Intervention de Aurélien Daubaire

Mission d'information Lutte contre la précarisation et la paupérisation — Réunion du 13 avril 2021 à 14h30
Mesure de la pauvreté et lutte contre ce phénomène en outre-mer — Audition commune de Mm. Aurélien dauBaire directeur interrégional de l'insee la réunion-mayotte charles trottmann directeur du département des trois océans à l'agence française de développement et Mme Nathalie Anoumby directrice générale des services adjointe en charge du pôle solidarités Mm. Hugues Maillot directeur général des services adjoint en charge du pôle action territoriale et insertion et thierry vitry directeur du pôle habitat au conseil départemental de la réunion

Aurélien Daubaire, directeur interrégional de l'Insee La Réunion-Mayotte :

Je vous remercie d'avoir invité l'Insee. Je représente à la fois mes collègues d'outre-mer et les services nationaux. Je vous enverrai une version rédigée et plus complète de mes réponses à votre questionnaire qui restera le fil conducteur de mon intervention. L'Insee est en charge des statistiques sociales dans les départements et régions d'outre-mer (DROM) mais pas dans les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution. Le rapport « Statistiques publiques dans les départements et régions d'outre-mer et collectivités d'outre-mer », actualisé chaque année, brosse un tableau complet de la statistique publique de l'Insee et des instituts de certaines collectivités d'outre-mer. L'ensemble des données et études sont disponibles sur le site www.insee.fr.

Nous disposons d'un ensemble assez large de données statistiques sur la pauvreté et la précarité avec les mesures de la pauvreté monétaire et les inégalités de niveau de vie, l'enquête Budget de famille, des données finement localisées avec le dispositif sur les revenus localisés fiscaux et sociaux (FiLoSoFi) en Martinique et à La Réunion, l'enquête sur les écarts du niveau des prix à la consommation, une enquête sur l'emploi et des enquêtes thématiques annuelles cofinancées par l'Insee et la direction générale des outre-mer, notamment sur le logement, la santé, les migrations, les familles, le vieillissement, la sécurité, la formation continue et l'illettrisme. En 2018 a été réalisée pour la première fois une enquête statistique sur les ressources et les conditions de vie, en vue d'appréhender la pauvreté en conditions de vie. Nous avons beaucoup de données dans les DROM que nous n'avons pas toujours en métropole, les problématiques étant parfois différentes. Celles-ci viennent compléter certains manques de données administratives.

Sur la mesure de la pauvreté monétaire, c'est-à-dire la part de la population qui est en dessous du seuil de 60 % du niveau de vie médian, il y a eu par le passé des débats sur le bon seuil à retenir : faut-il se baser sur la médiane nationale ou bien locale ? Dans la dernière publication de référence en juillet 2020, nous avons clarifié cela et les deux taux de pauvreté sont présentés de manière explicite et transparente. Le seuil de pauvreté national est fixé à 1 010 euros par mois pour un adulte vivant seul et à 1 615 euros par mois pour une famille monoparentale avec deux enfants. Par rapport à ce seuil, le taux de pauvreté est très élevé dans les DROM : il représente un tiers de la population aux Antilles, 40 % à La Réunion, plus de la moitié en Guyane et plus des trois quarts à Mayotte.

L'approche la plus fine et la plus riche sur les inégalités de revenu consiste à regarder l'ensemble de la distribution des revenus sans prendre en compte le seul indicateur de la pauvreté. Le trait commun aux DROM est que les revenus sont « écrasés » bien en dessous de leur équivalent de métropole à l'exception des 10 % les plus élevés. On constate ainsi une société très inégalitaire dans les DROM, avec un revenu moyen et un revenu médian plus faibles.

Une autre manière d'apprécier la pauvreté est de mesurer la pauvreté en conditions de vie au regard de treize éléments de la vie courante auxquels il est souhaitable, voire nécessaire, d'avoir accès, qui sont définis au niveau européen. S'il manque au moins cinq de ces treize critères (par exemple, avoir deux paires de chaussures, s'offrir une activité de loisir, disposer d'une voiture personnelle...) on est considéré comme pauvre en conditions de vie. Cela concerne environ 20 % des Antillais, 40 % des Réunionnais, 50 % des Guyanais. Ces chiffres sont comparables à ceux de la pauvreté monétaire même s'ils ne se recoupent pas exactement.

La question de la « vie chère » se pose également. L'Insee établit des taux de pauvreté sans correction des écarts du niveau de prix, mais nous disposons par ailleurs d'une mesure de ces écarts. En 2015, ceux-ci étaient très importants. Nous mesurons les choses de façon symétrique : combien un ménage consomme en métropole et dans un DROM ? Combien paierait-il le même panier en métropole et dans un DROM ? On aboutit à un écart de 7 % à La Réunion et à Mayotte et de 11 % à 13 % aux Antilles et en Guyane. Les écarts sont maximaux pour la consommation alimentaire.

Parmi les facteurs qui expliquent la situation particulière des DROM en matière de précarité, nous trouvons tout d'abord l'économie, l'emploi, l'insertion sur le marché du travail et le développement économique qui est moins avancé. Le produit intérieur brut (PIB) par habitant est plus faible que la moyenne nationale. Tous les indicateurs du marché du travail sont au rouge. Le taux d'emploi en métropole est de 66 %, mais, dans les DROM, il va de 34 % à Mayotte à 57 % en Martinique. Se posent également des questions de qualification, de types d'emplois et de secteurs d'activité présents : il y a en particulier peu d'industries. La productivité moyenne par emploi est plus faible qu'en métropole. Des facteurs sociaux-démographiques jouent également :le fait de vivre seul ou d'avoir un plus grand nombre d'enfants au foyer complique les choses. Or, il y a 16 % de familles monoparentales en métropole, mais plus de 40 % aux Antilles et en Guyane, et plus de 30 % à La Réunion et à Mayotte. La part de familles nombreuses est bien plus importante que la moyenne nationale de 9 % : elle est de 28 % en Guyane et 44 % à Mayotte ! Il faut signaler le cas particulier de Mayotte où une part importante de la population n'a pas accès à une grande partie des prestations sociales et au RSA car elle n'est pas en situation régulière ou n'a pas été régularisée depuis au moins 15 ans.

En termes d'évolution, le tableau est plus positif. Même si le PIB par habitant reste très en retrait par rapport à la moyenne nationale, la croissance économique est importante dans les DROM, le pouvoir d'achat et le niveau de vie médian augmentent donc régulièrement de manière assez soutenue. Par ailleurs, les prestations sociales ont été revalorisées ou complétées au cours de la dernière décennie. On observe donc une hausse du niveau de vie médian et moyen assez générale, Mayotte mis à part, et une amélioration de la situation des plus précaires grâce à une amélioration du marché du travail et des prestations sociales. À titre d'illustration, à La Réunion, le taux de pauvreté a baissé de 9 points entre 2007 et 2016, même s'il reste toujours élevé autour de 40 %. Les évolutions et leur décomposition sont comparables en Guadeloupe. En Martinique, le départ de nombreux jeunes actifs fait monter, par un effet de structure, la médiane et la moyenne auxquelles ils contribuent. En Guyane, le taux de pauvreté a baissé de 7 points entre 2011 et 2017, même si le taux d'emploi n'a pas augmenté. Mayotte est dans une situation singulière où l'on observe une baisse du niveau de vie médian entre 2011 et 2018, malgré une forte croissance économique. La situation s'est bien améliorée pour les franges de la population insérées sur le marché du travail, le SMIC ayant augmenté notablement sur cette période et la majoration de 40 % du traitement des fonctionnaires locaux ayant été généralisée, mais la part de la population immigrée, notamment en provenance des Comores, à très faible ressources, a augmenté, ce qui fait baisser la médiane. Si le taux de pauvreté calculé sur l'ensemble de la population a baissé de quelques points, il reste extrêmement élevé, à 77 %.

On constate une forte proportion de travailleurs pauvres, notamment en situation de sous-emploi. La proportion de ménages dont la personne de référence est un travailleur pauvre se situe aux alentours de 20 à 30 % dans les DROM, et jusqu'à 58 % à Mayotte, contre 10,6 % en métropole.

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