'impose à tous. Les troisièmes types de discours reposent sur la résignation, considérant les transformations vaines ou trop lentes, en se focalisant non pas sur les actions possibles, mais sur ce qui nous échappe. D'autres mettent l'accent sur les effets indésirables de certaines actions, en préférant des politiques publiques perfectionnistes plutôt que pragmatiques. Un dernier type de discours plaide pour des actions non-transformatives, assorties d'encouragements plutôt que d'obligations. L'enjeu est de comprendre ces postures, qui conduisent à repousser des transformations pourtant indispensables pour agir sur le climat et la biodiversité.

Depuis les années 70, nous ne cessons d'affiner les constats concernant le changement climatique et l'influence de l'Homme sur le climat. Pour autant, cette accumulation d'éléments scientifiques et les négociations internationales successives peinent à générer des actions à la hauteur des enjeux. Il conviendrait donc d'impulser des changements structurels profonds, pour construire un nouveau cadre - les enjeux environnementaux n'ayant jusqu'ici guère été pris en compte dans le cadre juridique et constitutionnel de nos sociétés.

Enfin, je préciserai que la préservation de l'environnement a vocation, selon moi, à recouvrir les écosystèmes et la biodiversité, le climat, ainsi que la qualité de l'eau et de l'air.

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