Intervention de Bruno David

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 7 avril 2021 à 16h30
Projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1er de la constitution et relatif à la préservation de l'environnement — Audition de scientifiques

Bruno David, président du Muséum d'histoire naturelle :

En matière de biodiversité, nous faisons face aujourd'hui, davantage que par rapport au climat, à un problème d'amnésie. Nous avons tous en mémoire des évènements climatiques extrêmes (tempêtes, inondations, canicules, etc.). En revanche, l'érosion de la biodiversité est plus progressive et par conséquent moins notable. En 15 ans, plus de 50 % des moineaux ont disparu des rues de Paris. On ne le note pas parce que nous y voyons toujours des moineaux. Cette difficulté à percevoir l'érosion de la biodiversité conduit à une forme d'amnésie environnementale.

Le terme de « biodiversité », forgé en 1988, a commencé à s'imposer à partir du Sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992. S'il paraît simple, il recouvre en réalité une pluralité de dimensions. Il peut renvoyer à la richesse des espèces, c'est-à-dire au nombre d'espèces présentes au sein d'un écosystème. Il peut renvoyer à l'abondance des espèces, c'est-à-dire au nombre d'individus que comptent celles-ci, voire aux rapports d'abondances entre celles-ci, c'est-à-dire à leurs prédominances ou raretés respectives. Il peut renvoyer au poids et à la biomasse des espèces - la biodiversité terrestre demeurant aujourd'hui faite principalement de plantes et de microbes, avec une masse bien moindre d'animaux, au sein de laquelle les arthropodes et les mollusques pèsent davantage que les mammifères. Parmi eux, les mammifères domestiques pèsent entre 10 et 20 fois plus que les mammifères sauvages, ce qui donne une mesure de l'emprise de l'homme sur la planète. Il peut également renvoyer aux réseaux d'interactions entre les espèces, c'est-à-dire aux équilibres au sein des écosystèmes et à la capacité homéostatique de ces équilibres à se restaurer ou à se transformer après avoir été perturbés - un écosystème peut supporter la disparition d'un certain nombre d'espèces, jusqu'à atteindre un point au-delà duquel il ne revient plus à l'équilibre et n'est plus en capacité de rendre les mêmes services.

Ce caractère multidimensionnel et non-déterministe de la biodiversité empêche la réalisation de prédictions. L'évolution biologique s'appréhende comme une histoire, qui n'est pas prédictible, à la différence de la physique ou de la chimie. Il convient donc de demeurer modeste à son encontre, sans avoir l'arrogance de penser pouvoir gérer la biodiversité. Nous avons tenté, par exemple, d'éradiquer le fléau des punaises de lits en ayant recours à des insecticides puissants, dont le DDT. Cependant, celles-ci sont revenues, en s'adaptant et en développant une résistance, par une forme de sélection darwinienne.

Face à cette complexité, pour penser les futurs possibles, nous avons besoin d'un cadre. Il nous faut tout d'abord penser plus loin que ce que nous sommes, c'est-à-dire au-delà de la microseconde financière, d'un mandat électoral ou même d'une génération - les temps de l'écologie ou de l'évolution se chiffrent quant à eux en milliers, voire en centaines de milliers d'années.

Pour penser ainsi de nouveaux horizons dans un monde non-déterministe, nous avons besoin des connaissances issues de l'histoire naturelle - cette dernière alimente une démarche intellectuelle qui se fonde sur l'observation et contribue à forger des citoyens responsables et respectueux des faits. Nous avons besoin tout autant des sciences humaines et sociales, qui permettent d'aborder des enjeux complexes, d'améliorer l'acceptabilité des mesures prises au sein de nos sociétés et de franchir les « murs d'acceptabilité ». Nous avons également besoin de rationalité scientifique pour rejeter les faits alternatifs et assurer une meilleure transmission de la parole scientifique.

Enfin, nous avons besoin de changer de paradigme. Longtemps, l'Homme s'est pensé en dehors de la nature. Nous avons lutté contre la nature pendant des générations, avant de nous pencher à son chevet, avec la tentation de vouloir la gérer. Désormais, nous commençons à réaliser, au moins scientifiquement, que nous en faisons partie. Nous sommes en relation avec le reste de la nature et nous ne sommes rien sans elle. Il nous faut donc sortir de ce dualisme. Néanmoins, il est nécessaire que nous en conservions une pincée, pour ne pas nous déresponsabiliser totalement et avoir conscience de l'impact de ce que nous faisons sur l'ensemble du vivant.

Pour conclure ce panorama général des enjeux liés à la préservation de la biodiversité, je reprendrai la formule de l'un de mes prédécesseurs à la tête du Muséum d'histoire naturelle : « L'Homme saura-t-il s'adapter à lui-même ? »

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