Intervention de Carole Hernandez-Zakine

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 7 avril 2021 à 16h30
Projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1er de la constitution et relatif à la préservation de l'environnement — Audition de juristes

Carole Hernandez-Zakine, docteure en droit :

Je souhaite insister sur la contextualisation du droit. Le droit ne tombe pas du ciel, il est toujours le produit de ce que veut la société. Nous vivons une crise du droit. En effet, le droit doit être considéré comme un outil, et non comme une finalité. Et il faut absolument se demander pourquoi on fait du droit, avant même d'en faire ! Donc, avant de modifier la Constitution, il faut se demander pourquoi on veut la modifier. Il y a quelque temps, le Parlement a modifié le Code civil pour décider que l'animal était un être sensible. Les débats parlementaires ont été à la fois intéressants et parfois très creux : finalement, la modification a été faite pour ouvrir une porte, mais on n'a pas bien compris sur quoi... L'article du Code civil qui en résulte est très difficile à comprendre, et sa portée est très difficile à appréhender, comme les juristes ne sont pas d'accord sur son interprétation. Il n'est que de voir, il y a quelques jours, les discussions sur une proposition de loi relative à la maltraitance animale : on ne sait pas si les animaux sauvages sont concernés ou non, par exemple.

Ce que je veux dire au travers de cet exemple, c'est qu'il n'est pas bon, à mon sens, d'adopter des textes sans savoir précisément ce qu'ils comportent, ce qu'ils signifient et quelles sont leurs conséquences. Et sur cette proposition de révision de la Constitution, les comptes rendus de vos débats montrent encore beaucoup de questions et très peu de certitudes. En tant que spécialiste du droit de l'environnement, je sais que, quand il y a beaucoup d'incertitudes, on doit agir avec précaution. Si précaution ne veut pas dire inaction, elle impose tout de même de bien prendre en compte toutes les incertitudes, tous les risques, et de bien peser le pour et le contre avant de modifier l'article 1er de la Constitution, qui pose les valeurs de notre République. Une telle modification ne saurait être anodine, et on sait qu'elle aura des conséquences. Au fond, pourquoi veut-on modifier la Constitution ? Quel est ce monde meilleur que nous voulons construire ? Pour l'instant, je n'ai pas entendu de réponse claire à cette question.

Un deuxième point essentiel, qui a déjà été abordé, est la question de l'équilibre entre les différents principes et les différentes libertés publiques. Le juge constitutionnel veille à atteindre l'équilibre entre les différentes libertés en présence : liberté d'entreprendre, propriété privée... La protection de l'environnement, de la santé peut porter atteinte à ces libertés publiques, mais de façon équilibrée. Garantir, assurer, préserver : je ne sais pas si le choix des mots changera fondamentalement les choses. Mais il est important d'être clair dans l'équilibre entre les différents intérêts et les différentes libertés en présence. Dans la Charte de l'environnement, il est bien indiqué que la protection de l'environnement se situe au même niveau que les autres intérêts fondamentaux de la Nation. Si vous deviez voter cette révision, il me semble qu'il conviendrait d'indiquer que la France garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique - et qu'elle lutte contre le dérèglement climatique - mais au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation, pour lever les doutes que l'on pourrait avoir sur cet équilibre. Ce serait cohérent avec l'article 6 de la Charte de l'environnement, qui porte sur le développement durable.

En somme, il faut bien se demander pourquoi on touche à la Constitution, dans quel but, et bien s'assurer de l'équilibre entre les différentes libertés publiques et les différents intérêts.

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