Intervention de Daniel Gremillet

Commission des affaires économiques — Réunion du 5 mai 2021 à 9h35
Mise en application de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat — Présentation du rapport d'information

Photo de Daniel GremilletDaniel Gremillet, rapporteur :

Le 20 janvier dernier, notre commission m'a confié une mission d'information sur l'application de la loi Énergie-Climat de 2019, dont j'étais le rapporteur pour le Sénat.

Depuis lors, j'ai rencontré 40 intervenants à l'occasion de 15 auditions : Haut Conseil pour le climat (HCC), Commission de régulation de l'énergie (CRE), Médiateur national de l'énergie, Agence nationale de l'habitat (ANAH), Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), professionnels des énergies renouvelables (EnR) et de la rénovation énergétique.

Après un an d'application complète de la loi Énergie-Climat, j'ai pu mesurer le chemin parcouru, mais aussi celui qu'il reste à faire. Pour reprendre les mots qui m'ont été indiqués par la présidente du HCC, il faut aujourd'hui passer du « leadership de l'ambition » au « leadership de la mise en oeuvre » dans les domaines énergétique et climatique.

Au terme de mes travaux, j'ai formulé 45 recommandations : elles visent à conforter la loi Énergie-Climat, à quelques jours de l'examen par le Sénat du projet de loi Climat-Résilience.

Désireux d'aboutir rapidement et concrètement, j'ai élaboré une proposition de loi reprenant la majeure partie de ces recommandations de nature législative.

L'urgence commande aujourd'hui d'agir pour décarboner notre production d'énergie en favorisant l'énergie nucléaire et les énergies renouvelables, mais aussi notre consommation d'énergie, en promouvant la rénovation énergétique et les projets d'autoconsommation ; de manière plus innovante, je formule pour la première fois des pistes législatives très concrètes pour favoriser le stockage de l'énergie, à commencer par l'hydrogène.

Trois préoccupations ont guidé ma démarche : la diffusion de solutions de simplification auprès des acteurs premiers de la transition énergétique - entreprises, particuliers ou associations -, l'implication des collectivités territoriales et la protection des consommateurs d'énergie, en particulier les plus vulnérables.

La loi Énergie-Climat a fait évoluer très positivement notre politique énergétique et climatique, avec l'actualisation des objectifs poursuivis, la refonte des outils de planification, le renforcement du soutien aux projets d'EnR, la réforme de la régulation des marchés de l'électricité et du gaz.

Cette loi a donc permis de placer la France sur le chemin de la « neutralité carbone » à l'horizon de 2050, en consacrant cet objectif parmi ceux de notre politique énergétique nationale, et de replacer le Parlement au centre des décisions énergétiques et climatiques, avec l'adoption d'une loi quinquennale dans ce domaine dès 2023.

Regroupant 69 articles, cette loi comporte 67 références à des mesures d'application réglementaire : 36 décrets, 22 arrêtés, 9 dispositions « par voie réglementaire » En outre, 5 articles de cette loi prévoient des habilitations à légiférer par ordonnance et 6 autres la remise de rapports du Gouvernement au Parlement.

L'application de la loi Énergie-Climat est sur la bonne voie, mais doit cependant encore progresser : pour preuve, 44 mesures réglementaires sur 63, soit 70 %, ont été prises ; 12 ordonnances sur 15, soit 80 %, ont été publiées ; 1 rapport sur 6, soit 17 %, a été remis. Cependant, 3 ordonnances sur 15 habilitations, soit un cinquième, ne seront pas publiées, en particulier sur l'harmonisation de la notion de consommation énergétique des bâtiments et de la définition du niveau excessif de cette consommation, ainsi que sur l'adaptation du droit interne de deux règlements européens. J'ajoute que 15 dispositions sur 69 articles, soit un vingtième, seront remises sur le métier, dans le cadre du projet de loi Climat-Résilience, en particulier sur les objectifs en matière d'EnR, la composition de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), les fermetures de centrales à charbon, le diagnostic de performance énergétique (DPE), les obligations de rénovation énergétique applicables aux propriétaires de logements, les obligations de déclaration de performance extrafinancière des entreprises, les conditions d'implantation de projets d'EnR, la lutte contre la fraude aux certificats d'économies d'énergie (C2E).

Attaché à la loi Énergie-Climat, fruit d'un compromis entre le Sénat et l'Assemblée nationale, j'appelle le Gouvernement à donner une traduction réglementaire, rapide et complète, aux dispositions législatives adoptées. Je l'invite également à ne pas éroder le compromis trouvé entre les deux assemblées, tout particulièrement les apports sénatoriaux intégrés à ce texte, dans le cadre de l'examen du projet de loi Climat-Résilience.

Plusieurs points de vigilance, entravant le chemin vers la « neutralité carbone » ouvert par la loi Énergie-Climat, me semblent devoir être relevés.

En premier lieu, ce chemin fait face à des difficultés imputables au manque d'anticipation du Gouvernement.

Dès l'examen de ce texte, j'avais déploré l'absence d'étude d'impact relative à la fermeture de quatorze réacteurs nucléaires d'ici à 2035 et de quatre centrales à charbon d'ici à 2022. Si je me félicite que la commission des affaires économiques du Sénat ait obtenu le report de dix ans de l'arrêt de réacteurs nucléaires, je regrette la situation de « vigilance particulière », identifiée jusqu'en 2024 par Réseau de transport d'électricité (RTE), liée à une « disponibilité dégradée du parc nucléaire ».

J'avais plaidé, sans grand succès, au cours de l'examen de cette loi, pour une plus grande prise en compte de l'hydroélectricité, notre première source d'énergie renouvelable, et de l'hydrogène, notre vecteur énergétique d'avenir. Si je me réjouis que le plan de relance alloue 2 milliards d'euros à l'hydrogène d'ici à 2022, je veux souligner l'inadaptation à cette évolution technologique de la PPE mais aussi de la loi dite quinquennale.

En ce qui concerne les EnR, je constate des retards dans les projets tant électriques - la « petite » hydroélectricité ou l'éolien en mer - que gaziers - le biogaz ou la chaleur renouvelable. J'observe un renchérissement de 12 % au titre de l'année 2020 des charges de service public de l'énergie (CSPE), qui sous-tendent les dispositifs de soutien public aux EnR, selon la CRE.

Pour ce qui concerne la rénovation énergétique, je relève l'absence de massification de MaPrimeRénov', qui est pourtant le principal dispositif de soutien à la rénovation énergétique : 500 millions d'euros de travaux, représentant 140 000 dossiers, ont été engagés depuis le début de l'année, contre 1,9 milliard d'euros de travaux, représentant 1,4 million de ménages, pour l'ancien crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE).

En second lieu, le chemin vers la neutralité carbone pâtit du manque de considération du Gouvernement à l'égard du Parlement.

D'une part, le Gouvernement n'a pas respecté, dans la PPE, les objectifs fixés par le législateur, notamment en matière de biogaz, d'éolien en mer et d'hydrogène ; du reste, cette programmation n'a pas fait l'objet d'une présentation devant le Parlement, comme le prévoit pourtant l'article L. 141-4 du code de l'énergie. La même insuffisance doit être relevée à propos de l'ordonnance sur l'accompagnement des fermetures de centrales à charbon, dont les commissions des affaires économiques du Sénat et de l'Assemblée nationale attendent encore la présentation...

D'autre part, le Gouvernement a érodé à plusieurs reprises la loi quinquennale. Ainsi, il a tenté de supprimer, dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2020, son évaluation financière ; il a élaboré un décret sur les C2E courant jusqu'à fin 2025, alors que ces certificats doivent être fixés par cette loi dès 2023 ; il a commandé à RTE et à l'Agence internationale de l'énergie (AIE) un « scénario 100 % énergies renouvelables » au mépris du choix à venir du législateur ; et, aujourd'hui, il propose douze décrets régionalisés, en lieu et place d'une loi nationale, dans le cadre du projet de loi Climat-Résilience.

Enfin, au détour de certaines ordonnances, le Gouvernement a supprimé des apports sénatoriaux majeurs de la loi Énergie-Climat. Il a ainsi abrogé le dispositif d'application du critère du bilan-carbone, qui devait être pris en compte dans les dispositifs de soutien public aux EnR attribués par appels d'offres, dans le but protéger les industriels français et européens du dumping environnemental. Il a également abrogé le cadrage introduit par le Sénat pour les communautés d'énergie renouvelable et les communautés énergétiques citoyennes, qui interdisait, à juste titre, à ces communautés d'être propriétaires de réseaux de distribution détenues par nos collectivités territoriales.

Enfin, le chemin vers la neutralité carbone est aussi contrarié par le manque d'adaptation du Gouvernement.

Bien qu'étant au premier plan de la transition énergétique dans nos territoires, notamment en tant qu'autorités organisatrices de la distribution d'énergie (AODE), les collectivités territoriales sont trop souvent laissées de côté pour ce qui concerne l'allocation u titre du financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale (FACÉ), l'accès aux « garanties d'origine » du biogaz et de l'hydrogène ou encore l'accompagnement dans la rénovation énergétique.

Alors que le Gouvernement entend développer les EnR, l'autoconsommation est peu promue et mal régulée. Une plus grande confiance pourrait être accordée aux acteurs de terrain, à commencer par les bailleurs sociaux. Plus de règles pourraient aussi être appliquées par les AODE, la CRE ou le Médiateur national de l'énergie.

Alors qu'elle est souvent présentée comme une priorité gouvernementale, la rénovation énergétique est touchée par la réforme des C2E, avec l'extinction de coups de pouce et de bonifications, pourtant utiles aux ménages les plus précaires. À l'inverse, un effort de simplification et d'assainissement est nécessaire, pour prévenir tout risque de fraude pour les consommateurs et, partant, toute répercussion sur le coût de l'électricité.

Enfin, au-delà de discours sur l'hydrogène, c'est d'actions concrètes que la filière a besoin, c'est-à-dire un cadre stratégique complet, des dispositions juridiques adaptées et un soutien financier opérationnel.

Dans ce contexte, je présente quarante-cinq recommandations visant à conforter la loi Énergie-Climat. Ces recommandations visent à consolider, en substance et en portée, notre stratégie énergétique nationale, en revalorisant l'énergie nucléaire et l'hydrogène et à dynamiser les opérations de rénovation et d'efficacité énergétique, en particulier les C2E.

Elles ont également pour but de réduire les fractures sociales et territoriales dans l'accès à l'énergie, via le déploiement de données de consommation pour les consommateurs et d'aides à l'électrification pour les collectivités territoriales, et de soutenir les projets d'EnR, singulièrement le biogaz et l'hydrogène, ainsi que les projets d'autoconsommation individuelle et collective, par les collectivités territoriales et les bailleurs sociaux.

Il s'agit encore de protéger les consommateurs, dans le contexte de l'extinction des tarifs réglementés de vente de l'électricité (TRVE) et de gaz (TRVG) - les offres à « tarification dynamique » imposées par le droit de l'Union européenne devront être suivies avec la plus grande vigilance - et d'assurer l'intelligibilité et l'efficacité des ordonnances autorisées par cette loi, en particulier le cadre de soutien à l'hydrogène.

Pour aboutir rapidement et concrètement, je vais déposer une proposition de loi reprenant vingt de ces recommandations.

Le chapitre Ier de ce texte tendra à adapter le cadre stratégique à l'urgence climatique et à l'évolution technologique ; à cette fin, il visera à renforcer nos objectifs en matière d'énergie nucléaire et d'hydrogène renouvelable et bas-carbone. Il élargira également la loi quinquennale à l'hydrogène ; en effet, lorsque nous avons adopté, en 2019, le principe d'une loi d'orientation sur l'énergie, ce vecteur énergétique n'avait pas encore acquis toute la place qui lui est aujourd'hui légitimement reconnue.

Le chapitre II visera à conforter les dispositifs de soutien aux projets territoriaux liés à la transition énergétique. Pour ce faire, le texte rétablira le critère du bilan-carbone pour les projets d'énergies renouvelables attribués par appel d'offres et l'appliquera, à titre expérimental, à ceux qui sont attribués en guichets ouverts. Complémentairement, il conforte les dispositifs de soutien afférents au gaz renouvelable ainsi qu'à l'hydrogène renouvelable et bas-carbone.

Le chapitre III tendra à impliquer les collectivités territoriales dans les projets liés à la transition énergétique. Dans cette perspective, le texte confortera la possibilité de transférer aux collectivités territoriales les « garanties d'origine » en matière de biogaz et ouvrira une telle possibilité à l'hydrogène renouvelable. Il garantira aux AODE leur pleine association au plan de développement du réseau et aux sociétés de production d'énergies renouvelables.

Le chapitre IV aura pour objet de réguler les opérations d'autoconsommation individuelle et collective. L'enjeu est d'apporter plus de souplesse, en facilitant la possibilité, pour les bailleurs sociaux et les collectivités territoriales, de participer à de telles opérations. Un autre enjeu est d'appliquer plus de règles, en réintroduisant deux conditions très simples prévues par le Sénat dans la loi Énergie Climat, mais supprimées par le Gouvernement au détour d'une ordonnance : les communautés d'énergie renouvelable et les communautés énergétiques citoyennes ne doivent pas poursuivre une finalité lucrative ni détenir les réseaux de distribution. Enfin, l'enjeu est d'apporter plus de coordination, à laquelle les collectivités territoriales mais aussi le Médiateur de l'énergie peuvent contribuer.

Le chapitre V visera à protéger les consommateurs face à la libéralisation des marchés de l'électricité et du gaz, en renforçant le rôle de veille de la CRE et l'information du Médiateur national de l'énergie. Les consommateurs d'énergie seront ainsi mieux protégés : le comparateur d'offres distinguera les offres dynamiques des autres ; une campagne de communication grand public portera sur ces contrats ; enfin, l'évolution de la régulation des marchés de l'électricité et du gaz fera l'objet d'une évaluation remise par le Gouvernement au Parlement.

Je déposerai prochainement cette proposition de loi et j'invite ceux qui le souhaitent à la cosigner.

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