Intervention de Christian Huglo

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 7 avril 2021 à 16h30
Projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1er de la constitution et relatif à la préservation de l'environnement — Audition de juristes

Christian Huglo, avocat à la cour, spécialiste du droit de l'environnement :

À mon sens, il est nécessaire d'adopter un texte, pour plusieurs raisons. Premièrement, il y a dans le code de l'environnement des dispositions très négatives pour s'adapter aux nécessités de la lutte contre le changement climatique. L'article L. 229-1 de ce code dispose ainsi que la lutte contre l'intensification de l'effet de serre et la prévention des risques liés au réchauffement climatique sont reconnues priorités nationales. Résultat : un arrêt de 1997 de la cour administrative d'appel de Nancy en déduit qu'il s'agit d'une invitation, et non d'une règle. Il y a donc un vide législatif sur le sujet. Doit-il être comblé par un texte constitutionnel ? Oui, car ce qui touche à la question du climat se trouve uniquement dans le préambule. Certes, par sa décision du 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel donne une valeur juridique à ce préambule, mais, pour les spécialistes de la procédure constitutionnelle, la reconnaissance par le Conseil constitutionnel ne va pas au-delà du statut d'objectif de valeur constitutionnelle (OVC), qui ne comporte aucune obligation de résultat.

Je considère également que la charte est insuffisante. En effet, la jurisprudence du Conseil constitutionnel fluctue, selon la matière traitée. Quant à l'avis du Conseil d'État, il traduit un certain agacement d'avoir été consulté pour la quatrième fois, et il invite à relire ses avis précédents ! Il nous met en garde, à tort selon moi, sur le mot « garantir ». S'il donne un commandement et établit une règle de droit, ce verbe, contrairement à ce qu'énonce le Conseil d'État, ne fonde pas une obligation de résultat, compte tenu de la matière. Si je prends un billet d'avion Paris-Francfort, j'ai un horaire déterminé ; là, il s'agit de faire le tour du monde... Il ne peut donc pas y avoir d'obligation concrète de résultat. Mais il y a une obligation intégrale et intensive de mobiliser tous les moyens. Le Conseil d'État a une préférence très nette pour le verbe « préserver » : mais c'est un synonyme du verbe « garantir » !

Quelles seraient les conséquences de l'adoption d'un tel texte ? Dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il n'y aurait pas de bouleversement, contrairement à ce qu'on entend parfois. Il sera amené à interpréter cette nouvelle phrase, certainement, et l'on assistera à une ouverture facilitée à la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Mais il n'y aura en aucune façon de dérèglement contentieux. Je suis bien placé pour le savoir, puisque je suis à l'origine, avec Corinne Lepage, de l'arrêt de Grande-Synthe du Conseil d'État rendu le 19 novembre dernier. Et il y a eu le jugement du tribunal administratif de Paris de février 2021 « Affaire du siècle » : la responsabilité de l'État a déjà été reconnue en dehors de ce texte. Pourquoi donc agiter un chiffon rouge et brandir la menace d'une apocalypse contentieuse ?

L'intérêt de ce texte constitutionnel est qu'il permettra de guider les assemblées parlementaires : le bouleversement portera sur les contours des études d'impact qui devront en tenir lorsqu'un projet de loi est déposé sur le bureau d'une assemblée. C'est là que son effet sera le plus fort.

Le contentieux international climatique s'est considérablement développé. Il y a dans le monde 146 États, dont le droit constitutionnel traite d'environnement. La nouveauté, c'est la lutte contre le changement climatique : sur ce sujet, il n'y a plus que quatre ou cinq États ayant intégré des dispositions constitutionnelles. Si nous voulons être cohérents avec l'accord de Paris, qu'appliquent le Conseil d'État et les grandes juridictions, y compris hors de France, nous devons nous doter du matériel juridique adéquat. La vraie difficulté, dans tous les contentieux climatiques en France, est de déterminer l'obligation d'agir. Est-ce une règle de droit international ? Faut-il passer par le droit communautaire, puisque l'Union européenne a ratifié le traité de Paris ? Il existe une façon autonome pour les pouvoirs publics d'assurer l'exécution de l'accord de Paris.

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