Intervention de Michel Prieur

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 7 avril 2021 à 16h30
Projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1er de la constitution et relatif à la préservation de l'environnement — Audition de juristes

Michel Prieur, président du Centre international de droit comparé de l'environnement :

De mon point de vue, le projet de loi constitutionnelle vient à son heure.

Sur le fond, la Constitution doit s'adapter aux nécessités de notre temps, comme le dit le Préambule de 1946. Certes, il y a eu la Charte de l'environnement en 2005, mais nous sommes en 2021, et il est légitime de répondre aux nécessités de 2021. Pour cela, il faut prendre en compte les alertes répétées du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) sur les conséquences du changement climatique, en particulier ses quatrième et cinquième rapports, surtout les trois derniers rapports spéciaux de 2018 à 2020, et prendre en compte également les décisions internationales approuvées par la France dans les forums internationaux : Rio+20, cadre d'action de Sendai sur les catastrophes, objectifs de développement durable - parmi lesquels je rappelle que l'objectif 13 indique que les États doivent prendre d'urgence des mesures pour lutter contre les changements climatiques - et, bien entendu, l'accord de Paris. Tous ces éléments montrent qu'il est temps de renforcer la protection de l'environnement, telle qu'elle avait été décidée en 2005.

Le verbe « garantir » n'est aucunement une innovation juridique. Il est même au coeur de la Constitution, puisque l'article 16 de la Déclaration de 1789 dit que « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée [...] n'a point de Constitution ». Par ailleurs, l'article 61 de la Constitution évoque également la garantie des droits.

J'en viens au problème, souvent évoqué, du risque de judiciarisation. Je voudrais de façon très claire, en tant que juriste, dire que le droit est fait pour être appliqué et pour être contrôlé par les juges. Craindre que les juges viennent bouleverser l'ordonnancement juridique est quelque peu paradoxal. On constate d'ailleurs qu'en matière d'environnement, les recours contentieux, qu'on craint tant, sont très peu nombreux. En 2019, devant le juge administratif, il y a eu 10 216 affaires enregistrées ; en matière d'environnement, il n'y a eu que 251 recours. Cela représente donc 2,45 % du contentieux devant le juge administratif. En matière pénale, c'est à peu près équivalent : sur la même année, devant les juridictions correctionnelles, seuls 5 % des affaires concernaient l'environnement, et cette proportion est en baisse.

J'ai regardé la jurisprudence du Conseil constitutionnel pour voir comment celui-ci traitait le verbe « garantir ». Ce verbe figure en effet à de nombreuses reprises dans la Constitution. Je n'ai trouvé aucun arrêt du Conseil constitutionnel qui déclare une loi contraire à la Constitution pour n'avoir pas garanti un droit constitutionnel. Comme il le fait d'habitude, le juge constitutionnel établit un équilibre, mais il ne considère pas le verbe « ?garantir » comme un fétiche ! Il vérifie, par exemple, que la garantie n'empêche pas des dérogations : elle permet des dérogations. Il considère aussi que la garantie n'empêche pas le législateur de choisir les modalités concrètes qui lui paraissent appropriées. En tous cas, le Conseil constitutionnel n'a jamais censuré le législateur pour ne pas avoir garanti un droit.

Pour certains, l'article 1er ainsi modifié ferait double emploi avec la charte et avec le préambule, parce qu'il reprendrait des concepts ou des principes figurant déjà dans ces textes. Mais d'ores et déjà, l'article 1er, dans sa rédaction actuelle, mentionne sept fois des éléments figurant aussi bien dans le Préambule de 1946 que dans la Déclaration de 1789, ou même dans la Charte.

Le verbe « garantir » n'est pas une innovation juridique ; il n'est pas non plus une innovation sémantique. Il figure en effet dans la Constitution : six fois dans le Préambule et deux fois dans le corps de la Constitution.

La plus-value de cette révision serait à plusieurs niveaux. D'abord, il est évident qu'elle renforcerait l'obligation juridique pour tous d'agir pour l'environnement. Incontestablement, la Charte ne s'est pas avérée suffisante, à la fois devant le Conseil constitutionnel et devant les autres juridictions. Par ailleurs, inscrire l'environnement et le climat au coeur des valeurs de la République est une étape à la fois symbolique et juridique essentielle en 2021 par rapport à 2005. La réforme devrait permettre aux pouvoirs publics, c'est-à-dire à la fois au Parlement, au Gouvernement et à l'administration, de mieux justifier et de mieux asseoir juridiquement les mesures législatives que le Parlement doit prendre en application des conventions internationales que la France a ratifiées. Enfin, cela donnera aux citoyens et aux juges de nouveaux arguments pour mieux garantir l'effectivité des Droits de l'homme, et notamment du droit à l'environnement sain. Ces droits ne doivent pas être des droits théoriques et illusoires, mais des droits effectifs, protégés par le droit international.

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